BLÉS PRÉCOCES ASSOCIÉS : BILAN DES ESSAIS 2015-2016

Matthieu Archambeaud ; TCS n°88 - juin / juillet / août 2016

Dans le numéro de TCS n°83 du mois de juin dernier, nous avions abordé la question du semis de céréales précoce, associées à des plantes compagnes. Ce concept n’est pas récent et reprend les travaux de Marc Bonfils. Il y associe cependant nos connaissances sur les couverts d’été et le colza associé. Pour aller au-delà des idées, nous avons mis en place, avec la collaboration d’agriculteurs du réseau, trois essais de blé précoce associé. Retour sur une année difficile et riche d’enseignements.

Principes de base et protocole

Le concept du blé précoce associé (BPA) est d’anticiper la date de semis de un à deux mois pour obtenir des blés fortement enracinés et tallés avant l’hiver afin d’arriver au printemps avec des blés puissants capables de répondre rapidement. En matière de fertilité, l’idée est d’approcher le fonctionnement du colza qui accumule des réserves à l’automne, ce qui lui permet d’attendre le redémarrage de la minéralisation lors de la reprise de végétation. L’objectif est également de prendre de vitesse les limaces et le salissement de l’automne pour le dominer plus facilement au printemps. Enfin, une installation plus précoce des cultures avec une association permettrait dans certains cas de couvrir plus efficacement les intercultures courtes (tournesol/blé) sans avoir besoin d’installer et de détruire un couvert : des économies et une sécurité en terres argileuses qui complètent bien l’ensemble des bénéfices recherchés.

Des plantes compagnes gélives ou contrôlées par le programme de désherbage sont installées pour occuper le terrain, fournir de la biomasse, des racines et de l’azote : produire de la fertilité, contrôler le salissement et éventuellement camoufler les blés pour réduire la pression « pucerons » et maladies. Pour enlever le biais lié à la maîtrise du semis, les essais ont été mis en place chez des SDistes chevronnés : un chez Fabien Labrunie d’Indre-et-Loire, un autre chez Dominique Guyot de Seine-et-Marne et le dernier, supervisé par Antonio Pereira, chez Alexandre Dormoy de la Haute-Marne ; les blés ont été semés derrière des cultures dicotylédones pour résoudre le problème des repousses. Les deux premiers ont été semés en bordure d’une parcelle de blé servant de témoin, mais le dernier a fait l’objet de différentes modalités. Pour s’inspirer du colza associé nous avons semé avec le blé pour cette campagne des légumineuses « gélives » vendues comme mélange « colza associé » par Sem-Partners : lentille noire « lentifix », gesse « N-fix » et fenugrec « fenu-fix ». Par ailleurs, nous savions qu’il faut réduire la dose de semis du BPA puisque le tallage augmente avec la précocité. La théorie veut qu’il faille réduire par deux la dose par mois anticipé : la dose de semis du mois d’août a donc été divisée par quatre (50 à 80 grains/m²) mais diverses densités ont été testées en Haute-Marne.
Pour finir, les essais des années précédentes avaient mis en évidence l’inadaptation des variétés de blé présentes sur le marché avec un « caractère hiver » pas assez marqué. Pour éviter les phénomènes de montaison trop précoce, deux variétés non alternatives ont été choisies en partenariat avec la société Sem-Partners qui nous a également fourni les plantes compagnes : la variété allemande Brentano et l’autrichienne Adesso. Ces variétés ont bien rempli leur contrat malgré l’automne très poussant et l’hiver doux. Elles ont très fortement tallé (jusqu’à 1 000 talles/m² avec des densités de semis de l’ordre de 80 et 160 grains/m²), produisant des biomasses très importantes en comparaison des témoins. Malgré tout, dans les trois essais, le caractère hivernant des variétés a pleinement joué et la croissance des céréales a été bloqué jusqu’en mars ; Fabien Labrunie a même constaté que son mélange de blé « maison » a été plus poussant que l’Adesso au printemps. En ce qui concerne les composantes du rendement, le semis précoce a permis des niveaux de tallage impressionnants dans tous les essais, bien que les pertes aient été ensuite très fortes pour revenir à des densités d’épis classiques au printemps.

Fabien Labrunie et Dominique Guyot : les pucerons ont gâché la fête

Fabien Labrunie est agriculteur en Touraine, sur des sols de limons battants hydromorphes et le secteur subit une forte pression de ray-grass résistants. Il a semé son blé associé (Adesso) le 4 septembre, en direct derrière une féverole récoltée fin juillet. Le « témoin » (en fait l’itinéraire normal sur la parcelle) a été semé de la même façon un mois plus tard. Avant le semis, le terrain a été nettoyé avec du glyphosate, dans un contexte de problématique de ray-grass résistant. Les conditions de semis ont été délicates avec un été très sec ayant empêché une implantation plus précoce et la levée a été assez hétérogène ; avec le recul, F. Labrunie regrette d’ailleurs de ne pas avoir roulé son semis. Les plantes compagnes (féverole, fenugrec, lentille et vesce) ont par ailleurs été attaquées dès la levée par les limaces et leur densité restera constamment trop faible. La levée inégale et la faiblesse des plantes compagnes expliquent sans doute la forte pression ray-grass dans le blé associé, sans compter que le désherbage a été réalisé en fonction du reste de la parcelle, semée le 4 octobre. Cependant, il est agréablement surpris de constater que la pression ray-grass n’est pas plus forte dans le blé précoce que dans celui semé un mois plus tard. Le blé a poussé et tallé très fort jusqu’à Noël (500 talles/m²), avant de se bloquer et d’attendre le printemps. Pour terminer, le blé Adesso est aujourd’hui plus haut de 10 à 15 cm que le reste de la parcelle et il n’a pas versé.

La pression maladie a fortement joué sur la réussite avec une année très difficile de ce point de vue et donc particulièrement instructive. En dehors d’un traitement de semences au gaucho, aucun insecticide n’a été réalisé sur le blé précoce, contrairement à celui du 4 octobre qui a reçu un traitement en complément : les pucerons se sont abattus sur l’essai qui a été très touché par les viroses et a même réussi à contaminer le blé traité. Cet état de fait a été aggravé par le manque de plantes compagnes « de camouflage » (voir l’article de Gwendoline LECHAT et Jean-Pierre Sarthou sur le sujet, TCS n°76). Au final Fabien Labrunie a retenu de l’essai qu’il n’y avait pas de problème de montaison y compris en hiver doux, qu’il n’a pas observé d’impact positif ou négatif sur le salissement. Seule la virose a masqué le comportement technique du blé avec un semis à peine assez dense (60 grains/m²) au vu des conditions du moment.

Antonio Pereira : « la technique mérite d’être poursuivie et travaillée »

Antonio Pereira, technicien à la chambre d’agriculture de la Haute-Marne, a mené l’essai chez Alexandre Dormoy avec les variétés Adesso et Brentano, ainsi qu’avec la variété Laurier habituellement utilisée sur la ferme. Elles ont été semées à 80 grains/m² et 160 grains/m², le 23 août, derrière un pois de printemps qui n’a pas fourni de repousses en raison de l’été très sec. Le témoin est semé deux mois plus tard, le 23 octobre, à la dose de 320 grains/m² pour les trois variétés. En dehors du traitement de semences, aucun insecticide n’a été réalisée et ni l’essai ni le témoin n’ont été touchés fortement par les problèmes de virose. La parcelle, historiquement propre, est resté très propre, mais A. Pereira évoque la possibilité de faire deux anti-graminées racinaires successifs à l’automne en cas de besoin. Les plantes compagnes bien qu’ayant joué leur rôle en occupant le terrain et en disparaissant dans l’hiver, semblent tout de même avoir accru la pression des campagnols sur le blé, ce qui est un des facteurs d’explication de la baisse de densité dans les modalités avec plantes compagnes (figure 1).

Le tallage est impressionnant avec des modalités qui frôlent les 1 000 talles/m² à l’entrée de l’hiver. Cependant, la perte dans l’hiver est importante (de l’ordre de 50%) et, au final, la densité d’épis rejoint la normale (voir figure 1). En dehors de la concurrence et de la pression des rongeurs, A. Pereira avance l’hypothèse de la fertilisation : le blé ayant été semé plus tôt a des besoins plus importants en fertilisation que ne peuvent compenser les apports « tardifs » du printemps et il faudrait donc fertiliser le blé à l’automne : « il faudrait semer tôt et donc fertiliser et désherber tôt ». L’hypothèse est également la même chez D. Guyot et F. Labrunie qui ont constaté les mêmes pertes de densité.

En ce qui concerne le salissement et notamment le vulpin, le constat est le même que pour Mathieu Godfroy (voir TCS n°83) : sans parler de semis au mois d’août, un semis en septembre, trois semaines avant la date normale, permet à la céréale de dominer complètement le vulpin au printemps.

Au niveau des plantes compagnes, A. Pereira n’est pas tout à fait satisfait et compte introduire en plus des légumineuses, des crucifères (moutarde ou colza) pour attirer les limaces et contrôler davantage d’adventices. On pourrait également placer du lin ou encore du sarrasin, excellente plante compagne. Pourquoi ne pas jouer également de manière opportuniste sur trois tableaux avec une mélange de 50 kg/ha de blé, 3 kg/ha de colza et, des légumineuses compagnes (féverole, soja, lentille, gesse, fenugrec, trèfle d’Alexandrie, etc.) et éventuellement du tournesol ou du sarrasin (tous les deux gélifs) pour les semis très précoces : on laisse pousser et on trie à la sortie avec un anti-dicotylédones ou un anti-graminées. Attention toutefois à ne pas produire un couvert trop étouffant pour laisser la place au blé.

En conclusion, si cette première campagne d’expérimentation permet un « défrichage » mais n’est pas entièrement satisfaisante, elle est riche d’enseignements. Même avec une année qui a été atypique en matière d’attaque de pucerons à l’automne, elle démontre que le semis précoce de céréales est loin d’être incohérent. Il va simplement falloir apprendre à gérer les densités, les plantes compagnes, la protection mais aussi la fertilisation et le désherbage. Comme voilà 10 ans avec le colza associé, l’idée semble suffisamment intéressante pour continuer.

A vos semoirs, prêts, partez ! … (à suivre)


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