En France comme ailleurs, si quelques pionniers s’étaient aventurés tôt dans la simplification du travail du sol voire le semis direct, le gros du mouvement n’a qu’une bonne vingtaine d’années. Depuis, l’évolution a été constante et soutenue pour devenir aujourd’hui une véritable lame de fond en phase de révolutionner l’agriculture.
L’adaptation des pratiques, l’acquisition d’un savoir-faire, l’arrivée d’outils adaptés et la circulation de toutes ces informations sont, bien entendu, les ingrédients majeurs de cette réussite. Cependant, et au-delà de ces fondamentaux indispensables, des événements déterminants ont fait progresser conjointement la maîtrise des pratiques et des surfaces.
Au début des années 1990, c’est le spectre de la chute des cours des céréales promis par la Pac en association avec l’arrivée sur le marché de machines de semis spécifiques et la baisse du prix du Roundup qui vont être les premiers facteurs d’engagement : c’est la recherche d’économie des coûts de production qui prime. Quelques années plus tard, c’est la qualité des sols, l’activité biologique, la matière organique, la maîtrise de l’érosion et déjà la séquestration du carbone qui complètent et prennent le relais des motivations.
Au début des années 2000, les Sud-Américains, en nous apportant la culture du couvert, des semoirs performants et une approche du semis direct mieux maîtrisée, favorisent une nouvelle extension forte des surfaces. Depuis, c’est l’AEI (agriculture écologiquement intensive) qui rassemble et soutient l’évolution des pratiques et des surfaces. En fait, avec ce concept franco-français, la simplification du travail du sol n’est plus l’objectif mais le moyen d’associer habilement couverts performants, rotations, association de cultures, en copiant et en tirant profit des processus écologiques pour non seulement limiter les coûts de mécanisation et de main d’oeuvre mais également faire pression sur l’ensemble des coûts de production comme les engrais et les phyto.
Ainsi et en plus de cette reconnaissance et de cette formidable progression sur l’ensemble du territoire, les TCS et le SD sont aujourd’hui la source de nouvelles connaissances et d’innovations qui impactent l’agriculture conventionnelle comme l’agriculture bio. Cependant et malgré tout ces progrès, c’est le strip-till (littéralement : travail localisé sur une bande) qui va vraisemblablement faire basculer durablement l’ensemble de l’agriculture vers l’AC.
Technique d’origine nord-américaine, le strip-till adapté à nos
conditions et cultures, est une forme de compromis séduisante
à un moment où il faut continuer de faire pression sur
l’ensemble des coûts de production sans pour autant sacrifier
le potentiel de rendement, bien au contraire. Dans ce nouvel
ordre technico-économique, le strip-till apparaît, pour de
nombreux TCSistes mais également beaucoup d’agriculteurs
conventionnels, comme l’approche la plus complète et la plus
rassurante :
– C’est, dans beaucoup de situations de sol en transition et
avec un trafic pouvant être pénalisant, le moyen de sécuriser
la structure mais aussi de dégager et de préparer la future ligne
de semis sans bouleverser l’ensemble du sol tout en conservant
le mulch en surface. Bien que robuste, cette approche
nécessite un certain savoir-faire et une adaptation des outils
et des interventions aux conditions de sols
et de climats.
– Par ce travail localisé, le strip-till rassure
et permet une implantation avec des
semoirs beaucoup moins spécialisés. Il est
donc plus facile de tester, de se faire la main
sans s’engager, ni investir dans des outils
complexes et souvent jugés trop spécifiques.
Avec la dissociation et l’anticipation des
passages, ce que nous préconisons dans la
majorité des cas, le strip-tiller est également
un outil plus facile à partager qu’un
semoir.
– Plus que réchauffer le sol comme c’était
l’objectif premier de cette technique, le
strip-till devient aujourd’hui un moyen
habile de localiser tout ou partie de la
fertilisation. Il est ainsi possible de créer un
milieu sans contrainte et « ultra-fertile » pour une levée
homogène et un développement précoce rapide afin que les
cultures profitent mieux, par la suite, de l’amélioration de la
qualité du sol mais aussi de la conservation de l’eau que
procure indéniablement la simplification du travail du sol.
– Historiquement, le strip-till était strictement destiné au
maïs mais son développement dans l’hexagone a permis de
constater son intérêt évident pour d’autres cultures de
printemps comme le tournesol, le soja mais aussi la betterave.
Cependant la plus grande percée du strip-till s’opère avec le
colza, où il sécurise les implantations avec à la clé des gains de
rendements significatifs en repoussant la paille, remontant un
minimum de fraîcheur pour assurer la levée tout en facilitant
le développement du pivot. Depuis deux campagnes, les
réussites sont telles que même des agriculteurs traditionnels
choisissent ce mode d’implantation beaucoup plus sécurisant
que le labour ou de multiples déchaumages.
– Le strip-till offre aussi la possibilité de repousser la
destruction du couvert avec un minimum de risque.
L’association des deux a également donné naissance au « striptill
végétal » où des bandes de couverts favorables à la future
culture alternent avec une couverture d’interrang plus orientée
sol et limitation du salissement.
– Enfin le strip-till, avec cette approche de localisation
d’interventions, induit un fourmillement de nouvelles idées
sources de progrès potentiel. La création d’environnements
très différents par le travail localisé mais aussi grâce à la
fertilisation ouvre des pistes intéressantes et en matière de
gestion du salissement : pourquoi en pas y associer en plus une
localisation du désherbage afin de réduire significativement
les IFT (indice de fréquence de traitement). En matière de
couverts associés, le strip-till peut être un outil pour piloter des
différentiels de compétitions afin d’assurer la dominance de la
culture même avec un couvert agressif. En élevage, c’est enfin
le moyen de réussir l’implantation de maïs ou toute autre
culture ou mélange fourrager sans destruction complète de la
prairie.
Ainsi, le strip-till, que l’on peut présenter comme « aussi peu de travail du sol que possible mais autant que nécessaire » est une forme de compromis habile en phase de séduire un grand nombre d’agriculteurs. Même si ce n’est pas l’idéal, c’est un grand pas vers la simplification des interventions mécaniques, le respect du sol et une ouverture vers l’AC que beaucoup risquent de franchir en toute sécurité.