Vendredi 17 juin 2016
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

A tous ceux qui veulent bannir le glyphosate

Frédéric Thomas

A tous ceux qui veulent bannir le glyphosate ! A tous ceux qui on du mal à se faire un avis sur le sujet et souhaitent une approche plus argumentée qu’une opposition radicale et idéaliste. A tous ceux qui savent garder le bon sens comme ligne directrice dans un monde influencé par la surenchère et manipulation médiatique.

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Pour aller plus loin : https://theierecosmique.com/2016/06/27/le-glyphosate-un-tissu-de-mensonge-3000-mots-20-mins/ et http://seppi.over-blog.com/2016/06/adieu-glyphosate-pourquoi-la-science-n-a-pas-d-importance-dans-l-age-du-stupide.html ; sans oublier : http://www.cestpourtantclair.com/le-glyphosate-cause-t-il-le-cancer/

JPEG - 88.9 koL’idée de ce billet n’est pas de défendre aveuglement le glyphosate et de devenir un protagoniste de plus dans ce le jeu de ping-pong médiatique mais d’apporter une position modérée et constructive. Avec ce dossier brulant où les utilisateurs peuvent difficilement s’exprimer sans devenir des « vilains méchants », l’objectif est d’essayer de faire le point pour une fois avec l’angle « agriculteur ».

Le glyphosate est premièrement un symbole fort qui permet de fédérer facilement les milieux écologistes et altermondialistes sur des cibles communes. Glyphosate = Monsanto = OGM = grandes fermes = destruction de la planète. L’amalgame est simpliste et fonctionne diaboliquement bien. Cependant il n’y a pas de cultures OGM en Europe (hormis en Espagne). Pour ce qui est du glyphosate et Monsanto, la matière active est tombée dans le domaine public (elle n’est plus protégée par un brevet) depuis 1994. Il est donc disponible en générique et massivement produit par la Chine à faible prix depuis plus de 20 ans. Monsanto comme d’autres géants de l’agrochimie, ne gagnant plus rien sur l’affaire, serait peut-être même ravi de le voir disparaître afin de le remplacer par d’autres produits protégés et plus margeant.
Décortiquer son utilisation est également instructif. : Sur environ 10 500 tonnes épandues chaque année sur le territoire 2 000 t reviennent tout de même aux particuliers et les 8 500 t restantes se divisent pour 2/3 aux agriculteurs et 1/3 pour les autres utilisations (entretien de zones industrielles, de parcs et jardins, de voiries, des rails, …). Les quantités utilisées aujourd’hui en Agriculture de conservation, surface encore très négligeable sont donc loin d’être à l’origine des principales pollutions d’autant plus qu’elles sont utilisées sur des supports très organiques et des sols biologiquement actifs.

Quel est réellement le risque du glyphosate sur la santé et l’environnement ? Bien qu’il soit difficile de se positionner sur ce point sans être un « expert », il est logique de penser que cette matière active n’est pas aussi inoffensive que prétendue par l’agrochimie. Cependant elle est utilisée depuis plus de 40 ans (1974) et de manière assez massive dans le monde entier depuis 20 ans. Si elle possédait de gros défauts ou un impact sérieux et reconnu sur les utilisateurs et/ou l’environnement, l’information aurait déjà fait le tour de la planète vue le nombre de chercheurs et d’activistes anti-glyphosate/Monsanto de par le monde, y compris aux USA.

D’ailleurs, et si l’on refait un peu l’historique, les premières attaques, il y a une vingtaine d’années, ciblaient davantage la molécule « glyphosate » en tant que telle. Avec la précision des analyses des résidus dans l’eau, c’est ensuite l’AMPA (acide amino-méthyl-phosphonique), un métabolite (molécule de dégradation) du glyphosate qui à été mis en avant ,car très présent et surtout beaucoup plus toxique. Cependant il a été prouvé récemment que ce fameux AMPA ne provient pas seulement de la dégradation du glyphosate, mais surtout des phosphonates qui ont remplacé les phosphates dans les lessives « vertes » : un comble (pour plus d’information sur ce sujet : http://www.coordinationrurale.fr/ampa-retrouve-dans-les-cours-deau-les-agriculteurs-accuses-a-tort.html)
Aujourd’hui, ce sont les surfactants qui apparaissent comme les éléments les plus dangereux. Comme ce sont souvent des tensio-actifs (évidemment utilisés dans les lessives), nous ne sommes pas prêts d’y voir clair.

Enfin, une récente étude publiée par Générations Futures et le CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique) confirme l’impact du glyphosate sur un champignon filamenteux indicateur de la santé du sol, Aspergillus nidulans : il serait toxique à des doses inférieures aux utilisations agricoles. Possible : mais que devient ce même champignon, mais aussi ses amis les vers de terre, les carabes et toute cette diversité d’activité biologique si l’on retourne et que l’on broie le sol par un travail intensif ? Vont-il également survivre sans ressource alimentaire si on laisse le sol nu sans mulch et sans végétation protectrice ? Comme le disait justement Paracelse, « c’est la dose qui fait le poison ». Analysées de manière isolées, beaucoup de pratiques culturales et de produits (de synthèse ou naturels) affectent le vivant. Cependant, il faudra bien admettre qu’il n’y a pas d’agriculture sans impact et plutôt que de se focaliser sur un seul élément, l’analyse globale doit être faite sous la forme d’un bilan pragmatique et cohérent qui évalue les risques mais aussi les bénéfices. C’est d’ailleurs cette analyse que font largement tous ceux qui pratiquent l’AC. Au quotidien ils constatent que leurs terres se portent mieux, que la vie se régénère dans leurs sols, que les écosystèmes périphériques en profitent et que l’eau est beaucoup plus propre et mieux gérée alors qu’ils continuent d’utiliser, même de manière réduite, des engrais, des produits phytos et même du glyphosate.

Un acharnement toujours à charge pour l’agriculture qui exaspère. À ce titre il suffit de reprendre l’émission Cash Investigation sur les phytos diffusée en Prime time. Ces prétendus journalistes, aveuglés par l’envie d’alarmer, n’ont même pas pris le temps de lire en entier le titre de l’étude publiée par l’EFSA (European Food and Safety Authority). Ils ont martelé que 97 % des aliments contenaient des phytos alors que cette étude dit que 97,4 % des échantillons d’aliments ne dépassent pas les limites en pesticides autorisées, avec 42,8 % qui contiennent de résidus détectables alors que 54,6 % ne contiennent aucune molécule détectable. En fait seuls 2,6 % des aliments dépassent vraiment les doses autorisées ce qui est plutôt une bonne nouvelle alors qu’elle a été présentée comme très mauvaise avec son lot d’amalgames tout faits. Voire le démenti qui est paru dans Libération : http://www.liberation.fr/desintox/2016/02/17/pesticides-episode-2-cash-investigation-a-toujours-tort_1432658
Les firmes phytos ne sont pas non plus des « saints » et elles exercent habilement et activement leur lobbying. Cependant ce jeu de poker menteur et de surenchères de toutes les parties nous éloigne définitivement de la vérité et des compromis intelligents.

L’agriculture est pour beaucoup l’arbre qui cache la forêt  : Pourquoi ne parle-t-on que timidement des 26,8 milliards d’Euros de médicaments consommés chaque année par la population française. Pourtant, ces substances actives, en partie similaires, se retrouvent aussi après épuration, dans l’eau des rivières et même dans les sols après épandage des boues. Les pilules contraceptives, ne seraient-elles pas aussi de puissants perturbateurs endocriniens qui mériteraient d’être regardées de près ?

Enfin, l’incohérence passe presque inaperçue. À ce titre, le Ministère de l’Écologie qui a fait du dossier du glyphosate un sujet stratégique n’hésite pas, tout en prônant la transition énergétique, de prolonger la vie du parc nucléaire de 10 ans. Il est vrai que ce type d’énergie ne présente aucun risque et qu’il ne produit aucun déchet ; alors pourquoi s’inquiéter ?

Enfin la profession est presque divisée sur le sujet et hésite à défendre le dossier. Il y a bien entendu une lassitude, le poids des crises à répétition mais surtout la peur d’affronter encore l’opinion publique et d’amplifier une mauvaise image. Plus insidieusement, certains voient également dans cette interdiction le moyen de contraindre le développement de l’AC qui est, paradoxalement, perçue par beaucoup comme une agriculture peu consommatrice d’intrants, d’énergie et même d’équipements (cf : http://agriculture-de-conservation.com/LA-REVUE-TCS-ET-L-AGROECOLOGIE-2129.html). Même si c’est le glyphosate qui a permis la minimisation voire la suppression de tout travail du sol, ce sont aujourd’hui ces réseaux qui travaillent activement à en limiter l’utilisation ainsi que beaucoup d’autres phytos (dossier glyphosate : http://agriculture-de-conservation.com/APPRENDRE-A-LIMITER-L-UTILISATION.html). Ce sont encore ces réseaux, sans aides ni soutiens, qui apportent aujourd’hui beaucoup de solutions aux contraintes techniques, économiques mais également environnementales, sans parler du renouveau, de l’avenir et de l’enthousiasme. Ce sont d’ailleurs ces mêmes agriculteurs, sans attendre que le Ministère de l’agriculture face l’apologie de l’agroécologie, qui développent et mettent en œuvre tous les jours sur leurs fermes et pour le bénéfice de tous, des pratiques qui s’appuient sur les fonctionnalités du vivant. Vu sous cette angle et même si l’on met une note très négative au glyphosate, il y de grande probabilité que l’Agriculture de Conservation soit, sans être totalement vertueuse, l’une des voies les plus intéressantes aujourd’hui au regard de sa cohérence d’ensemble et des solutions qu’elle apporte globalement face aux grands défis : du réchauffement climatique (4 pour mille) à la biodiversité, de la préservation des sols à la qualité de l’eau ou de la production abondante et compétitive de produits alimentaires de qualité et matériaux renouvelables tout en participant à l’entretient du paysage et au maintien d’activités économiques dans le monde rural. Comme les antibiotiques, le glyphosate ne doit pas être automatique mais l’interdire complètement serait un mauvais signal mais aussi une grave erreur qui pourrait même ruiner des années d’efforts et l’espoir pour beaucoup d’une autre agriculture.

Bannir le glyphosate ne serait en fait qu’une grande victoire politique pour des petits groupes d’activistes, mais sans réel impact sur l’environnement avec même le risque d’une augmentation des consommations de phytos. Sans remettre une carte blanche à Monsanto avec une ré-homologation sur 10 ou 15 ans, le courage politique et le bon sens seraient d’encadrer et même de restreindre son utilisation à des usages stratégiques dans des systèmes aux bénéfices avérés et mesurés. Le pragmatisme recommanderait également de mettre en place des études pour affiner la connaissance de ces bilans afin de ne plus retomber à l’avenir dans les mêmes affrontements d’idéologies que ce soit pour le glyphosate ou pour tout autre produit.

Enfin, le dossier du glyphosate, qui est un sujet qui nous touche directement et dont nous avons une certaine connaissance des éléments, n’est malheureusement qu’un exemple parmi tant d’autres. Il est le reflet de la déliquescence de notre société où l’autorité est battue en brèche et où les institutions comme la science ont perdu beaucoup de crédit et de confiance. À l’explication claire et pragmatique qui devrait être de rigueur, on préfère ce théâtre politico-médiatique qui oppose et accentue les fractures plutôt que de fédérer.

En jouant avec l’écologie au quotidien sur nos fermes, nous savons très bien que la vérité n’est pas dans les choix extrêmes mais dans des compromis habiles. Comme dans la nature et dans les champs, la diversité est nécessaire et c’est la clé de voûte de la résilience. Cette notion de diversité est également applicable aux réflexions et opinions et si les extrêmes de toutes sortes sont importants comme indicateurs et clignotants, la gouvernance doit cependant rester à la majorité silencieuse qui doit « faire » au quotidien.

Pour illustrer ce propos voici une comparaison de pratiques culturales dans les Pyrénées Atlantiques.

Deux parcelles voisines dans les Pyrénées Atlantique

  • Comparaison de deux parcelles dans les Pyrénées (...)

Dans ces limons très fragiles et battants, le sol nu (labour à gauche) laisse la terre exposée aux intempéries. Le sol est fermé, il respire difficilement et l’eau qui aura du mal à rentrer risque de ruisseler pouvant même entrainer de la terre (érosion) qui polluera les rivières. Sur la partie de droite, le couvert végétal d’interculture a été roulé et terminé avec 1,5 l/ha de glyphosate. Ce mulch protecteur préserve le sol de l’impact de la pluie mais va aussi en limiter l’échauffement pendant l’été. Il permet également l’installation d’une vie à la surface du sol et limite même la germination des adventices.

Au regard de cette expérimentation merci de répondre aux 10 questions suivantes :
1) Dans quelle partie de la parcelle l’eau de pluie mais aussi l’eau d’irrigation peuvent-elles le mieux s’infiltrer ?
2) Dans quelle partie je risque le moins de ruissellement et d’’érosion ? Sachant que 1 mm d’eau qui ruisselle représente 10 000 l/ha, ce qui peut représenter beaucoup d’eau à l’échelle d’un Bassin versant ;
3) Dans quelle partie de la parcelle la technique employée limite le plus l’évaporation ?
4) Sans être un expert, dans quelle partie de la parcelle j’ai des chance de stocker le plus de carbone et de répondre au projet de la COP 21 : le 4/1000 ?
5) Toujours sans être un expert : dans quelle partie présentez-vous une forte économie de mécanisation et donc d’émission de CO2 ?
6) Dans quelle partie je risque d’utiliser moins d’engrais et d’irrigation pour emmener ma culture à une productivité maximum ?
7) Dans quelle partie, vais-je utiliser beaucoup moins de désherbants et ce sans avoir recours à du binage ?
8) Si je me mets à la place d’un ver de terre, d’un carabe ou d’un champignon mycorhizien et que j’imagine que la parcelle de gauche a été intensivement travaillée, dans quelle partie ai-je le plus de chance de survie ?
9) Toujours si je suis un organisme vivant dans ou sur le sol, dans quelle partie vais-je passer un meilleur été ?
10) Imaginez maintenant être une perdrix ou un vanneau ayant établi son nid dans la parcelle au mois de mai. Dans quelle bande vais-je certainement nicher pour voir éclore ma progéniture ?

Merci d’avoir été jusqu’au bout de ce questionnaire. Vous n’êtes pas encore un expert mais vous avez commencé à approcher les risques agricoles en termes de bilan et vous pouvez comprendre maintenant que les éléments sont plus complexes et surtout pas blancs ou noirs.

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