Un essai complet
Depuis douze ans, un terrain, divisé
en 30 parcelles élémentaires
de 12 m sur 25 m (dix modalités
répétées trois fois), est
consacré à l’étude comparée
d’itinéraires techniques avec
plus ou moins de travail du sol :
des implantations traditionnelles
avec un labour à 25 cm
de profondeur et un semis avec
un combiné herse rotative-semoir,
à l’exception du maïs qui
est semé en décomposé ;
des implantations en TCS
profond associant un passage
d’ameublisseur à un outil à rotor
horizontal (Semavator ou
Semexact) et, depuis 2006, un
chisel, outil polyvalent davantage
représentatif des usages
locaux ;
des implantations en semis
direct avec un SD 3000 Kuhn,
à l’exception du maïs qui est
semé avec un rotasemis travaillant
sur 20 cm de large et
8 cm de profondeur (un des
précurseurs du strip-till). Les
cultures sont fertilisées selon
quatre modalités : une fumure
minérale intégrale, une fumure
minérale combinée à un apport
de 40 t/ha de fumier de bovins
sur le maïs tous les quatre ans,
un apport annuel de 6 t/ha de
fumier de volaille ou de 25 m3
de lisier de porcs. Il est à noter
que seuls les blocs labour et
TCS reçoivent les quatre types
de fumure, le semis direct ne
bénéficiant que du minéral ou
du fumier de volailles.
Toute une batterie de tests sur les propriétés physiques des sols et la dynamique de l’eau est menée depuis les débuts de l’essai, en partenariat avec l’Inra de Rennes, et a permis de caractériser les différences de structure du sol. Sans surprise, un sol non travaillé est plus compact qu’un sol travaillé en labour ou en TCS, ce qui peut induire un ralentissement des flux d’eau dans les couches superficielles du sol. Cette perméabilité plus faible en semis direct se traduit, comme le souligne M. Heddadj, par « une vitesse d’infiltration de l’eau de pluie plus lente, mais qui ne modifie en rien le volume de sol humecté par rapport à un sol travaillé », comme l’ont montré les travaux de Didier Michot. Pour résumer, la densité apparente du sol n’est pas un facteur explicatif suffisant pour indiquer la capacité d’infiltration d’un sol ; d’autant moins d’ailleurs que dans un sol non travaillé, la porosité varie fortement à l’échelle du cycle cultural en fonction de l’activité lombricienne, maximale entre les mois de mars et de mai ; par conséquent une moyenne annuelle est sans doute peu pertinente. Enfin, à partir du moment où le sol n’est plus travaillé, la gestion du trafic pour éviter des phénomènes de tassement dus aux passages des engins devient prépondérante puisqu’aucune opération de rattrapage n’est envisagée.
Ainsi que l’ont montré les mesures de ruissellement en grandes parcelles et les simulations de pluie sur placette, « la rugosité du sol, son taux de recouvrement par les résidus, et tout obstacle qui peut ralentir la lame d’eau est favorable à l’infiltration et réduit par conséquent les phénomènes de ruissellement et donc d’érosion et de transfert de polluants ».
À ce titre, le semis direct est clairement identifié comme un moyen efficace d’augmenter la stabilité structurale et de réduire l’érosion. Pour l’effet sur la matière organique, « même si pour l’instant il n’y a pas de grandes différences en ce qui concerne le stockage du carbone, cette technique favorise la concentration de la matière organique dans les cinq premiers centimètres du sol, zone très sensible à la désagrégation du sol et pouvant jouer un rôle important sur la capacité de ce dernier à infiltrer l’eau. » Par conséquent il n’y a pas de constat d’une aggravation des pertes de pesticides par ruissellement ou d’azote par lixiviation (confirmation des travaux de Jean-Luc Forrler de la CA de Moselle) et qu’au contraire, comme l’érosion est limitée, il y a moins de transferts de phosphore. Il ressort de la série de mesures et d’études réalisées en partenariat avec l’équipe de Daniel Cluzeau de l’Université de Rennes 1, que les lombriciens font partie des acteurs principaux de la structuration des sols. À la fois en aérant le profil et en améliorant la capacité de circulation de l’eau dans les sols non travaillés, mais aussi en produisant des déjections fertiles et résistantes à la dispersion. Le suivi des populations de lombrics a confirmé les nombreuses études sur le sujet, à savoir que le non travail du sol favorise les populations de lombrics, à la fois en quantité et en diversité. Par contre et sans trop de surprise, les résultats indiquent qu’il n’y a pas de différence entre le TCS profond au chisel et le système labouré, peu importe la façon dont le sol est travaillé, plus que le retournement, c’est l’intensité et la répétition que n’apprécient pas les vers de terre. L’importance des retours organiques a également été montrée, puisque les populations lombriciennes augmentent avec les quantités moyennes de carbone organique apportées, depuis un apport de lisier (130 kg/ha/an de C) jusqu’au fumier de volaille (2 300 kg/ha/an de C). L’effet du lisier est moins favorable au développement des vers de terre en raison non seulement de sa teneur en carbone moins élevée mais aussi des effets toxiques des composés ammoniacaux qu’il contient. Néanmoins, le fumier de bovins apporté tous les quatre ans (220 kg/ha/an de C) est quasiment sans effet sur l’abondance lombricienne : c’est bien l’effet dose, davantage que le type de produit, qui joue sur l’activité biologique.
La réussite en semis direct dépend du soin à l’implantation
Pour Djilali Heddadj, « le fait de concentrer les éléments nutritifs en surface ne modifie en rien la dynamique de nutrition des cultures, mais il est déterminant de semer en bonnes conditions en semis direct : une humidité de sol excessive se traduit automatiquement par un manque à la levée qui peut se répercuter sur le rendement ». La moyenne globale par culture montre des pertes de rendements en TCS et semis direct de l’ordre de 20 % à 30 % en blé et de 30 % à 60 % en colza. Le maïs est la seule culture dont le rendement n’est pas influencé par le mode de travail du sol : cela s’explique essentiellement par le choix de la technique de préparation du sol qui n’est pas un semis direct au sens strict mais plutôt un strip-till ; les conditions d’implantation sont également moins contraignantes que pour les deux autres cultures, bien que, au contraire des céréales et du colza qui ont de fortes capacités de compensation, tout manque significatif à la levée du maïs se traduit par une baisse de rendement.
Gérer la période de transition
Ce que confirme aujourd’hui l’essai de Kerguéhennec, c’est qu’il existe réellement une période de transition durant laquelle les résultats techniques peuvent être mitigés. Une amélioration progressive des paramètres est primordiale, qu’il s’agisse de matière organique, de dynamique de l’eau, de population de lombrics ou de rendements. Dans le cas précis de Kerguéhennec, les besoins de l’expérimentation et de l’analyse ont conduit à choisir des modalités simples, immuables sur la durée, pour caractériser des modalités nettement différenciées (labour/non-labour, minéral/ organique, etc.). Il s’ensuit une transition relativement longue au bout de laquelle, le sol s’étant réorganisé, on observe une amélioration de la structure, de la fertilité et des rendements. Dans le cas d’une exploitation agricole, il est nécessaire d’accompagner son système de production et ses sols en diagnostiquant les problèmes et en adaptant les réponses à leur vitesse de régénération : fissuration éventuelle temporaire, travail de surface si nécessaire, couverts à forte biomasse, successions et rotations adaptées. En en prenant les moyens, il est même possible de limiter les pénalités et de passer plus rapidement de l’autre côté du gué et de capitaliser les avantages de ce type de système.