Lundi 19 octobre 2015
Thierry Stokkermans

Originaire du Sud-Ouest de la France, Thierry STOKKERMANS a travaillé en Espagne, Nouvelle-Zélande et Australie avant de s’installer aux Pays-Bas. Convaincu par le semis direct à faible perturbation, il conçoit et développe aujourd’hui des machines agricoles (zip drill).

L’étiquette “no-till” cultive l’ignorance

Semis direct Pays-BasLe sol et sa gestion ont un effet sur le climat et sur la qualité de l’eau. Et les surfaces arables ont un grand rôle à jouer. Le no-till, ou semis direct en français, a sans aucun doute un effet positif. Ce dernier se développe et les agriculteurs choisissent le semoir et le système qui leur convient le mieux. Mais dans la multitude des systèmes et des machines, les scientifiques du sol ne font pas la différence et, par conséquent, les politiques ont du mal à s’orienter et à acter.
Les éléments semeurs, soit la partie mécanique qui met les graines dans le sol, ont des modes d’action et des conséquences sur le sol très différents. Certains forment le sillon en enfonçant le sol, d’autres lèvent la terre pour la laisser retomber derrière et d’autres encore la projettent sur les côtés. Très vite, l’agriculteur s’aperçoit qu’il y a plus de diversité entre les machines de semis direct qu’entre les charrues.
Ces différences ont des effets sur les cultures, les résultats économiques, l’évolution du sol et les différentes fonctions du sol. Les aspects cultures et résultats économiques ont été et sont étudiés. A ce niveau, les différences entre un double-disque, un soc droit ou un Bioblade/Crossslot sont connus. Par contre, ces différences ne sont pas connues au niveau des fonctions « lutte contre le changement climatique » et « qualité de l’eau », voire ignorées. En effet, les scientifiques du sol regroupent toutes les machines et les systèmes sous une même étiquette « No-till ».
Lors d’une récente analyse de plusieurs travaux de recherche, des scientifiques du sol ont présenté un article dans lequel ils expliquent que le « no-till » peut séquestrer de 0 à1000kg-de-C/ha/an avec une moyenne à environ 300kg/ha/an et ceci sans trop d’explications. Mais ces résultats frappent de part leur différence. Avec 1000kg-de-C/ha/an, l’objectif des 4 pour 1000 est largement atteint voire dépassé, alors qu’avec 0kg-de-C/ha/an, c’est le statu quo. Lors de la dernière conférence sur le sol de l’université de Wageningen (Wageningen Soil Conference), les scientifiques ont longuement parlé de l’augmentation du taux de matière organique et des conséquences sur le climat et la qualité des eaux. Entre autres, ils ont évoqué le semis direct et les amendements organiques comme solution. En matière d’amendements organiques, les scientifiques font la différence entre les différents produits. Par exemple ils comparent compost, fumier de bovin et fientes de poules. Mais en matière de semis direct, il n’y avait pas de différence de faite : tout rentre dans la boîte No-Till. Et, comme dans l’article cité ci-dessus, les différences trouvées sont grandes et restent inexpliqués.
Néanmoins, sur le terrain, il est possible de voir que les machines de semis direct ont les effets suivants sur les fonctions « lutte contre le réchauffement climatique » et « qualité des eaux » :
Accélération de la minéralisation de la matière organique :

-  Les différents éléments semeurs bouleversent plus ou moins le sol et activent les bactéries qui minéralisent le sol.
-  A priori, les socs droits brulent plus de matière organique que les systèmes à disques.
Limiter la respiration-inutile/production-de-Dioxyde-de-Carbone :
-  Un gramme de sol (soit environ une cuillère à café) contient environ 10 millions d’êtres vivants (bactéries, nématodes, graines, …). La grande majorité est invisible à l’œil nu. Et une grande partie dort en entendant un moment propice à leur réveil et à leur multiplication.
-  Le passage du semoir peut provoquer une augmentation de l’intensité de la vie du sol. Par exemple, certains êtres vivants vont se réveiller et se multiplier. Réveil et multiplication sont des activités intenses qui provoquent une augmentation de la respiration et donc du rejet de Dioxyde de Carbone, gaz à effet de serre.
-  A priori, les semoirs qui remuent beaucoup le sol provoquent plus de respiration et de production de Dioxyde de Carbone que les modèles à faible perturbation du profil.
Conservation de l’humidité :
-  L’humidité est un facteur important dans l’humification. En effet, les terroirs humides produisent plus et plus facilement de l’humus que les terroirs secs. Par conséquent, un sol qui garde l’humidité a plus de chance de voir son taux de matière organique augmenter.
-  Les résidus laissés en surface ont un effet couverture et gardent l’humidité dans le sol alors que les sols nus sèchent avec le vent et le soleil.
-  Les semoirs de semis direct laissent plus ou moins de résidus en surface, ce qui, à priori, a un effet sur l’humification des matières organiques fraiches.
Limiter l’évaporation :

-  La vapeur d’eau est l’un des gaz à effet de serre. Et, à priori, lorsque le semoir laisse les résidus végétaux en surface, cela protège le sol de l’évaporation et donc limite la formation de ce gaz.
Effet Albédo :

-  Les couleurs sombres exposées au soleil absorbent de la chaleur. Alors que les couleurs claires reflètes la lumière et « renvoient » la chaleur dans l’espace, tel que la banquise par exemple.
-  De manière générale, un sol exposé absorbe plus de chaleur que les résidus de surface. Et par conséquent, les semoirs qui projettent la terre vont plus provoquer d’Albédo que les semoirs à faible perturbation du profil.
Entrée de Carbone :

-  Actuellement, il y a trop de Carbone dans l’air (sous forme de Dioxyde de Carbone) et il est possible d’en stocker dans le sol.
-  Par la production de biomasse, les plantes absorbent du Dioxyde de Carbone et fabrique de la matière organique. Et, plus un champ produit de biomasse, plus il extrait du Dioxyde de Carbone de l’atmosphère.
-  Tous les semoirs ne sont pas égaux en matière de production de biomasse. Les principaux facteurs sont l’enracinement des plantes (un sillon peut être compacté et le rester pour la saison par exemple), la disponibilité des nutriments (la localisation de l’engrais peut être plus ou moins efficace) et la disponibilité de l’eau (certains semoirs assèchent plus le sol que d’autres).
-  A priori, un semoir qui donne un bon environnement biologique à la plante permet une plus grande entrée de Carbone par une production végétale plus importante.
-  Ici, la notion de bon environnement biologique vaut aussi bien pour les engrais verts que pour les cultures de vente ou que pour les prairies. En effet, la semence, les plantules et les racines des différentes plantes ont des besoins de bases similaires.
Pénétration de la pluie :

-  L’eau est un élément indispensable à la vie du sol et cette dernière cherche à « récolter » autant de pluie que possible, c’est pourquoi la surface d’un sol vivant est très poreuse avec de nombreuses galeries.
-  Les semoirs ont un effet plus ou moins important sur l’horizon supérieur et peuvent casser cette porosité et limiter l’infiltration de la pluie.
-  La pluie qui n’a pas pénétré va soit ruisseler soit s’évaporer.
Fixation des agrégats du sol :

-  L’érosion hydraulique, soit l’eau qui court sur le champ en arrachant de la terre, est un vecteur de pollution des eaux de surfaces, tel que les lacs et les rivières.
-  La vie du sol construit une structure solide et robuste pour résister aux intempéries et les semoirs les plus agressifs vont casser une partie de la structure et la rendre vulnérable à l’érosion.
En lisant les points évoqués ci-dessus, il est possible de comprendre qu’un semoir qui perturbe peu le sol et qui donne un bon environnement biologique est/sera plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique et améliorer la qualité des eaux. La grande diversité des semoirs et des systèmes explique (en partie ou en totalité) la diversité des mesures des scientifiques qui vont de 0kg-de-C/ha/an à 1000kg-de-C/ha/an.

Lutter contre le réchauffement climatique et améliorer la qualité des eaux est un souhait/besoin de la société et les politiques vont dans ce sens en France et aussi à l’étranger. Pour déterminer des plans d’action et des budgets, les fonctionnaires aiment avoir des données chiffrées et de l’information de pointe. Néanmoins les publications scientifiques prennent un dangereux raccourci en mettant tout le semis direct dans une seule et même boîte et, ceci, sans en expliquer les différences.
Le semis direct propose des solutions simples, efficaces et économiques pour augmenter le taux de matière organique, lutter contre le réchauffement climatique et améliorer la qualité des eaux. Néanmoins, tous les semis directs ne sont pas égaux, certaines machines et certains systèmes sont plus performants que les autres. Pour que les politiques puissent favoriser et/ou rémunérer les meilleures solutions, il est important que leurs effets (positif ou négatif) soient mieux connus et caractérisés. Il semble opportun voire nécessaire, d’investir dans la recherche pour observer les effets, les caractériser et les quantifier.
Le semis direct, « No-Till » en anglais, n’est pas unique mais multiple. Certains semoirs sont conçus pour projeter beaucoup de terre, d’autres sont testés pour impacter le moins possible le sol. Certaines machines sont dessinées pour être faciles à tracter, d’autres sont étudiées pour donner le meilleur environnement à la graine et à la plantule dans le but d’augmenter les rendements. Toutes ces différentes technologies ont un effet sur le sol qui va évoluer de façon différente sur le moyen et le long terme. Les agriculteurs, les agronomes et les biologistes ont compris cela et font la différence entre les différentes technologies. Les scientifiques du sol n’ont, pour l’instant, pas fait cette différence qui est pourtant nécessaire et bien réelle. Il est important que ce travail de différenciation soit fait. Il est important de définir, caractériser et mesurer ces effets dans le but d’informer mais également de favoriser et, éventuellement, rémunérer les bonnes pratiques.