NITRATES ET CARBONE : MÊMES DÉRIVES !

Frédéric Thomas - magazine TCS n°84 ; octobre/novembre 2015

Les orages diluviens, les tornades violentes, les inondations meurtrières mais aussi les périodes de sécheresse prolongées sont des phénomènes météorologiques qui deviennent de moins en moins exceptionnels : plus de doute, le dérèglement climatique est déjà bien en marche. Au-delà des personnes, malheureusement directement concernées, c’est l’agriculture mais aussi les compagnies d’assurance qui sont en première ligne comme nous avait avertis un expert il y a une vingtaine d’années. Cependant c’est le réflexe, comme souvent, et la communication qui prennent le pas sur la raison, faisant presque oublier les enjeux et les risques à venir.

Soyons rassurés ; le climat est pris très au sérieux puisque Paris accueille COP 21 et les grands de ce monde en décembre pour tenter de trouver un accord sur la réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre) dont, en figure de proue, le carbone émis. Ne soyons pas trop négatifs ; le dossier avance. Par exemple, la loi de transition écologique, votée récemment, prévoit une augmentation régulière de la composante carbone (40 % de réduction des GES 2030 sur la base 1990) et énergie (20 % de réduction de la consommation d’énergie en 2030 sur la base 2012) avec des taxes sur la consommation des produits énergétiques (la valeur de la tonne de carbone émise serait de 56 € en 2020 et 100 € en 2030). Il s’agit là d’une augmentation potentielle des coûts de production, mais aussi d’une rémunération possible si nos approches sont mieux reconnues. Cependant et même si ces engagements sont « ambitieux », un amendement permet déjà la révision des objectifs si besoin !

Dans la même ligne, le ministère de l’Agriculture a annoncé, en mars dernier, la mise en place d’un programme international de recherche : le « 4 pour 1 000 ». L’objectif est de développer la recherche agronomique afin d’améliorer les stocks de matière organique des sols de 4 pour 1 000 par an. Une telle augmentation permettrait de compenser l’ensemble des émissions de GES de la planète. Inversement, une diminution de 4 pour 1 000 déboucherait sur un doublement des émissions.

Bien entendu, le carbone est un contributeur capital. De toute évidence, la majeure partie est issue de la combustion des énergies fossiles. L’agriculture, quant à elle, apporte aussi du carbone via la dégradation des taux de matière organique et participe au réchauffement climatique avec le méthane produit par les vaches et les NOx issus des épandages d’azote. Cependant, les vraies causes et mécanismes du réchauffement climatique sont beaucoup plus divers et complexes. À ce titre, l’article « Recherche » de ce magazine présentant l’impact de la végétation sur le cycle de l’eau et la climatisation des sols et du climat est particulièrement éloquent. Personne n’en parle, alors que les principes sont logiques et facilement vérifiables. Mieux encore, les solutions sont également simples à mettre en œuvre et en plus, vertueuses. En plus de réduire localement l’impact du climat et de développer la qualité des sols, elles permettent même de stocker du carbone. Enfin, le suivi et la vérification sont simples et pragmatiques puisque ce qui est important est la quantité de biomasse produite à l’hectare et sa permanence sur l’année. Dans ce cas de figure, les batailles interminables d’experts, les modèles et les « méta-analyses » pour définir les dynamiques de stockage / déstockage de la matière organique deviennent complètement obsolètes.

Ce nouvel élément fait aussi comprendre que le carbone est une forme de symbole simpliste et réducteur pour le dossier réchauffement climatique tout comme le sont les nitrates au niveau de la qualité de l’eau. Ce sont plus des révélateurs, voire des symptômes d’un dérèglement beaucoup plus profond. Cependant, ils conviennent à une grande majorité de partis et permettent de focaliser les débats et même de s’accorder sur des objectifs et réglementations de réduction d’émission et de stockage. Pour prolonger le parallèle entre les dossiers nitrates et carbone, l’affaire n’est pas très rassurante. Depuis plus de 30 ans, l’imposition de réductions drastiques de fertilisation (minérale et surtout organique) associée à des mises aux normes onéreuses et des obligations de Cipan (pour piéger les nitrates) n’a pas vraiment restauré la qualité de l’eau même si nous enregistrons un léger mieux. Pire, la focalisation du début « nitrates » a permis d’oublier d’autres risques comme le phosphore, le cuivre et même les phyto. Il ne faut pas changer le sujet car la pollution est bien réelle ; des actions et des changements sont nécessaires : il faut simplement modifier la posture générale et l’angle de gestion en incluant une approche globale.

En AC, le dossier « Azote » et non « Nitrates » est abordé avec la minimisation voire la suppression du travail du sol (action très minéralisante), avec l’insertion de couverts de type biomax recycleurs de fertilité et même fixateurs d’azote (légumineuses), avec des cultures associées, des plantes compagnes et même des couverts permanents limitant les fuites, tout en dopant la fertilité et en permettant de réduire l’utilisation des phyto. Grâce à cette orientation, la qualité de l’eau devient une bonne conséquence. Au quotidien, les acteurs ont intérêt à rechercher la meilleure efficacité pour faire des économies et développer la qualité de leurs sols. Par ailleurs, cette approche fait basculer l’ensemble des relations dans une « attitude positive » car le développement passe par de la démonstration, de la formation et de l’accompagnement avec à la clé une émancipation individuelle accompagnée d’une responsabilisation.

Enfin le terme « cohérence » n’est pas un vain mot car le dossier « Azote » rejoint ici le dossier « Carbone » : plus de biomasse, c’est aussi plus de carbone en circulation dans le sol via l’activité biologique et les matières organiques, c’est aussi des économies en engrais azotés qui représentent un gros poids d’énergie fossile et d’émissions très radiatives (NOx), c’est enfin, au regard des dernières informations que nous publions, le moyen d’évaporer de l’eau, de climatiser le sol et d’éviter la formation de « points chauds ». Cela ne signifie pas qu’il faille rejeter l’idée de réduire les émissions de carbone. Cependant, au regard du dossier nitrates, il semble beaucoup plus logique et surtout productif de l’appréhender différemment en recherchant le maximum de cohérence, de relations croisées et constructives.

Séquestrer » ou plutôt ralentir le temps de résidence dans les sols est certainement possible mais il ne faut pas que ce soit l’objectif premier mais la conséquence d’une nouvelle approche de l’agriculture. Une agriculture qui continue d’investiguer de nouveaux gisements d’efficacité, une agriculture beaucoup plus sobre qui capte un maximum d’énergie solaire via la photosynthèse et s’appuie sur les fonctionnalités du vivant, une agriculture productrice d’aliments de qualité mais aussi d’énergie. Une agriculture productrice d’agriculteurs épanouis et fiers de leur métier : seulement abordée de cette manière, l’agriculture pourra contribuer positivement à réduire l’impact du changement climatique. Voilà un vrai bon projet agricole et, à ce titre, l’AC possède une bonne palette de propositions et solutions aussi intéressantes qu’efficaces et elle a surtout su développer cette vision cohérente et positive.

Cependant, et même si l’agriculture peut vraiment changer, elle n’a jamais été et n’est pas responsable de tous les maux. Elle n’apportera pas non plus toutes les solutions pour nos sociétés : nous sommes tous responsables et nous devons tous changer nos approches et comportements. Au-delà de nos champs, c’est sûrement la même cohérence qu’il faut développer et mettre en œuvre autour d’une recherche de sobriété énergétique productrice d’économies substantielles mais aussi de bénéfices environnementaux. Plutôt que de disserter sur des quantités abstraites et peu vérifiables de carbone, il semble plus habile de s’appuyer sur des initiatives locales, citoyennes et entrepreneuriales, imaginatives et ancrées dans le réel, qui vont, en répondant à leurs problématiques, limiter les émissions de GES et en prime, apporter de multiples bénéfices environnementaux locaux comme globaux. Si les équations fonctionnent comme en agriculture, il y a fort à parier que c’est une ouverture vers une nouvelle conception du « développement ». Ce changement de paradigme est la seule issue mais c’est aussi une formidable porte d’entrée vers une nouvelle organisation économique et sociale plus que nécessaire aujourd’hui. Même à ce niveau, l’AC peut servir d’exemple.


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