Eviter les dogmes et les chapelles

Frédéric Thomas - TCS n°39 - Septembre / octobre 2006

Comme si cela était inné, l’homme recherche souvent l’appartenance à un groupe, à une couleur, à une marque, à un parti politique, voire à une religion. Pourtant individualiste par nature, il trouve dans cette affiliation une certaine protection, une communication avec des personnes qui partagent les mêmes idées, mais également une forme de reconnaissance ; une identité. Si cette forme de ségrégation est bénéfique et nécessaire à l’équilibre et au développement des membres au sein des groupes, elle peut conduire, si elle est trop imperméable, à un isolement, une objection, voire des conflits. Ainsi, et trop souvent, ceux qui font différemment, ceux qui ne partagent pas le même mode de pensée et ceux qui n’appartiennent pas au même modèle sont considérés comme des opposants.

Ce mode de fonctionnement, qui dénote un manque certain de conviction et une grande faiblesse interne peut même devenir très pervers avec la désignation d’un ennemi commun, où seule l’existence du groupe se résume à une opposition systématique. Il s’agit enfin, comme tout conflit, d’un gaspillage d’énergie et d’une perte de temps. À titre d’exemple, l’arène politique excelle dans ce genre de pratique mais le milieu agricole, en y regardant bien, n’est pas mal non plus.

Les TCS et le semis direct ne sont pas en marge et des agriculteurs pionniers se sont et ont été exclus au commencement. Cette étape, alors que l’expérience était restreinte et les pratiques mal maîtrisées, a été nécessaire afin d’établir une rupture avec l’agriculture conventionnelle et s’engager sur une nouvelle voie sans influence extérieure. On a même parlé de « secte » et organisé des débats avec les « pour » et les « contre » dont l’issu a été inéluctablement stérile. Cependant, avec le recul, la meilleure maîtrise des pratiques et de nombreux exemples de réussite dans toutes les régions et tous les types de production, l’agriculture de conservation a aujourd’hui acquis suffisamment d’assurance pour s’ouvrir et considérer objectivement l’ensemble des pratiques.

En d’autres termes, il ne suffit pas d’être contre le labour ou contre les produits de synthèse ou encore contre les OGM pour pratiquer la bonne agriculture : ce qui ne sous-entend pas que ceux qui les utilisent font systématiquement une mauvaise agriculture. Il faut simplement trouver et mettre en oeuvre des approches et des modes de production performants tant économiquement qu’agronomiquement, où la nécessité et l’utilité de ces intrants ne sont pas ou ne sont plus fondamentales. À partir du moment où les bénéfices sont évidents, l’orientation ne peut que se démocratiser et l’opposition devient caduque.

Cette ouverture est également importante afin de profiter de l’expertise de tous car il n’y a pas une vérité, mais des vérités. Lorsque l’on recherche et que l’on encourage la diversité biologique, il faut également être prêt à entendre des approches divergentes, les comprendre, voire s’en inspirer. Ici comme dans la nature, les mêmes règles peuvent s’appliquer et, comme en écologie, le tout sera toujours supérieur à la somme des parties. C’est seulement en associant les connaissances et les expériences de tous que l’ensemble de l’agriculture pourra rapidement progresser et s’engager sur les chemins de l’économie, de l’autonomie dans un beaucoup plus grand respect de l’environnement. C’est d’ailleurs l’inspiration et l’objectif d’une très grande majorité d’agriculteurs quelle que soit leur appartenance.

Il est également crucial d’éviter d’établir ce même type de clivages au sein des TCSistes puisque les mêmes comportements conduisent aux mêmes dérapages. Il y a bien entendu ceux qui continuent encore de travailler un peu, voire beaucoup, le sol, les adeptes du semis rapide, les pro du semis direct et les inconditionnels des couverts. Il n’existe pas ici de source d’opposition mais plutôt une richesse d’approches et d’expériences animée par un objectif commun d’agriculture largement partagé et ce sont les échanges entre les différentes pratiques qui doivent permettre à tous de progresser sereinement mais aussi rapidement vers le mode de production qui est le plus en équilibre entre les contraintes et le goût des individus à un moment donné. Il s’agit aussi, et d’une certaine manière, d’un parcours initiatique où les erreurs sont source d’enseignement et où chacun doit se forger sa propre expérience.

Enfin, cette idée d’ouverture n’est certainement pas une démarche démagogique et il convient de rester bien campé sur ses acquis. Il s’agit plutôt d’un respect, d’une reconnaissance et l’acceptation d’idées divergentes permettant de construire un vrai débat sur les fondamentaux afin de construire ensemble l’avenir. Il faudra bien admettre un jour qu’il n’existe pas une agriculture durable mais une multitude de versions, car la diversité, elle-même, est l’un des piliers de la durabilité


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