EFFLUENTS, COMPOSTS ET AUTRES PRODUITS RÉSIDUAIRES ORGANIQUES : VÉRITÉS ET DÉSILLUSIONS

Cécile WALIGORA et Frédéric THOMAS - TCS n°72 ; mars-avril-mai 2013

S’ils sont une source de matières organiques complémentaires pour booster l’activité biologique et les propriétés du sol, les produits résiduaires organiques n’en sont pas moins le moyen d’apporter des éléments minéraux supplémentaires et, entre autres, de l’azote. Cependant, bien qu’il soit logique de les considérer comme des produits fertilisants, ces matières organiques ne seront jamais des engrais. Entre des produits de valeur plutôt fertilisante ou plutôt amendante, toute la subtilité consiste à savoir où placer le curseur.

L’étude que nous vous proposons pour entrer dans le vif du sujet date des années 1990- 2000 et porte sur l’évolution d’effluents d’élevage, de boues de station d’épuration (STEP) et de produits organiques compostés (figure 1). L’analyse a été faite en conditions contrôlées de laboratoire (température de 28 °C et humidité constante) et a consisté à suivre, dans le temps, l’évolution dans un sol de ces produits au travers du taux d’azote organique, lui-même pourvoyeur d’azote assimilable par les plantes, qu’on appelle aussi azote facilement minéralisable (ou disponible).

Les chiffres entre parenthèses à côté des différentes catégories de produits organiques indiquent le nombre de ces mêmes produits : 48 effluents d’élevage analysés, 15 boues de STEP et 17 composts. Si ces résultats sont issus du laboratoire donc en conditions contrôlées, aux dires des chercheurs interrogés, on peut néanmoins extrapoler la tendance à ce qui peut se passer au champ, sachant que les conditions réelles seront toujours amplifiées. Qu’observe-t-on ? Trois types de produits organiques au comportement distinct :
- des effluents d’élevage comme les fumiers, plus ou moins carbonés dont l’évolution peut aisément partir dans tous les sens ;
- les boues de STEP dans lesquelles on pourrait aussi intégrer des lisiers donc des produits très liquides, peu carbonés et dont l’évolution est aussi peu prédictible  ;
- les composts, produits évolués par définition où les courbes d’évolution, plus « plates », reflètent un comportement beaucoup plus prévisible mais aussi dont les retours azotés sont beaucoup plus faibles, voire quasi nuls.

Ainsi, bien que l’on puisse les caractériser (comme nous le verrons plus loin), les mettre dans des grands groupes de tendance, il faut accepter la difficulté de prévoir précisément le moment et le niveau de retour minéral d’une grande majorité de ces produits organiques. Aussi, quels qu’ils soient, même s’ils peuvent être transformés en valeur minérale et, entre autres, en azote sur le papier, ils auront toujours un retour « fertilisant » difficilement prévisible et fortement influencé par le climat et les pratiques culturales.

Toujours d’après cette première figure, on peut remarquer que parmi les effluents d’élevage analysés, la moitié a un effet négatif avec une réduction de 40 %, voire 50 % de l’azote apporté, sachant qu’on est sur une échelle de 50 jours normés. En fonction de sa composition et notamment de son rapport C/N, on peut certes prévoir que l’effluent va plutôt redonner assez rapidement de l’azote ou, au contraire, en prendre mais il est certain que prévoir son retour minéral s’avère très farfelu. Il faut surtout apprendre à en limiter les « défauts » (le risque le plus important étant les faims d’azote) et savoir fermer le système pour en limiter les pertes.

Dans les régions où d’importantes fuites de nitrates se produisent, l’erreur est justement de toujours considérer les effluents comme des engrais ! Pour les boues, assimilables à des lisiers, la tendance est la même. On a certes plus de retours azotés positifs mais on peut aussi avoir, temporairement, des préemptions d’azote (courbes qui plongent). Prévoir le retour minéral de ce type de produit est là aussi très difficile. On observera aussi que l’échelle passe, ici, à 150 jours normés. Nous sommes donc loin d’être face à des produits « normés » ; leur évolution dans le sol est trop dépendante, bien sûr, de leur composition mais des conditions climatiques, d’application et de bien d’autres paramètres.

Pour les produits compostés, c’est très différent. La stabilité est reine. Cela vient du principe même du compostage. Peu importe la composition du produit organique de départ, le compostage engendre un produit homogène, ayant perdu toute son énergie ou, si vous voulez, son carburant.

Rappelez-vous, dans le dernier dossier traitant des matières organiques du sol, les MOS (TCS n° 67 de mars/avril/mai 2012), nous avions retenu l’image donnée par Xavier Salducci, de CelestaLab : le sol est comme un véhicule. Pour fonctionner correctement, il a besoin de trois choses :
- un carburant : les MOS ;
- un moteur : la BM (biomasse microbienne),
- une transmission : les activités de cette biomasse. Le rôle de l’agriculteur se résume, d’une part, à fournir un carburant de qualité et de manière continue, nécessaire pour que son « sol-véhicule » donne toute sa puissance et d’autre part, de protéger cet ensemble. Avec le compost, le carburant n’est plus vraiment là…

Un peu de terminologie

Avant de poursuivre, il est bon de préciser de quoi on parle vraiment quand on parle de produits organiques et d’aborder un peu de terminologie. Dans de précédents articles, nous avons souvent utilisé le terme de matières organiques externes ou exogènes (MOE), en différenciation des matières organiques du sol (MOS).

Cette terminologie de MOE n’est cependant pas tout à fait juste puisqu’il n’est pas exact de parler de matières externes pour des produits organiques issus ou accumulés sur l’exploitation. On utilise donc plus volontiers le terme de produits résiduaires organiques, en abrégé PRO. On y distingue tous les produits organiques d’origine urbaine, industrielle ou agricole ayant subi ou non des traitements (boues, composts, effluents agro-industriels, effluents d’élevage, digestats, BRF…).

La biomasse microbienne au coeur de l’évolution des PRO

Lorsqu’il entre en contact avec le sol, un PRO, quel qu’il soit, subit les mêmes processus de transformation ou d’évolution que les MOS. Il devient, d’ailleurs, MOS… La figure 2 résume parfaitement bien cette évolution. Vous pouvez également vous référer à nos précédents dossiers sur les MOS, notamment celui paru dans le TCS n° 46 de janvier/ février 2008 où nous identifions ces MOS et comment elles se dégradent dans le sol.

La biomasse microbienne (BM en abrégé) est au coeur de ces transformations. Petit aparté sur la BM. Contrairement à ce que certains peuvent annoncer, il ne faut pas croire qu’il existe des sols morts ou qui le sont devenus par de mauvaises gestions humaines. Un sol n’est jamais complètement mort et même s’il peut avoir considérablement perdu en matières organiques, la vie biologique, au travers de la faune et de la flore du sol, est toujours présente. Parfois en sommeil, elle ne demande qu’à fonctionner et la moindre nourriture/ énergie mise à sa disposition et c’est une explosion, en un rien de temps, d’une activité biologique adaptée à ce qu’on lui apporte ! À l’image, quelque part, du levain en boulangerie ! La parenthèse étant fermée, rappelons donc, très brièvement, les principales étapes de transformation et de réorganisation des PRO dans un sol. Les grosses molécules constitutives se transforment en éléments les plus simples. Elles sont ainsi cassées, mâchées, « miniaturisées  » pour aboutir à la production d’éléments minéraux simples pouvant alimenter les micro-organismes du sol et les plantes. C’est bien d’abord le sol qui est nourri ! À propos, les PRO ne fournissent pas seulement du C, du N, du P ou du K (pour faire simple) mais ils sont aussi d’intenses pourvoyeurs de macro-éléments (S, Ca, Mg) et d’oligo-éléments (fer, zinc, molybdène, cuivre, bore, manganèse) en fonction de leurs origines. De plus, toutes les molécules constitutives des PRO ne sont pas « digérées » à la même vitesse. Ce sont, tout d’abord, les sucres qui sont consommés (ils fournissent l’énergie première à la BM) puis des composants de plus en plus « coriaces » : hémicellulose, cellulose puis lignine.

De manière concomitante aux étapes de minéralisation, les plus petites molécules sont aussi réorganisées en de plus complexes, regroupées sous le terme générique d’humus mais fort d’une multitude de grosses molécules variées. La grosse différence est que cet humus est beaucoup plus « stable » (même s’il se dégrade aussi) que les éléments issus de la minéralisation primaire. La nature même du sol a peu d’influence sur ces processus. Bien entendu, il est toujours mieux d’avoir suffisamment de particules d’argiles pour fixer les particules humiques et former ainsi le fameux complexe argilo-humique (CAH). Il est aussi très important d’avoir une structure de sol aérée avec une bonne circulation de l’eau et de l’oxygène. Néanmoins, ce qui agit surtout sur la vitesse de transformation des MOS et donc sur l’activité de la BM, ce sont la température et l’humidité.

D’où l’existence de « saisons de minéralisation », plutôt au printemps et à l’automne. Et puis, bien entendu, l’action de l’homme qui a forcément un impact, ne serait-ce qu’au travers des pratiques culturales comme le travail du sol, des cultures qu’il produit mais aussi d’autres pratiques comme l’irrigation (quand on apporte de l’eau en pleine chaleur, on augmente la minéralisation).

PRO fertilisants ou amendants

À l’instar des MOS, les PRO ont les mêmes fonctions « globales  » sur le sol :
- Ils agissent sur la fertilité biologique globale du sol, à travers l’activité de sa faune et de sa flore, en l’alimentant et en participant à sa diversité et son renouvellement.
- En bout de chaîne, ils participent à la nutrition des plantes (apports, stockage et mise à disposition diffuse de nutriments divers et variés).
- Mais ils agissent aussi, de manière positive, sur l’organisation du sol et ses propriétés structurantes, d’aération, d’efficience de l’eau et de stabilité.

Pour autant, et c’est ce que nous avons introduit dans ce dossier avec la figure 1, même au sein d’une même catégorie, tous les PRO ne se ressemblent pas. Leur impact sur le système sol-plante va donc s’en ressentir et leur utilisation en sera différente. Ceci s’explique très simplement. Prenons des effluents d’élevage. Leur composition et donc leur future évolution dépendent de multiples paramètres  : type d’animaux élevés, d’alimentation, de prophylaxie, de conditions d’élevage, de type de litière, etc. Pour autant, et afin de savoir où on va, il est utile de « catégoriser  » ces produits. Se dessinent ainsi deux grands types de PRO :
- Les PRO à valeur plutôt « fertilisante ».
- Les PRO à valeur plutôt amendante.

Les premiers ont pour caractéristique de fournir assez rapidement leur énergie et leur azote facilement disponible pour les micro-organismes et les plantes (même si, dans un premier temps, certains peuvent être temporairement consommateurs d’azote du sol comme nous le verrons plus loin). Ils se dégradent donc généralement assez rapidement et ont donc un impact plutôt de court/moyen terme d’où l’emploi, pour les identifier, du terme « fertilisant  ». Les effluents d’élevage peu pailleux, de type lisier ou encore des produits issus de transformations agro-industrielles peu carbonés, peuvent appartenir à cette catégorie.

Les PRO à valeur plutôt amendante ont, d’une manière générale, d’autres impacts complémentaires. Ils sont fournisseurs d’éléments mais bien sur le plus long terme car constitués, principalement, de plus grosses molécules nécessitant plus de temps (plus d’un an) pour être minéralisées. Ils viennent gonfler le VAF, volant d’autofertilité. Ces PRO participent donc à un temps de résidence plus long du carbone organique et donc de l’azote. Pour que l’activité biologique se multiplie, ils doivent trouver de l’azote et vont le trouver dans le sol au détriment de la végétation. Ainsi, si les premiers sont plutôt là pour doper, rapidement, le système en fournissant très rapidement l’énergie et l’alimentation pour la BM, les seconds viennent plutôt stabiliser le système et apporter, de manière imagée, les provisions pour l’hiver où la BM viendra y puiser ce dont elle a besoin au moment opportun. En découle notre fameux PEA, plan d’épargne en azote…

Un risque d’effet « dépressif » immédiat

Reprenons la figure 1 et complétons- la avec la figure 3 qui montre trois exemples de cinétique de minéralisation de PRO ; des vinasses et deux fumiers de bovin dont l’un est pailleux. Il faut surtout retenir de ces trois cinétiques, leur forme globale. Les vinasses, par exemple, correspondent à un PRO qui fournit très rapidement de l’azote disponible pour le sol et pour les plantes. Le fumier de bovin peut également se comporter de la même façon, tout en ayant, cependant, une cinétique de minéralisation moins rapide au tout début de sa transformation.

Lorsque ce fumier devient plus pailleux (plus riche en carbone car plus riche en cellulose), la cinétique change beaucoup. Le PRO devient même, dès le début de son évolution dans le sol, consommateur d’azote. C’est la courbe qui plonge vers le bas dans les premières semaines. Cet état est temporaire et, cet effet passé, le PRO redevient fournisseur d’azote. Pourtant, il s’agit aussi d’un fumier de bovin comme le précédent exemple.

C’est ce que les chercheurs appellent un effet « dépressif ». Le produit organique est très carboné ; il n’y a, dans le produit, pas suffisamment d’azote rapidement disponible pour les besoins de la microflore dégradante et la BM va, dans les premières semaines, puiser dans le sol l’azote minéral pour s’attaquer au carbone dégradable (sucres solubles, hémicelluloses, cellulose) contenu dans le produit. Les effluents d’élevage ne sont donc pas toujours des engrais comme on l’entend souvent. En tout cas, pas toujours dans les premiers temps. C’est pourquoi, ce genre de PRO doit être apporté bien en amont des besoins azotés d’une culture, le temps qu’il évolue et se retrouve dans un état de fournisseur net d’azote et non plus dans un état de préemption.

ISMO et C/N, deux caractéristiques des PRO

Comment donc savoir quelle valeur a un PRO ? Le rapport C/N, souvent mentionné, est un bon indicateur. Plus le C/N est élevé, plus le produit est carboné ou pailleux et plus il a une valeur amendante. Ce critère est cependant loin d’être suffisant. La recherche a beaucoup travaillé à ce niveau (dans un but de normalisation) et deux mesures permettent aujourd’hui de mieux caractériser ou « profiler  » un PRO :
- L’ISMO qui qualifie la valeur amendante du produit (auparavant, on utilisait plutôt l’ISB – indice de stabilité biochimique
- mais aujourd’hui l’ISMO, issu de plus de 400 analyses de produits, est plus fiable). L’ISMO permet ainsi de caractériser la stabilité organique du produit ou encore sa proportion de MO susceptible d’entretenir le stock de MOS. Plus l’ISMO est élevé, plus le produit permet d’entretenir ce stock, sur le long terme (voir figure 4).
- La fourniture en N du produit (disponibilité en azote pour les plantes) et donc plutôt sa valeur fertilisante. Dans les années à venir, une typologie beaucoup plus précise des différents PRO dont les agriculteurs peuvent disposer devrait ainsi se développer, sachant que cela restera toujours une approximation avec l’incertitude du climat et des pratiques culturales.

En résumé, comparé à des situations sans apport de PRO (seulement une fertilisation minérale), il est largement prouvé que des apports réguliers de PRO (en particulier des effluents d’élevage puisque ce sont principalement eux qui ont été étudiés) apportent, à terme, des suppléments de minéralisation via l’accroissement de matières organiques, en circulation, qu’ils provoquent. La majorité des essais montrent que ce supplément de minéralisation peut fournir des quantités supplémentaires annuelles d’azote minéralisé variant de 25 à plus de 80 kg/ha (après plusieurs années d’apports répétés). C’est encore cela le développement du fameux PEA ! Mais que, au sein de ces PRO, une très grande variabilité de composition et donc d’effets existent. Il vaut donc mieux parfaitement connaître ce qu’on souhaite utiliser et être clair dans ses objectifs avant d’aller plus loin.

Et les couverts végétaux dans tout cela ?

Pour le sol, il y a d’autres sources de matières organiques que ce soit au travers des résidus de cultures ou ceux des couverts végétaux (CV). À l’instar des PRO, ceux-ci entrent aussi dans les processus d’évolution des MOS dont ils viennent compléter, corriger ou amplifier les défauts et les qualités. Là aussi, leur vitesse d’évolution va dépendre de leur composition (nature des espèces végétales qui composent le mélange), de la température et de l’humidité mais aussi de l’intensité du travail du sol. Tout dépend aussi du stade de destruction du CV : plus on attend, plus le couvert vieillit et dilue l’azote dans du carbone apporté par la photosynthèse. En augmentant la biomasse produite, on augmente l’énergie disponible pour la BM mais on ralentit d’autant le retour minéral. Certaines espèces sont particulièrement pourvoyeuses d’éléments en particulier. On cite ainsi les crucifères pour le phosphore et le soufre ou les légumineuses pour l’azote.

Ceci étant dit, en moyenne, le coefficient isohumique d’un CV n’est pas très élevé. Les dernières données avancent une moyenne de 0,33 (étude Inra). Pour autant, ces résultats sont issus d’une « approche couvert » classique. Nous savons que des CV de type Biomax, capables de produire entre 3 et 7-8 t/ha de MS ont certainement plus d’impact sur le stockage de matières organiques.

Même s’ils peuvent être pourvoyeurs d’humus, les CV ont, d’une manière générale, plus un impact de court/moyen terme sur le niveau organique du sol. Ils sont plutôt des « boosters » de BM car ils sont riches en sucres. C’est de l’énergie immédiate. Apportés de manière régulière, ils viennent donc alimenter le pool biologique du sol. N’oublions pas l’impact également important des exsudats racinaires qui viennent aussi alimenter la BM. C’est certainement ici qu’ils ont d’ailleurs l’impact le plus sous-estimé en AC, d’où l’idée de semer dans un CV vivant !

L’essai présenté maintenant (figure 7) est très intéressant. Il met en exergue la complémentarité des deux sources de MOS : les couverts végétaux et les PRO.

Les CV compensent les « défauts » des PRO

Nous avons vu qu’il était bien difficile de prévoir le comportement de la majorité des PRO au champ. On peut certes prévoir s’ils sont plutôt de tendance fertilisante ou amendante mais ce qui les caractérise avant tout, c’est leur grande variabilité et même leur imprévisibilité. Les CV, au contraire et à partir du moment où on sème des mélanges de familles végétales différentes et variées, semblent plus « stables » et prévisibles. On peut même prétendre qu’ils vont venir compenser certains défauts des PRO et augmenter les retours immédiats et à moyen terme, sans à-coups.

La période de transition d’un sol vers l’AC est toujours délicate. Ces sols en transition sont loin de se satisfaire de seuls apports de résidus végétaux, même si ceux-ci sont d’importance. Il est alors bon de les aider à acquérir un statut organique plus conséquent grâce aux PRO. Mais pas n’importe quels PRO : pour un bon démarrage en AC, mieux vaut porter son choix vers des PRO très fermentescibles, riches en azote rapide, justement pour palier les soucis de faims d’azote (préemption) dont nous avons parlé et que peuvent rencontrer les agriculteurs lors du passage en travail simplifié, surtout SD. Dans le cas où vous apportez des PRO trop carbonés, votre sol ne sera pas encore capable de les digérer et vous n’arriverez pas à développer l’autofertilité recherchée.

Vous progresserez certes en matières organiques mais au risque de limiter encore plus votre disponibilité en azote. Par contre, des apports de produits de nature plus amendante, comme les composts, pourront venir en deuxième phase, en période dite « de croisière ». Ils permettront d’entretenir le système et de continuer à progresser sans risques. Dans ce cas de figure, le mulch acquis en surface viendra fournir à l’activité biologique l’énergie et l’azote et compenser les déséquilibres des PRO pour une digestion et une incorporation plus complète et plus rapide, toujours sans à-coups.

Les CV ont aussi un autre effet vis-à-vis des PRO : ils viennent atténuer certains de leurs inconvénients environnementaux comme les risques de volatilisation et autres pertes d’éléments dans le milieu.

Quid alors d’un apport de PRO sur un couvert ? Bien entendu, la réponse ici n’a qu’une vision agronomique, certainement pas réglementaire (hormis pour les composts dont l’épandage est autorisé à cette période)… Agronomiquement parlant, profiter du CV pour épandre un PRO est plutôt cohérent. Comme nous venons de le voir, et à partir du moment où le CV a un fort potentiel (implanté tôt), les risques environnementaux inhérents à l’épandage des PRO sont très atténués. La présence même du CV fait que la BM est bien active, de quoi s’occuper aussi du PRO. Disons qu’un CV performant est le meilleur des « encadrants » d’un PRO. Il y a juste un petit bémol : attention aux PRO qui auraient tendance à prélever de l’azote dans les premiers temps de leur dégradation, ils pourraient éventuellement freiner le bon développement du CV.

D’où l’intérêt d’apporter le PRO dans un CV développé parce que l’enracinement du CV est déjà descendu et sera faiblement impacté en surface s’il y a des limitations en azote. En conclusion, il est déjà important de se poser beaucoup de questions : qu’est-ce que j’attends de l’apport de matières organiques ? Où en suisje dans ma démarche d’AC ? Où en est mon sol, quel est son niveau organique ? Est-il capable de « digérer » ce que je pourrais lui apporter ? À quels PRO ai-je accès ? Quels sont leurs caractéristiques, leurs avantages et leurs défauts ? Il semble évident qu’il faut utiliser des PRO car ils sont, à terme, une source supplémentaire de minéralisation. Les premiers des PRO à utiliser sont, sans conteste, les résidus de culture et les couverts végétaux qui assurent un entretien régulier de l’activité biologique du sol. Mais une seule et même source organique ne peut assurer l’ensemble des fonctions recherchées (physiques, chimiques et biologiques). Il n’y a donc pas un PRO pour chaque réponse.

Donc, des couverts tout le temps et, surtout lorsque le sol est en transition et n’a pas encore un fort niveau organique, des apports de PRO en quantité, variés. Mais notre conseil : plutôt de nature fertilisante au départ car des PRO trop carbonés auront tendance à freiner la progression de votre système. Il sera ensuite temps d’apporter plus de carbone au sol via des PRO plutôt amendants comme les composts jusqu’à pouvoir même s’en passer. L’objectif est toujours d’arriver, en moyenne, à une autonomie, notre fameux VAF où le système n’a plus besoin d’aide extérieure. Et puis, un dernier conseil : il est illusoire de penser qu’on peut piloter avec précision une fertilisation avec des PRO. Grâce à eux, on nourrit mieux son système, on progresse vers l’autofertilité mais on ne peut prévoir avec exactitude ce qu’ils apportent vraiment et quand, car leur fonctionnement dépend de beaucoup trop de paramètres, en premier lieu, le climat.


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