LE COLZA ASSOCIÉ AVEC DES LÉGUMINEUSES GESTION DE LA FERTILISATION AZOTÉE

Gilles Sauzet ; TCS n°86 - février / mars 2016

Lorsque l’on intègre des légumineuses dans le système de culture, que ce soit comme culture principale ou plantes de services, l’enjeu azote est au cœur de la réflexion. La connaissance de l’évolution des stocks et des flux d’azote, mobilisables par les différentes cultures pouvant l’utiliser, devient un atout essentiel, en particulier dans les milieux à faibles disponibilités.

L’intégration de légumineuses dans les systèmes de culture doit naturellement conduire à limiter les apports d’azote minéral et à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ceci à plus ou moins brève échéance. L’azote n’est d’ailleurs pas le seul bénéfice mis en avant. Une vision plus globale, conduisant à l’amélioration du milieu, est prioritairement attendue. La qualité structurale, biologique, organique du sol est à prendre en compte et devient un élément essentiel dans notre quête de réussite du système, très dépendante de la qualité de mise en place des cultures et intercultures. Le sol est au cœur de la démarche et sa fertilité doit permettre l’obtention de plantes robustes, capables de mettre en place et d’exprimer un potentiel adapté au contexte. L’agriculteur doit impérativement agir en fonction de l’état et de l’évolution du milieu, sol et météorologie. Dans certaines zones, au potentiel plus limité, il convient dans un souci de durabilité, de réfléchir à l’intégration de leviers capables de faire passer un cap au niveau des performances agro-économiques, tout en évoluant vers une démarche agro-écologique. Déplafonner les rendements dans des contextes à potentiel limité n’est pas impossible, si l’on respecte les éléments du milieu en intégrant les leviers innovants adaptés. Le colza associé a maintenant un certain vécu.

Après quelques déboires notamment liés à l’absence de phases gélives et à la non-destruction de plantes handicapantes au printemps, il est devenu une pratique habituelle dans beaucoup d’exploitations des réseaux AC. Les attentes en termes agronomiques sont les mêmes que lorsque le colza est seul. Toutefois la plante associée ne doit pas concurrencer la plante cultivée. Un équilibre doit s’installer et pour cela chaque espèce, à tour de rôle, doit profiter des éléments mis à sa disposition.

Comportement automnal

Les objectifs à atteindre en entrée hiver, que le colza soit seul ou associé sont les mêmes : levée rapide, bonne structure de peuplement, croissance racinaire de qualité, pour faciliter une croissance aérienne dynamique du colza permettant d’accumuler de l’azote et de mettre en place une compétition vis-à-vis des adventices et une gestion des insectes. La crainte est bien sûr d’avoir un couvert de légumineuses qui concurrencerait la croissance du colza. Le cycle des espèces associées est décalé par rapport au cycle du colza ce qui induit des phases de croissances non concomitantes. La compétition est rare dès que l’implantation du colza est réussie. On obtient parfois de meilleurs comportements en colza associé au niveau biomasse et azote accumulés. C’est le cas en sols hydromorphes, croûtés. La légumineuse, féverole en particulier, participe à l’amélioration de la porosité ainsi que la levée. Le colza associé est rarement, voire jamais, limité en azote en entrée ou sortie d’hiver, contrairement au colza seul, en milieu à faibles reliquats et ceci, sans que l’on puisse évoquer de la dilution ; la biomasse aérienne accumulée dans les deux cas étant très proche.

La compétition colza/légumineuses est donc extrêmement rare. Les résultats expérimentaux mettent en évidence des baisses de 5 unités d’azote absorbé, que l’on peut imputer à un écart de biomasse verte favorable au colza seul. Toutefois les mesures de teneurs en azote et les observations visuelles au champ (couleur du feuillage) montrent un meilleur statut azoté du colza associé sans que l’on puisse évoquer une répartition entre les plantes, mais plutôt un meilleur état racinaire et peut-être, un peu de rhizodéposition.

Comportement au printemps

Le bénéfice est attendu au printemps. En effet les légumineuses, qui doivent normalement se dégrader en phase hivernale, sont supposées améliorer le stock d’azote au printemps, leur C/N étant faible (9 à 15). L’objectif initial, à travers l’introduction de légumineuses dans le système de culture, que ce soit en tant que culture principale, couverts d’interculture ou en association, est bien d’améliorer les disponibilités en azote de façon à en faire profiter les plantes cultivées, mais également d’enrichir la rhizosphère et de préserver l’état structural, organique et poral du sol.

Les premiers tests nous indiquent que le colza peut lui-même profiter de cet effet. Son comportement automnal et hivernal est modifié (enracinement plus profond, meilleur statut azoté) et lui permet fréquemment une reprise de croissance plus dynamique en fin d’hiver. Il semble donc moins dépendant de la disponibilité des engrais azotés minéraux et la biomasse et l’azote accumulés en floraison sont régulièrement plus élevés en colza associé. Le comportement du colza associé, comme observé tout au long du cycle, est amélioré. Le colza peut bénéficier très rapidement d’une source d’azote supplémentaire que lui permet d’exprimer un potentiel a priori identique. Si l’on compare les écarts de CAU de l’azote (coefficient apparent d’utilisation), on note une meilleure utilisation de l’azote en colza associé avec des légumineuses. Certes la fertilisation est plus faible et peut expliquer cet état. Toutefois la meilleure exploration racinaire est également une explication justifiée.

Fractionnement étudié de près

Les résultats obtenus en floraison confirment que diminuer la dose de 30 unités ne perturbe pas la croissance et donc a priori la mise en place du nombre de siliques et de grains. En revanche au stade G4, le colza associé est moins productif en biomasse et cumule moins d’azote. Le fractionnement de l’azote en situation d’association demande certainement à être travaillé et revu. Le bon état du colza associé en sortie hiver ne milite pas pour une dose de même nature qu’en colza seul, même en situation à faibles disponibilités. En revanche il faut prolonger l’absorption en fin floraison et maintenir un indice foliaire plus performant en post-floraison. À ce niveau, des apports plus tardifs peuvent être intéressants. À ce titre, quelques tests ont montré qu’éliminer l’apport tardif (stade E) en colza associé pouvait être limitant (printemps 2014) en particulier quand la fin floraison est arrosée. Un travail sur le fractionnement est en cours. Le maintien de l’indice foliaire durant la phase fin floraison maturité physiologique est important pour essayer d’améliorer le poids de mille grains, composante jusqu’à maintenant très stable que le colza soit seul ou associé. Pour améliorer la productivité en grains, le nombre de grains est déterminant. Le PMG a tendance à diminuer lorsque le nombre de grains devient trop important. Il convient donc de trouver des moyens pour le maintenir, même en situation climatique non optimale. En complément et à ce jour, la fertilisation soufrée, que le colza soit seul ou associé, est identique. Cet aspect de l’itinéraire n’a pas été travaillé.

Productivité rarement défavorable à l’association

En intégrant des couverts de légumineuses au colza, on espère bénéficier d’intérêts écologiques. La compétition vis-à-vis des adventices, la perturbation des insectes, la croissance optimisée du colza, tout au long du cycle doivent aboutir à un meilleur comportement global, qui permet l’expression d’un potentiel au moins identique à celui obtenu en colza seul, mais avec un itinéraire technique réduit en intrants. Les graphes ci-contre nous montrent les écarts de productivité entre colza associé et seul, les colzas associés ayant reçu 30 unités d’azote en moins, des programmes de désherbage, voire insecticide d’automne, réduits. Certes les écarts sont faibles mais rarement défavorables au colza associé. On note la robustesse du système mis en place. On obtient autant, voire plus avec moins. Ceci est confirmé en tests pratiqués en parcelles agriculteurs (graphes ci-contre) dans le Berry.
Ces comparaisons confirment la fiabilité de cette pratique. Lorsque l’on compare le colza associé avec un itinéraire réduit (azote/insecticide/désherbage), on obtient des résultats similaires à un colza seul ayant un ITK complet. Cette réussite est complètement liée au colza installé. Dès lors que son implantation est réussie, son comportement est optimisé qu’il soit seul ou associé. De l’association sont attendus des bénéfices agronomiques et écologiques. Par effets cumulatifs ou interactions, avec l’intégration d’autres leviers, des améliorations sont espérées sur le sol et le système de culture.

Dans les zones de production où les performances tant agronomiques qu’économiques sont moyennes et irrégulières, cette évolution positive du milieu ainsi que le soin apporté à l’implantation des cultures, doivent permettre de déplafonner des rendements insuffisants. Inévitablement, l’évaluation du potentiel mis en place va influencer les prévisions en matière de fumure azotée, en particulier. Notre objectif est bien de caractériser l’évolution de la fertilité du milieu pour produire plus avec moins ou autant d’azote. Pour cela, il convient de bien connaître le devenir de l’azote accumulé et restitué par les légumineuses, au niveau du système de culture. Ce travail est en cours avec des réseaux d’exploitations en Berry en particulier.

L’introduction de légumineuses, un enjeu important

La place du colza est parfois remise en cause ou discutée dans certaines zones de production historique. Il faut trouver de nouveaux modes de production, de nouvelles sources de fertilité. On se doit d’agir sur la culture bien sûr et sa réussite passe par la sécurisation de son implantation et l’introduction de leviers nouveaux permettant d’améliorer sa croissance et son comportement face aux bio-agresseurs. L’introduction de légumineuses est un enjeu important qui doit nous faire évoluer tant au niveau itinéraire technique que productivité. Il reste des points à travailler ou à affiner tels que les phases de destruction optimales du couvert, sa quantité de biomasse nécessaire accumulée, l’évaluation de l’objectif de rendement qui peut être différent de celui d’un colza seul, le fractionnement de l’azote…

Ce changement de paradigme laisse donc entrevoir des évolutions positives concernant la culture du colza mais également les cultures l’accompagnant dans la rotation. En effet l’intégration de légumineuses au colza ne va pas à elle seule transformer les résultats habituels, mais participer, au même titre que l’introduction d’autres pratiques innovantes (couverts d’interculture, couverture plus permanente, gestion différenciée de l’interculture avec travail et non travail, allongement de la rotation quand c’est possible…) à améliorer le milieu et la productivité. Mettre en place des cultures robustes sur un sol porteur de la production doit permettre d’augmenter le potentiel dans un contexte de respect de l’environnement. Produire plus avec moins ou autant devient une obligation dans certains contextes pédoclimatiques. La modification des pratiques à l’échelle de la culture et du système doit faciliter cette réussite.


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