Lundi 28 octobre 2019
Christophe Barbot

Conseiller en agronomie à la Chambre d’Agriculture d’Alsace.
Pour Christophe BARBOT, les matières organiques du sol n’ont presque plus de secrets. Travaillant près de Strasbourg, il observe aussi ce que font nos voisins germanophones, Suisses, Autrichiens ou Allemands.

Construire son sol avec du "vert" et des microorganismes

JPEG - 138.9 ko JPEG - 131.6 ko

L’approche de Christine Jones (*) sur le carbone liquide rappelle qu’il faut soigner les mycètes des racines et intensifier la présence des plantes qui exsudent et ne pas épuiser les systèmes racinaires avec une pratique du pâturage intensif, mais plutôt le limiter dans le temps ("Mob-Grazing") pour laisser le temps aux plantes de faire pousser leurs racines.
Les mycètes, durables et discrets opérateurs, consommateurs de carbone coriace à digérer, ligneux, sont des acteurs lents mais efficaces et gourmands en carbone lent.

Des familles différentes

Tous les véritables champignons appartiennent au groupe des eumycètes et se répartissent au sein des basidiomycètes, comme les amanites ou, pour quelques-uns, parmi les ascomycètes, à l’exemple des morilles ou des truffes. Deux groupes sont communément appelés « champignons » mais n’en sont pas au sens strict du terme : les myxomycètes et oomycètes (plus proches génétiquement des algues brunes) . Présents dans le registre fossile depuis 450 millions d’années (Silurien), ils ont colonisé presque tous les milieux terrestres et même aquatiques en eaux douce, saumâtre et même marine (via des symbioses avec des algues parfois). Les premiers champignons mycorhiziens de type gloméromycètes ont raisemblablement aidé les premières plantes terrestres à coloniser les terres émergées.

Un sol vivant, un milieu sain pour une plante saine

Ainsi un sol surchauffé durant la saison culturale avec des températures supérieures à 30°C est en dysfonctionnement avec une suroxydation et un nid pour des thermophiles pathogènes, milieu impossible pour les mycètes ! De plus un milieu trop riche en ions est contre-productif pour la vie du sol. Une plante perd beaucoup d’énergie métabolique à gérer un excès de nitrates dans le sol, qu’elle est obligée d’absorber avec le flux de sève brute (eau+ ions) et de stocker dans ses vacuoles puis ensuite de métaboliser, au lieu d’assimiler directement des métabolites secondaires (peptides, acides aminés) issus des mycètes du sol.

Catabolisme et Anabolisme dans les sols, et pas seulement Catabolisme !

Un rééquilibrage du ratio Bactérie/Champignons plus favorable à l’humification est à opérer. L’activité biologique des sols est bien plus efficiente pour les plantes quand ce rapport est équilibré (proche de C/B = 1), car le milieu est alors riche en métabolites secondaires (peptides, saccharides) et pauvre en nitrates, et ces métabolites permettent aux plantes de ne pas gaspiller trop d’énergie métabolique pour se construire elles-mêmes.
En milieu naturel, la majorité de l’humus utile lent du sol, favorable à l’activité biologique est formé par les micro-organismes et non par « héritage » via la fixation physique au complexe argilo-humique. On peut le vérifier en observant le sol : test bêche pour apprécier le niveau d’agrégation biologique des sols, « étayage vivant » par colles et carbone structurant.
Pour développer les champignons microscopiques en grandes cultures, on doit fournir suffisamment de carbone à digérer et encourager "les bonnes pratiques" de bio-stimulation des micro-organismes dont le thé de compost, ce qui permet de "gagner du temps" dans ces cycles longs du carbone, et augmenter le taux de MO deux fois plus vite.... De plus, un stockage de l’azote organique par ces mycètes est "ultra-efficace" (1 kgN acide aminé champignon = 3 kg N synthétique ).
Donc l’objectif de salut des activités agricoles par des politiques publiques devrait être le maintien durable des taux de matières organiques dans les sols au-delà de certains seuils (sables 2% limons 3% argiles 5%....) et pour la durabilité des écosystèmes, c’est CAPITAL. Et sur 30 ans, pas un système incitatif sur 5 ans ....Donc un véritable contrat sociétal de génération.

Optimiser les services rendus par les sols

Voilà pourquoi il faut soutenir ses sols par les couverts végétaux et le "Carbone liquide", intensifier les exsudats racinaires (sol toujours "vert", ponts "verts") et les plantes qui font beaucoup de racines dans le sol, et qui apportent une grande diversité de familles de plantes.... L’emploi de ferments EM qui permettent d’orienter le système microbien et de booster le réveil des micro-organismes qui anabolisent (synthèse du vivant) pour augmenter la fertilité organique et le stockage d’azote libre par voie microbienne.
Développer les champignons en grandes cultures c’est aussi abandonner à terme le labour...
L’agroécologie qui conserve et qui régénère, c’est la mise en œuvre de systèmes de culture avec une optimisation des services rendus par les sols.

(*) Un article sur l’approche "Carbone liquide" développée par C. Jones est paru dans TCS n°104 de septembre/octobre 2019

Pour mieux comprendre le rôle de la matière organique du sol dans le stockage à long terme du carbone et sa réponse aux changements du climat mondial et de la chimie atmosphérique, voici un article d’intérêt (pour accéder au contenu, cliquer sur le logo ci-dessous).

MCP = Pompe microbienne carbonée
MCP = Pompe microbienne carbonée

Voici, enfin, les fichiers pdf correspondant aux images d’introduction de cet article (poster humus des sols).
Poster Humus page 1
Poster Humus page 2