Opaline LYSIAK

  • L'architecture de la technique des corridors solaires (source : H.L. Britt)
  • Le pâturage tournant dynamique de Félix Noblia
  • Estimation du rendement par l'observation des épis chez Valery Groleau, en Vendée
  • Implantation de couverts avant plantation d'un rang de pommiers
5
janvier
2019

La plateforme qui catalyse l’agroécologie est en de train de germer… et sa fertilité dépend de vous

Chronique Landfiles n°1 - janvier 2019

L’année 2019 naît dans un terreau - de challenges - très fertile. Défi de l’Agriculture Biologique de Conservation et du sans glyphosate. Donner à ceux qui mangent le pouvoir d’influencer les choix de ceux qui nourrissent. Et offrir aux étudiants qui manquent de situations concrètes la possibilité d’aider les agriculteurs qui ont du pain - complet - sur la planche.

Tout cela dans un contexte où ceux qui diffusent, forment, enseignent l’agroécologie commencent à être en compétition. Mais il reste un défi : comment favoriser le partage des connaissances et des expériences vécues par les agriculteurs sur le terrain, dans un monde où les informations circulent en masse sans capitalisation ? La jeune application Landfiles est sans aucun doute une réponse.

« J’ai déjà Twitté »

Voilà ce que me répond Dominique Luherne, agriculteur en Bretagne, lorsque je lui donne la possibilité de tester l’application sur son smartphone. Une première réponse que je comprends, après tout. Alors que les agriculteurs utilisent Facebook, Whatsapp, Twitter, Instagram, pour les réseaux sociaux, Mes Parcelles, Géofolia, pour le suivi des cultures, à quoi bon envahir mon écran avec une nouvelle application, dans un smartphone qui est parfois un parasite plutôt qu’une véritable aide au quotidien ? Dominique utilise son compte Twitter comme un vrai fil d’actualités de sa ferme : photos de parcelles suivies sur une campagne, approfondissement de certains sujets qui posent question dans son système. Pourtant, quand je cherche à mieux comprendre les choix agronomiques de Dominique, c’est juste impossible avec Twitter. Ou alors il faut prendre 2 heures pour éplucher les twitt et récupérer quelques informations. Rien n’est capitalisé.
Une étude menée par Terre-net en 2015 indique que 15% des agriculteurs ne sont pas satisfaits des applications agricoles qu’on leur propose. Ces derniers seraient-ils à la recherche d’une application qui connecte les cerveaux d’humains innovants en agroécologie ?

« WhatsApp répond à une partie de mes besoins »

2018 a vu l’explosion des groupes WhatsApp. L’application est accessible à ceux qui n’utilisent pas - ou ne veulent pas se laisser distraire par - Facebook. On y partage messages, photos, vidéos, documents. Félix Noblia, agriculteur dans le Pays-Basque, est très actif sur un groupe privé « Agriculture Biologique de Conservation » (ABC) partagé par une cinquantaine d’agriculteurs et conseillers. Mais ceux qui sont moins actifs ratent beaucoup de messages, ce qui laisse des « vides » dans la compréhension des thématiques et la communication au sein du groupe. Et les nouveaux arrivants dans le groupe n’ont accès à aucun des échanges précédents.
Alors, avec le co-créateur de Landfiles Nicolas Minary, Félix a impulsé la création d’un groupe Landfiles ABC, où sont capitalisés les suivis de parcelles des membres. Et en plus, ces derniers peuvent faire remonter à Landfiles leurs nouveaux besoins, comme par exemple la réalisation d’un tutoriel vidéo pour démarrer sur l’application.
Le réseau social Landfiles
Landfiles peut devenir une base solide de connaissances pour des groupes de producteurs. Elle peut aussi être un rendez-vous inter-générationnel - entre agriculteurs d’aujourd’hui et de demain - et inter-contextes pour renforcer le partage des expériences pour l’agroécologie sur notre planète. A travers l’application, vous avez un accès en direct à ce que font les agriculteurs des groupes que vous suivez sur leur ferme, un accès à des essais agroécologiques de France et du monde, et vous pouvez partager les actions du quotidien avec une communauté globale d’agriculteurs.

Pour Nicolas Minary, informaticien né dans l’agriculture, « l’innovation est faite par les agriculteurs. Je trouve que l’usage actuel de Whatsapp et Facebook est gênant : les informations sont diffusées, mais non capitalisées. Tout est perdu pour les agriculteurs, tout est gagné pour Facebook. Or, la recherche agronomique du futur sera participative ou ne sera pas. Sans capitalisation de la connaissance, on progresse très lentement . »

Landfiles répond à une demande là où d’autres applications sont absentes. Et de nombreuses possibilités d’utilisation de la plateforme ne sont pas encore nées, car elles dépendent de ceux que vous imaginez.

Je n’arrive pas à me défaire de cet « optimisme de survie » : je sais que cette nouvelle année sera plus riche en photosynthèse que la précédente. Landfiles trouve sa place dans la boîte à outils agroécologique de ceux qui veulent catalyser la transition.

Alors, un petit tuto vidéo pour commencer ?
https://youtu.be/PNTubm7QO4E

Plus d’informations sur https://landfiles.fr

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Nicolas, sur la ferme de son frère, éleveur de Montbéliardes dans le Haut Doubs

22
octobre
2018

Le ver de terre n’a pas de frontières

Tiens tiens, l’Humain se rappelle soudainement qu’il vient de l’Humus et y dédie une journée !
Le dimanche 21 octobre nous célébrons la journée mondiale du Ver de Terre, organisée par la Earthworm Society of Britain. Un jour pour le ver de terre, alors qu’on devrait l’honorer 24h/24 et 7j/7. Cela me fait penser à la journée de la femme. Mais c’est quand même une bonne idée, car ça m’a donné l’occasion de faire cette vidéo :

Vous l’avez vu et entendu, vous avez peut être été ému : il y a plus de façons de dire « ver de terre » que de pays sur terre. Et pourtant ils font tous le même travail, quel que soit le contexte. Ils participent - à leur insu - à produire notre nourriture partout sur la planète. Humbles, ils ne demandent aucune éloge, pourtant Christophe Gatineau dans son dernier livre a décidé de le faire.
Pendant 11 mois et dans 12 pays, j’ai rencontré des passionnés du lombric, ou des gens qui n’y connaissent rien mais c’était l’occasion pour leur aérer l’esprit à coup de galeries. Les vers de terre ne connaissent pas les frontières ; on leur en impose parfois entre certains horizons. Oui, l’inter-culture (du latin cultura « habiter », « cultiver », ou « honorer ») entre peuples - aller vers l’autre et aimer la différence autant que les similitudes - est aussi importante que dans les champs, pour maintenir une vie sous la surface des sols, des écosystèmes équilibrés.
«  Le ver de terre c’est l’agriculteur-chercheur , me dit Sebastien Angers, agriculteur Québécois. Il creuse dans l’inconscient du vivant, dans la complexité et le mystère du sol, comme tous les agriculteurs qui prennent des risques sur leur ferme pour expérimenter »
Si on développe une certaine connection à la nature, il nous rappelle que tous les Humains viennent de l’Humus et plus on se rapproche du sol, à la fois si simple et complexe, plus on gagne en Humilité. Cette Humilité nous est aussi vitale que l’Humus. « La nature me fait chaque année apprendre de mes erreurs » explique Félix Noblia, agriculteur qui relève le défi de l’ABC dans le Pays Basque.
Au Brésil, l’agroforestier João Pereira me dit «  la Nature c’est l’énergie, les Humains sont la conscience  ». Nous avons l’incroyable opportunité d’utiliser notre conscience pour restaurer les écosystèmes - qui sont aujourd’hui des égosystèmes - et catalyser les processus naturels pour produire notre nourriture. «  L’être humain est un animal raté » dit l’éthologue Pierre Jouventin. L’évolution nous a donné un cadeau (ou un fardeau) celui de pouvoir et devoir prendre des décisions ; si éloignés des origines de la vie notre instinct ne suffit plus. Allons trouver notre place au sein de la nature pour prendre des décisions et sauver notre espèce ? Le film de l’être humain pourrait se terminer ainsi : « Quelques millénaires après s’être levé sur ses deux pattes arrières et s’être un peu trop éloigné du sol, de sa source, l’Homo s’est auto-détruit » c’est la Nature qui publie l’article, parce qu’elle s’en sortira très bien. C’est de l’Humour, mais c’est bien sérieux. Rapprochons nous du sol et tout ira bien, vous verrez.


24
septembre
2018

« Depuis que j’ai vu un peu d’humanité dans le regard d’un ver de terre...

... je vous avoue avoir repris espoir ». Quelques lignes après cette phrase, Christophe Gatineau laisse au lombric la première partie de son livre « L’éloge du ver de terre ». On connaît l’auteur officiel, mais en fait les droits reviennent au lombric et à l’Humus, sans qui l’Humanité (écrivains inclus) n’existerait pas.

J’ai eu la chance inouïe de pouvoir commencer à lire « L’éloge du ver de terre » avant sa sortie officielle et la rupture de stock chez Amazon (vous avez bien lu, c’est Amazon, sans « e »). Lors du salon Innovagri le 6 septembre, je rencontre le créateur du blog Le Jardin Vivant à l’arrière de son Kangoo sans savoir que c’est lui. Il m’offre une poire de son jardin et nous nous mettons à parler lombrics et labour au beau milieu de la Beauce. Quelques heures plus tard, en échange d’une belle conversation filmée, il me dédicace son bouquin en avant-première.
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Des articles, des émissions, il y en a déjà une belle collection. Mais je devais en faire la critique, de cet éloge, moi, Opaline, prof d’agroécologie globe trotteuse, amoureuse des vers de terre de la planète. Je sais dire ver de terre en 14 langues, c’est vous dire ! Mais je veux juste vous mettre l’eau (ou plutôt l’humus) à la bouche, ne pas tout vous dévoiler de ce livre qui fut un vrai délice pour moi. Au passage, c’est amusant : Christophe Gatineau est passé sur Europe 1 en même temps queles Agron’Hommes sur RFI.

Christophe Gatineau
Christophe Gatineau

Ce livre est un éloge, mais n’est pas une longue liste de bénéfices et d’atouts que le lombric terrestre apporte à l’agriculture. Ça, beaucoup l’ont déjà fait, avec un impact limité au cercle des passionnés d’agroécologie (comme moi). Non, c’est plutôt une discussion pleine d’émotions entre un homme et un ver de terre, qui assument pleinement être en train de faire l’éloge de ce dernier, en s’écartant (mai pas trop, hein) du cœur du sujet pour parler philosophie : comment les hommes ont divisé alors que dans la nature tout est lié (et nous avec), comment les hommes sont gouvernés par leurs croyances alors que le ver de terre lui, a la tête sur les épaules. Quand il plane un peu trop, l’auteur se fait vite rappeler à l’ordre par son pote lombric « Tu te souviens du titre du livre ? [...] j’ai l’impression que tu fais l’éloge de ton cerveau ».

On a parfois l’impression d’être dans un bouquin pour enfants. Je dis parfois, car pendant que le ver de terre se repose dans son terrier, l’auteur en profite pour mettre à nu la sexualité débridée de l’annélide. En choisissant le format d’un roman, Christophe Gatineau rend accessible à tous ceux qui savent lire les bases de géodrilologie (la science du lombric) découverts par Charles Darwin et Marcel Bouché, et justement peu diffusés et oubliés à travers les siècles et les décennies parce que seuls les scientifiques et agronomes pouvaient (et voulaient) les comprendre.

Notre petit ver de terre n’est jamais à cours de phrases choc : « …Cette idée lumineuse qui consistait à abandonner la fertilisation organique pour nourrir la plante uniquement avec NPK n’est pas née du bon sens paysan mais dans le cerveau de vos meilleurs cerveaux agricoles, les ingénieurs agronomes ». Après ces efforts de réflexion et au bout de quelques pages/heures, le lombric n’hésite pas à respecter sa nature et à aller dormir dans son terrier. L’auteur, bien humain, continue son discours, au diable la fatigue, il faut le finir cet éloge !

« A force de croire, vous avez fini par prendre vos croyances par des savoirs ». Voila ce qu’a dit un ver de terre à Christophe Gatineau, à l’occasion d’un coup de fourche dans son jardin. Alors que l’être humain s’amuse à être vegan, végétarien, crudivore ou paléothiquien, le lombric est logique : il est locavorien, il mange « ce qui est dans son environnement direct [...] des plantes fermentées ou crues, parfois faisandées ». La suite est croustillante (et crue), rendez vous page 69.

En fait, ce dialogue Homme-Humus est une stratégie, une opportunité, pour reprendre une par une des idées qui, à force d’être éloignées de la terre ferme sont amenées aux extrêmes. La terre végétale ? La forêt comme modèle ? La charrue, mal absolu ? Ce sont nos idées qui nous font prendre des décisions et qui conditionnent notre survie. Cette survie dépend de l’état de nos sols, dont le ver de terre n’est pas seulement la star et le symbole, mais le garant. On devrait s’inspirer de la sagesse lombricienne, celle qui ne se laisse pas emporter par sa pensée et son ego, celle qui garde toujours les pieds dans la terre. Et je suis 100% d’accord avec Christophe : pour respecter la vie, pour respecter le lombric, il faut qu’il soit reconnu par la loi.

Alors oui, je crois que ce livre est un outil pédagogique pouvant être utilisé de manière interdisciplinaire - « parce qu’il faut penser système, parce que tout est lié » comme l’explique Christophe dans cette interview :

Les profs d’agro, de français, de bio-eco, de philo et d’éducation socio-culturelle devraient l’avoir toujours dans leur sac et on devrait en offrir un exemplaire à tous les jeunes des lycées agricoles. J’y réfléchis sérieusement.

Pour terminer, j’ai pondu une citation, inspirée du Dalaï Lama : « Si on expliquait à tous les jeunes de 8 ans l’importance du ver de terre, en une génération l’érosion disparaîtrait de la planète »*. Citation à reprendre et à diffuser, SVP lors de la journée mondiale du Ver de Terre, le 21 octobre 2018.

(*) « Si on apprenait à tous les jeunes de 8 ans la méditation, en une génération la violence disparaîtrait de la planète »


23
août
2018

Au Québec, l’agriculture de conversation à la base de l’agroécologie

Louis Perusse - Québec
Louis Perusse - Québec

Muni de sa mini-pelle - vraiment mini - et de son appareil photo, Louis Perusse parle, écoute, arpente les champs avec ses agriculteurs, prend 10 photos par minute et creuse comme il respire.
Deux fois par an, il quitte la région de Québec pour traverser de bout en bout sa région natale, la Gaspésie, et suivre les agriculteurs de son réseau. Il me propose de l’accompagner. En 1 semaine de road/field trip en Gaspésie, je n’ai même pas vu son écriture : il ne note presque rien, concentré sur l’échange constructif qu’il développe avec ses clients. « Mon appareil photo, c’est mes notes. Et puis en fin d’année, j’offre une sélection des plus belles photos aux agriculteurs  » me dit-il. Sa mission : favoriser l’adoption des systèmes en Semis direct sur Couverture végétale permanente. « Au Québec, on distingue l’agronomie, qui englobe tous les domaines liés à l’agriculture, et l’agrologie, qui se focalise sur le sol et le végétal ». D’où le nom de son entreprise, SCV Agrologie.

Une agriculture régénératrice des sols et de l’esprit

Oui, Louis est passionné par la diversité des plantes et il est convaincu que la base d’un système agricole résilient est un sol vivant, car c’est la première étape pour que l’agriculteur redevienne au coeur de ses décisions. Mais son travail va bien au-delà. « Je coache les producteurs pour qu’ils se réapproprient l’essence de leur métier, et cela démarre par un sol vivant. Et cela demande un vrai talent pour utiliser le génie du végétal au sein d’une ferme ». Expertise, conseil, coaching, formation. Ces termes ont des niveaux différents. Dans le coaching des conseils sont fournis, et pour cela l’expertise est nécessaire. « J’informe les agriculteurs pour qu’ils acquièrent une autonomie de prise de décision à la ferme, je veux améliorer la liberté d’action des agriculteurs, et cela passe par la connaissance ». Rendre l’agriculture beaucoup plus stimulante, une vraie démarche intellectuelle, pas juste appliquer des recettes. Faire un agriculture résiliante, plutôt qu’une agriculture qui répète les même erreurs comme par le passé. Une agriculture humaine sur tous les plans.

Le réseau SCV Agrologie comprend 27 agriculteurs, mais Louis en accompagne 40, sur tout le territoire du Québec, soit 12000 ha. Lors de ma visite, nous profitons du cadre superbe d’une prairie de luzerne chez Patrick Arsenault pour faire une micro interview. « Une des manières d’améliorer mon système, c’est d’aller chercher des gens qui ont un niveau d’expertise, de les amener sur la ferme, d’écouter leurs propositions et d’oser essayer  » témoigne l’éleveur laitier basé à Bonaventure.

Louis complète : «  La base est de faire un bon diagnostic, comprendre les problèmes et poser des actions. Ensuite on travaille beaucoup sur les rotations ; ici, on a décidé ensemble de raccourcir la durée de la prairie à 3 ans pour avoir un maximum de luzerne vivante dans la prochaine culture ».

Du conseiller au formateur : une question de responsabilité ?

Après 2 à 4 heures d’échanges, des conclusions et des propositions émergent. « Au final c’est le producteur qui prend la décision et il en est responsable. Parfois on réalise ensemble que ça ne fonctionne pas et il y a toujours un facteur explicatif »

Système racinaire plantule - Québec
Système racinaire plantule - Québec
"Parfois on réalise ensemble que ça ne fonctionne pas et il y a toujours un facteur explicatif"

Si un conseil est appliqué et ne fonctionne pas, qui est responsable ? On pourrait penser que c’est un sujet sensible ; les agriculteurs pouvant rejeter la faute sur leur conseiller. C’est là que l’on touche à la différence entre un conseiller et un coach, et à la spécificité de ce que Louis propose. Il donne aux agriculteurs un maximum d’éléments pour qu’il puisse savoir quoi faire ; au final le « conseil » se transforme en décision prise par l’agriculteur. « Après 3 ans environ, mes agriculteurs deviennent autonomes, responsables de leur système SCV qu’on a développé ensemble. De 20-25 heures par an, on passe à 10h de services sur toute la saison.  »

Les enchères à l’innovation

Elevage chez Bertrand Anel - Québec
Elevage chez Bertrand Anel - Québec

A en croire André Breton, « devant le Rocher Percé le pinceau et la plume doivent s’avouer impuissants ». A défaut d’utiliser un pinceau, Bertrand Anel joue à l’artiste en enrichissant un paysage déjà si beau à l’extrême est de la Gaspésie. Il développe un système agroforestier avec élevage bovin-viande. Un cas complexe, inhabituel pour la routine de Louis Perusse. « On essaye de réhabiliter des prairies naturelles laissées à l’abandon. Le challenge est de réimplanter une diversité de plantes valorisables dans l’élevage bovin viande » … au milieu d’une belle touffe d’adventices variées et colorées.
« L’an dernier on a eu de la neige jusqu’en mai, m’explique Bertrand. Le défi c’est de semer et devancer les mauvaises herbes pour produire suffisamment de biomasse car on ne fait qu’un coupe de foin en juillet ». Bertrand a un beau bagage plein d’expériences et de connaissances qui lui permet de mettre assez de grain au moulin décisionnel. Mais la présence de Louis, qui passe ses journées à discuter - de visu ou par téléphone - avec 40 fermes dans 40 contextes différents, crée un ping-pong d’idées, une enchère à l’innovation. Il réalise aussi une veille agroecologique et peut apporter les derniers connaissances scientifiques (ou les bases) dans le quotidien des producteurs. Face à ce tapis de diversité non maîtrisée, Bertrand labourera ou labourera pas ? « Je ne veux pas que le producteur s’entête à faire du non-labour. Parfois je conseille un labour parce qu’il est plus raisonnable de remettre la parcelle à zéro pour bâtir le système sur de bonnes bases agronomiques »

Agriculture de conversation

Louis Perusse - Québec
Louis Perusse - Québec
Louis prend le temps. Il autorise les blancs dans les discussions, où chacun fait le tour de sa pensée, intègre une idée avant de poursuivre le tennis décisionnel.

Louis prend le temps. Il autorise les blancs dans les discussions, où chacun fait le tour de sa pensée, intègre une idée avant de poursuivre le tennis décisionnel. Il ne presse pas les producteurs, imagine une diversité de solutions en intégrant toujours la psychologie, les contraintes, le habitudes et valeurs de chacun de ses « protégés ». Comme les plantes dont il croit dur comme bêche aux bénéfices, ce ne sont pas des conseils de surface que Louis propose ; ce sont des propositions aux arguments bien enracinés. « A toutes les idées qu’on propose, on n’a pas vraiment de réponse et il faut essayer à petite échelle, me dit Louis, entre deux mini profils de sol. C’est tout le défi, de trouver un équilibre entre créativité, prise de risque et résultats. Je dis à l’agriculteur de questionner la nature dans ses essais. Mon but c’est de coacher mes producteurs pour qu’ils soient autonomes… mais j’amène toujours de nouvelles idées ».

Soyez ouverts, sortez couverts

Améliorer la fertilité, stocker l’azote et surtout, stocker l’eau. Un programme de taille chez Patasol, où la pomme de terre domine dans les assolements. Quand on connaît les itinéraires techniques conventionnels, on pourrait penser que c’est peine perdue. Mais pour Jean-François Chabot, c’est un beau challenge. « La résilience est le mot clé de mon système. Je sais qu’à force de patience les systèmes qu’on développe vont rapporter. On vient de traverser deux années caractérisées par une sècheresse, et l’an dernier on a déjà vu la différence dans les champs. Ça va mieux et la couverture végétale y est sans doute pour beaucoup ». Dans une parcelle, il a comparé l’implantation de pommes de terre derrière un couvert végétal détruit au printemps, ou sans couvert. En plongeant la main dans la terre, près des racines du tubercule, c’est évident, le sol est plus frais dans la partie qui a reçu les couverts. On remarque que l’appareil foliaire des plants y est moins régulier. « Souvent les cultures rattrapent leur retard après les premiers semaines de développement, rassure Louis. C’est peut-être la dynamique de minéralisation de l’azote qui change et il faut le comprendre et s’adapter »

Une banque de graines dans le coffre… pardon, la valise

Sur une autre parcelle, on observe les jeunes pousses d’un mélange de 6 plantes, une recette que Louis maîtrise et qu’il a adaptée au contexte de Patasol. « Les couverts ont permis de réduire le travail du sol. Les vers de terre sont déjà de retour dans nos parcelles ! » se félicite Jean-François. Phacélie, avoine fourragère, vesce velue, radis fourrager, pois fourrager, herbe du Soudan. Une accumulation d’observations dans des contextes très variés ont conduit notre expert-couverts à réaliser que ce mélange fonctionne aussi bien au dessus qu’en dessous. « Il combine des plantes qui ont une diversité de fonctions. On explore les différents horizons du sol, différents espaces aériens avec des feuillages plus couvrants ou des plantes plus longues et fines. Il y a de la diversité végétale, et des abris pour la biodiversité animale ».
A 17h, Louis annonce la fin du rendez-vous par un rapide « Je te fais un petit mix de plantes ? ». Il propose aux membres de son réseau de semer une vingtaine d’espèces sur une petite surface. Il appelle ça une parcelle « cuisine » : le but premier est de former par l’observation, de voir les types de plantes qu’il peut intégrer dans son système de culture. « Ensuite on peut faire un profil de sol, observer la diversité des enracinements, et voir que la qualité du sol est modifiée par l’arrivée des plantes ».

Profil racinaire à la bêche - Québec
Profil racinaire à la bêche - Québec
"Ensuite on peut faire un profil de sol, observer la diversité des enracinements, et voir que la qualité du sol est modifiée par l’arrivée des plantes"

Ce qu’il se passe à la surface en dit beaucoup sur la santé des sols. Dans son réseau, Louis fait aussi le lien aussi entre offre et demande de semences de couverts ; il connaît les producteurs qui commencent à exceller dans la production de cette denrée parfois rare. Il a rempli, au fil des années, une belle banque d’échantillons de plantes de couverture qui permet aux agriculteurs de démarrer de petits essais. « L’objectif final est d’optimiser la croissance des plantes pour avoir une belle couverture et faire de la biomasse à partir de la lumière du soleil, stocker de la fertilité, intensifier l’activité biologique. Je démarre toujours avec 3 espèces, un mélange complet mais qui ne va pas effrayer l’agriculteur avec une trop forte diversité  »

SCV Agrologie « Avec, pour et chez les agriculteurs »

Est-ce que les agriculteurs vont chercher les connaissances techniques de Louis ? Oui… mais ce n’est vraiment pas la seule attente. L’expertise rassure, mais quand on a du fun, c’est mieux. Les riches échanges humains de plein pied se traduisent par des échanges au sein de l’humus, dans le sol. D’ailleurs, c’est de là que viennent les mots humour, humanité et humilité, les ingrédients de l’agroecologie et les valeurs de SCV Agrologie.
A 39 ans, il pense déjà former la relève, de la même manière que Lucien Seguy l’a formé - et continue de le former - depuis 8 ans. « D’ici quelques années je formerai des agron’Hommes en herbe pour faire de l’agriculture intelligente, stimulante, fondée sur l’agroécologie » Louis est un vecteur, un lien, il facilite le voyage des expériences d’un bout à l’autre du Québec agricole. En agroécologie tout est question d’équilibre. Les field trip de l’été sont passionnants et cuisants ; le rude hiver québécois est le temps des bilans. Les journées sont chargées et la résilience il la trouve dans la course, son autre passion. «  Dans la vie, il faut aussi savoir se dépasser et mieux se connaître » m’explique t’il. Et je devine que courir dans la nature lui permet aussi de se reconnecter à l’essentiel.

« Les sols à nu, c'est pas sexy, soyez couverts d'esprit » !
« Les sols à nu, c’est pas sexy, soyez couverts d’esprit » !

6
juillet
2018

Une belle prise en main du (test du) slip !

Admettons-le, plus grand monde ne porte de slip en coton. Dans les coûts de leur expérimentation, Pauline Caron, Antoine Têtard et Quentin Delattre, étudiants en BTS APV à Arras, ont dû intégrer l’achat d’un lot de 6 slips, avec un noble objectif : nourrir la vie du sol ou, tout au moins, celle qui est plus ou moins présente dans les 5 parcelles testées.
Ils ont choisi de comparer (de gauche à droite) :

1) Sol de forêt – limon argileux
2) Blé sous couvert de trèfle, système en AC avec agroforesterie – limon crayeux
3) Blé implanté en SD - système en TCS (15 cm) – argiles lourdes
4) Labour d’hiver - système en labour systématique – limons argileux
5) Blé implanté après déchaumage – système en labour 1 an sur 2 – limons argileux.

Les slips ont passé 3 mois dans le sol, depuis leur « date d’implantation » le 21 octobre, à leur excavation le 21 janvier. Ils ont ensuite été présentés, comme le montre la photo, aux autres étudiants du lycée agro-environnemental de Tilloy-lès-Mofflaines. Un test très péda-agroécologique, qui marquera sans doute les esprits ; j’encourage les profs de lycées agricoles à le mettre en place. Matériel : une bêche, des slips et quelques parcelles à comparer.

Résultat du test
Résultat du test

Les agriculteurs (dont certains sont des habitués d’A2C.com) reconnaîtront leurs pratiques à travers les slips. Ceux dont les sols sont peu vivants auront au moins l’avantage de repartir avec un slip gratos. Les « jaloux » dont le slip a été consommé par l’activité biologique pourront toujours utiliser le témoin, sur la droite du tableau.
Je ne vais pas plus loin dans l’analyse : à vous de décrypter la fertilité des sols dans les slips, et surtout, à vos commentaires, qui seront riches d’enseignement pour nos jeunes Agron’Hommes tous 3 passionnés par l’agroécologie !

Pauline, Antoine et Quentin, des Agron'Hommes ambassadeurs de l'agroécologie
Pauline, Antoine et Quentin, des Agron’Hommes ambassadeurs de l’agroécologie

17
mai
2018

La prise de décision, origine de tous nos problèmes… et de nos solutions

Connaitre ses valeurs, savoir où l’on veut aller, transformer les problèmes en solutions et planifier : la gestion holistique serait-elle la clé de voûte de l’agroécologie ? Témoignages d’agriculteurs en Australie et Nouvelle Zélande.

« Aller dans la bonne direction demande de savoir où on est et où on veut aller » me lance Helen Lewis alors que je la retrouve à la sortie de son avion, après une réunion avec le syndicat des agriculteurs du Queensland en Australie. J’ai à peine le temps de réaliser la portée de cette phrase - simple mais tellement vraie et si peu appliquée - qu’elle me déroule sa vision de la vie. Agricultrice, mère de famille et conseillère en gestion holistique, son emploi du temps est plutôt chargé mais elle accepte de me recevoir dans la famille une semaine. Pour elle les échanges ne sont pas une perte de temps ; ils « nourrissent » la réflexion sur la ferme pour toujours apprendre et s’améliorer. Le planning du week-end est déjà prêt : Helen et Ian ont déposé les enfants chez les scouts et vont planifier les 5 prochaines années de gestion de l’exploitation. Ian s’apprête à revenir à 100% sur la ferme après avoir longtemps travaillé à l’extérieur, « un évènement de taille autant sur le plan professionnel que personnel, il sera à la maison et il va pouvoir développer l’activité » ajoute Helen.

Tous les environnements sont différents

Picot’s farm valorise 400 hectares de milieux très hétérogènes - allant des prairies naturelles aux forêts à sols superficiels - avec un troupeau de 50 vaches de race Brangus.

Pour Helen, la connaissance de l’environnement naturel est la base pour gérer la ferme, mais « la nature est trop complexe pour qu’on se permette de planifier en fonction d’une analyse de l’environnement à un moment donné ». L’un des principes de la gestion holistique est que tous les environnements sont différents et qu’une action peut produire des résultats totalement différents dans deux zones différentes. Tous les ans, Helen et Ian font un suivi biologique des sols : présence d’érosion, de croûte de battance, flore, présence de biodiversité… « C’est un check point pour savoir dans quelles zones nous devons concentrer nos efforts pour régénérer les sols. En fonction des résultats nous re-planifions. Notre système est agroécologique parce qu’on améliore la base dons nous avons besoin pour gagner de l’argent, en optimisant l’utilisation de nos deux plus gros intrants : le soleil et la pluie »

Quand les britanniques sont arrivés en Australie il y a 250 ans, ils y ont « importé » les connaissances et outils européens, qui n’étaient pas du tout adaptés aux écosystèmes australiens. Les conséquences : une destruction de la faune et de la flore, et une quasi disparition des aborigènes et de leur lien à la terre. « On adore les technologies mais si elles entraînent des sols nus il faut repenser le tout. Aujourd’hui nous avons un beau défi devant nous : retrouver ce respect de la terre, régénérer les sols, dans un contexte de changement climatique. En formation, je dis toujours qu’on ne peut pas faire pleuvoir mais on peut largement influencer la surface du sol »

« On aura toujours des moments où il fera très chaud, très froid, très sec ou très humide, admet Ian. On doit agir en fonction de ces changements ! ». De novembre à février, c’est l’été. Toutes les herbes natives poussent à leur maximum avec 200 à 300 mm de pluies. « On a soudain une grosse quantité de fourrage sur pied. On laisse les animaux au pâturage sur une courte période pour que l’herbe revienne plus vite. En hiver, d’avril à octobre, les animaux ont en général 90 jours pour parcourir les 15 parcelles ; c’est plutôt 100 jours en ce moment parce que l’herbe est rare »

Copier les mouvements des troupeaux sauvages : aux origines du « Holistic Management »
L’élevage nous sauvera de la désertification, de la faim et de la guerre  ». C’est ce dont Alan Savory, père du Holistic Management ou Gestion Holistique, est convaincu. Pas n’importe quel élevage : il faut imiter la nature, c’est à dire reproduire à l’échelle de le ferme les migrations des troupeaux sauvages. Alan Savory a cherché à comprendre pourquoi les écosystèmes desquels on avait « retiré » l’élevage en pensant bien faire, se dégradaient encore plus, la végétation ne revenant pas. Il en a conclu que les écosystèmes sains sont ceux où des troupeaux massifs migrent de zone en zone à la recherche de nourriture. Un grand nombre d’animaux dans un seul endroit consomme beaucoup de fourrage et produit beaucoup de déjections. Il doit donc rapidement migrer pour trouver à nouveau de la nourriture, limitant son impact sur le sol et la flore. Le succès écologique - absence de surpâturage - réside dans une équation : beaucoup d’animaux sur une surface limitée pendant une très courte période. Certains lecteurs retrouveront ici les bases du pâturage tournant dynamique, sauf que la gestion holistique est née dans le sud de l’Afrique, là où la désertification est réelle. Pour pouvoir imiter les mouvements naturels des troupeaux, il faut planifier l’utilisation des pâturages en fonction de ce que les terres peuvent supporter. Aujourd’hui, la gestion holistique est appliquée par des éleveurs sur 15 millions d’hectares et 5 continents.

Changer la manière dont on prend nos décisions

Toutes nos décisions sont prises en fonction d’un objectif : acheter un tracteur, faire des études, semer du blé. Ces objectifs existent du fait d’un contexte et nous utilisons en général un contexte limité, basé sur un désir, un besoin, un problème. Au quotidien on atteint en général nos objectifs mais sur le long terme et à l’échelle de la société, l’être humain obtient toujours des résultats non souhaités à partir des décisions qu’il prend, en témoigne la dégradation des écosystèmes (voir encadré sur les origines de la gestion holistique)
Pour gérer de manière holistique, la première étape est de définir ce que l’on veut dans notre vie en tenant compte de la complexité des systèmes dans lesquels nous vivons. Nous devons aussi connaître la base de ressources que nous gérons pour assurer que nos décisions ne dégradent pas (ou améliorent) ces ressources pour les prochaines générations.

« Qu’est-ce que je fais cette semaine pour aller en direction de mes valeurs ? »

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Helen et ses deux enfants lors de mon séjour sur la ferme

Chaque décision prise sur la ferme est resituée au sein d’une matrice : la situation actuelle et une image du futur que l’on souhaite atteindre. « On doit transformer nos valeurs en actions concrètes : qu’est-ce que je fais sur ma ferme aujourd’hui, cette semaine, pour aller en direction de mes valeurs ? » illustre Helen. Cela demande de poser ses valeurs sur le papier, ce qui semble simple mais finalement très peu d’agriculteurs le font.

Cela donne beaucoup plus de sens et de puissance aux actions réalisées sur la ferme. En gestion holistique, on va prendre le temps de décrire ce futur souhaité, appelé « contexte holistique » et qui comprend 4 aspects (voir encadré). Le premier est l’objectif de notre travail ou « Pourquoi mon exploitation existe ? ». Le second est la qualité de vie que l’on souhaite ou « Qu’est-ce qui me fait me lever le matin ? Comment ma vie doit être ? Comment voulez-vous vous sentir ? » ; cela inclut les relations, les défis que l’on se pose pour évoluer, quelle contribution nous voulons apporter, sans oublier les finances. Le troisième élément concerne les formes de production, ou « Qu’est-ce que je dois produire pour créer la qualité de vie que je souhaite ? ». Par exemple, produire une nourriture saine, bien dormir, avoir 1 mois de vacances par an, etc. Enfin, on va décrire notre future base de ressources, c’est-à-dire comment les gens, les terres, les infrastructures… seront dans le futur pour atteindre nos objectifs. Ce futur dépend de nos valeurs, et si on y réfléchit bien les valeurs des agriculteurs se ressemblent souvent : on souhaite un toit, une nourriture saine, la santé, une place au sein de la communauté.

Le Contexte Holistique de Picot’s Farm

Quelle vie voulons-nous ?
Notre vie de famille est abondante et nous fait grandir chaque jour dans l’amour et la confiance. On s’amuse et on se détend ensemble, on se sent apprécié et heureux, en sécurité, nos finances nous permettent de nous sentir bien, on fait de notre mieux, on est dans la compréhension, on partage avec les autres et on les encourage, on apprécie notre environnement naturel, l’espace, la liberté, on est motivés, on est une bonne compagnie.

Ce que nous devons créer :
Un environnement qui permet une communication positive et durable, une bonne entente et de bonnes actions, une gestion du temps claire, de l’équilibre et de la flexibilité. On obtient des bénéfices grâce à un suivi régulier de nos finances, et on célèbre nos progrès. On crée des opportunités pour la recherche et l’application de projets et d’actions concrètes pleines de connaissances.

Notre base de ressources à l’avenir :
Nous sommes aimants, reconnaissants, positifs, amicaux, influents, passionnés, compatissants, avant-gardistes, authentiques, flexibles, ouverts, intelligents, relax, encourageants, généreux.
Nous devons être accueillants, un lieu de rencontres où on est en sécurité, détendus et où on a de l’espace. Notre jardin est productif, relaxant et amusant.
Notre travail doit être stimulant, différent, flexible, rentable, durable, amusant, productif, régénérant, stable.
Notre communauté est ouverte sur le monde, créatrice, ouverte d’esprit, sûre, fière, positive, elle atteint son potentiel, elle est prospère.
Nos infrastructures sont renouvelables, d’actualité, polyvalentes, accessibles, fiables, faciles d’usage.
Nos champs, nos sols sont une célébration du meilleur de la nature, sains, régénérateurs, ont une riche diversité, sont productifs, rentables, partagés avec les autres. Les rivières sont abondantes, notre approvisionnement en eau est flexible, il y a une diversité d’animaux sauvages. Les prairies sont vertes, épaisses, diverses, avec 100% de couverture du sol. Notre troupeau est sain et heureux.

Rotation poulets, vaches, cochons

« Chez nous les herbicides, insecticides, fertilisants et outils de travail de sol sont remplacés par un outil ultra efficace : la poule » introduit Randal Breen. Sa femme Juanita, renchérit « les poules nous payent pour les garder, ce qui est beaucoup plus rentable qu’un tracteur !  » Le couple a créé la ferme Echo Valley il y a 9 ans. Les premiers poulaillers mobiles arrivent sur la ferme en 2014, aujourd’hui au nombre de 5 pour 3000 poules pondeuses au total. « Amenés dans les prairies après les vaches, les poulets éparpillent les bouses et mangent les mouches des cornes, qui sont parasites. Le bénéfice est triple : des poulets costauds, une praire fertilisée et nous n’utilisons pas d’antiparasites ». Le couple avait déjà cette aptitude à l’innovation avant la formation à la gestion holistique avec Helen en 2016. « La gestion holistique est un état d’esprit, pas une méthode étape par étape. Elle nous donne une compréhension profonde du fonctionnement de la nature dans sa totalité pour maximiser les interactions entre animaux et améliorer l’environnement. Cela donne une ouverture d’esprit et une aptitude à transformer le négatif en positif en jouant avec une boîte à outils que l’on maîtrise  ».

Le couple a étudié en détails le paysage de l’exploitation : types de sol, relief, place des arbres… pour positionner les animaux et les cultures. Les cochons suivent les poulets sur la partie de l’exploitation proche d’un petit bois (QR). Après leur travail de fouissage et de nettoyage suit en général un couvert végétal riche. Randal et Juanita estiment que le pouvoir de l’agriculteur pour changer le paysage est énorme. « Nous voulons développer l’agroforesterie pour produire des fruits, mais aussi pour attirer la biodiversité et notamment les oiseaux qui eux aussi limitent la prolifération des parasites » explique Juanita.

A la reprise de la ferme, tout était labouré, avec une érosion importante. En quelques mois une prairie naturelle repousse à partir de la banque de graines du sol. Ces prairies issues des pratiques de l’agriculteur précédent sont rapidement valorisées par un troupeau de Brangus. « On investit dans le sol ; quand il sera totalement fonctionnel, on aimerait implanter des cultures fourragères rustiques et pouvoir vendre les semences » explique Randal.

Régénérer la situation, pas la maintenir

« On ne fait pas d’agriculture durable : on ne veut pas que ça dure mais que la situation s’améliore ». L’expérimentation en cours chez les Breen illustre cette vision ; l’objectif est de tester différentes modalités d’implantation d’une céréale fourragère d’hiver (avoine, blé ou orge) après une prairie pour avoir le meilleure rapport coûts - bénéfices. « L’intégration bétail/cultures est une superbe opportunité pas assez exploitée, on veut voir si l’influence des animaux peut remplacer le travail du sol ». La ferme n’utilise aucun produit phytosanitaire et souhaite limiter au minimum la perturbation des sols. L’essai compare 3 opérations :
- sous-soleuse Yeoman puis repousse de l’herbe pendant un mois puis pâturage par les vaches pendant 1 semaine et implantation de la culture d’hiver
- labour puis implantation de la culture d’hiver
- pâturage 7 jours puis implantation de la culture d’hiver en semis direct (modalité la plus courante sur la ferme).

Lors de mon passage début mars 2018, on voyait déjà l’effet de la succession sous-solage/pâturage sur la modalité 1 par rapport à la modalité sans sous-solage. « La modalité labour donnera peut-être de meilleurs rendements en conventionnel, avec fertilisation, mais les coûts financiers, environnementaux et sociétaux seront plus élevés » devine Randal.

La famille Breen « investit » dans la régénération des sols mais cet investissement est peu coûteux car ce sont les animaux qui s’en chargent… Grâce à la créativité humaine, les poules pondeuses, les cochons et les bovins fournissent suffisamment de produits pour la santé économique de la ferme. Et là aussi les choix ne sont pas anodins et le couple a un objectif bien précis dans un futur proche : approvisionner 500 familles en oeufs, viandes, et pourquoi pas produits végétaux à travers une AMAP. Aujourd’hui, les produits sont écoulés sur les marchés et par un système de pré-commande par mail ; quand les produits sont disponibles la ferme répond au client. « Notre philosophie est que les clients font partie du processus de production ; sans eux nous ne serions pas là. En tant qu’éleveurs nous n’avons pas à dépendre du marché et nous construisons un système qui ramène de la sécurité, du pouvoir aux mains de l’agriculteur ». Le terme anglais pour AMAP est CSA pour Community Supported Agriculture ; il montre bien à quel point les consommateurs influencent la production alimentaire.

Trente kilomètres plus loin, je rencontre la famille Morris. Leurs porcs de races anciennes contrôlent les adventices et préparent le lit de semence pour des blés tout aussi rustiques. « Avoir des porcs à l’extérieur semble anti-économique pour beaucoup d’agriculteurs ; mais avec les outils d’aujourd’hui on peut être très rentable, explique Fiona. En gestion holistique, on se demande : de quoi ai-je vraiment besoin pour fonctionner ?  » La mise en place de clôtures électriques a demandé un investissement important mais c’est la condition pour éviter les dégâts de sangliers et chiens sauvages. Elle insiste sur un point important du contexte australien : l’absence d’aides agricoles. « Ici on doit améliorer notre façon de travailler pour gagner de l’argent et si on veut avoir des aides il faut monter des projets pour montrer au gouvernement que cela en vaut la peine ». Une fois les semis de prairies, de plantes fourragères effectués, l’indicateur de réussite est simple : « si on ne peut pas voir que les cochons sont passés, c’est qu’on a fait du bon boulot !  »

Pouvoir du groupe et échanges avec l’extérieur

L’apport d’idées nouvelles et de points de vue différents, l’ouverture sur l’extérieur et les échanges sont un point commun à toutes les fermes en HM, en témoigne l’accueil que j’ai reçu malgré l’emploi du temps serré des agriculteurs. Stagiaires, écoles, agriculteurs, clients, touristes… les fermes se considèrent comme des « hubs » d’échanges, la sérendipité étant peut-être un des meilleurs termes pour décrire la philosophie ; on cherche autre chose que ce que l’on cherchait en créant des circonstances nouvelles et inattendues. L’isolation des agriculteurs, c’est anti-productif et anti-agroécologie, et la formation de petits groupes permet de progresser. Six fermes - dont Picot’s, Gleneden, et Echo Valley - ont formé un groupe ; leur point commun est la formation au HM par Helen Lewis. « Le groupe a permis à Ian, qui travaille à l’extérieur, de garder inspiration, passion et motivation en discutant, partageant avec les autres éleveurs du groupe, explique Helen. Quand on dit que l’on va mettre en place quelque chose sur la ferme, les autres sont là pour vérifier qu’on le fait vraiment. C’est très sain !  » Le groupe se retrouve un week-end tous les 2 mois chez l’un des membres. « Six fermes, cela permet d’éviter les grandes distances pour se rencontrer et surtout on fait tous l’effort de venir  ». La taille du groupe est donc un facteur de réussite. « Cela crée une liberté de parole, une confiance, l’absence de jugement et une ouverture qui laisse libre court à la créativité et permet un travail de qualité. Plutôt que d’accueillir un nouveau membre, on proposera de créer un nouveau petit groupe ».

10 principes en Gestion Holistique, plutôt pour les éleveurs, à adapter aux autres !

1. La nature fonctionne comme un ensemble, égal à la somme de ses parties et les relations entre ces parties. On accorde une vraie attention aux relations entre la terre, les gens, le troupeau, la biodiversité, l’eau.
2. Comprendre l’environnement que l’on gère. Plutôt que de se battre contre la nature, travailler avec et l’imiter.
3. Le bétail peut être bénéfique pour régénérer les sols à condition de bien gérer le pâturage.
4. Le temps est plus important que les nombres : le surpâturage est directement relié à la durée de pâturage et au temps entre deux périodes de pâturage.
5. Définissez ce que vous gérez (le contexte holistique)
6. Définissez ce que vous voulez : objectifs et valeurs qui sont en accord avec la qualité de vie que vous tentez d’obtenir.
7. Un sol nu est l’ennemi public n°1, il indique tout simplement si vos pratiques de gestion améliorent ou non le sol.
8. Utilisez toute votre boîte à outils : la technique, le feu, le repos, et surtout la créativité.
9. Impliquez toutes les personnes qui ont un rôle sur la ferme pour qu’ils adhèrent à une décision et que ces dernières soient objectivement testées. On voit trop souvent de l’argent dépensé sans avoir réellement testé l’idée.
10. Vérifiez que vos résultats sont atteints : est-ce que ce que vous avez mis en place a fonctionné ou est-ce qu’il faut apporter des changements ? Evaluez et améliorez, comme de bons scientifiques.

Gestion holistique et relation de couple

En Nouvelle Zélande, j’ai rencontré John King, formateur en gestion holistique depuis 13 ans.
En formation avec les agriculteurs, la question du travail en couple est centrale. « L’agriculteur ne peut pas dire qu’il ne mélange pas boulot et vie personnelle. Les deux sont liés et cela ne pose pas de problème à condition de prendre les décisions avec les membres de la famille par exemple qui seront impactés par ces décisions ». Quand les agriculteurs membres du réseau Holistic Management New Zealand se rencontrent, leur femme est toujours là. « Souvent les femmes gèrent la paperasse, la comptabilité, et ont un emploi à l’extérieur de la ferme et ont donc un autre regard sur la ferme. Elles ont une énorme influence sur la gestion et ont un rôle d’alarme quand il y a un vrai problème pour dire à leur mari « Eh ! Tu fais un truc qui ne va pas là ! »
Le couple d’agriculteurs est un sujet peu abordé dans les magazines agricoles ; pourtant c’est un pilier essentiel du fonctionnement de la ferme ! Pour John King, « il ne peut pas y avoir de vrai changement dans les champs tant qu’il n’y a pas de changement autour de la table de la cuisine. Face au stress engendré par une importante décision à prendre, la femme fera un choix moins risqué que l’homme. Elle équilibre la prise de décisions ».

Développer une nouvelle routine autour de la décision

On le sait tous : après une formation, on rentre chez nous et la routine reprend. Souvent on range ce que l’on a découvert dans un coin de notre cerveau en se disant qu’on le ressortira plus tard. « On est un bon formateur ou conseiller quand on parvient à changer cette routine. A faire en sorte que l’agriculteur planifie des moments de discussion, d’échange, de planification, en couple, en équipe ou même seul. Je suis attentif aux émotions des agriculteurs : si je trouve un agriculteur en colère, je me dis que c’est le plus sensible. Les changements sont très difficiles pour eux ; ils ne prendront pas de nouveau risque parce qu’ils veulent être en sécurité ». Pour que les agriculteurs mettent réellement en place la gestion holistique, on va les aider à tester des prises de décision dans 3 situations : quand ils sont bloqués, quand ils doivent dépenser de l’argent ou quand ils ont un problème. Dès qu’ils ont appliqué une première fois une manière différente de prendre des décisions et observé les résultats, ils vont y prendre goût. Il faut aussi les aider à détecter, dans leur agenda, à quels moment ils vont planifier pour les prochains jours, semaines, mois, années. C’est crucial de se réserver du temps pour planifier. «  Les agriculteurs qui ont réussi à changer leur mode de pensée et d’organisation font des choses extraordinaires… et c’est contagieux  » se félicite John.

Holistique et biologique

David Fincham, formé il y a 13 ans par John King, résume son contexte holistique. « Mon objectif est de capter un maximum d’énergie lumineuse dans un paysage dont j’ai la responsabilité, pour produire de l’herbe que les brebis valorisent, tout en produisant un revenu correct et en ayant du temps pour ma famille ».

Agriculture biologique et gestion holistique vont-elles de pair ? Pour l’éleveur, la rigidité du cahier des charges de la bio rend la vision holistique difficile car il nous impose une série de règles. « Mais c’est aussi un challenge car je souhaite diminuer le travail du sol tout en restant en zéro phyto, avec très peu d’exemples dont je pourrai m’inspirer dans la région ».

Tous les voyants sont au vert, seule la fertilité des sols doit être améliorée selon David. Il tente cette année l’implantation d’avoine graine en semis direct derrière luzerne pâturée. Il souhaite créer une filière de transformation de l’avoine, pourquoi pas en boisson. « La demande est énorme en Nouvelle Zélande, on doit profiter de cette opportunité ».

L’approche holistique lui a permis de comprendre que beaucoup d’agriculteurs bio néo-zélandais sont en fait très conventionnels dans leur manière de penser, en traitant les symptômes plutôt que les causes, et en continuant d’être influencés par les vendeurs d’engrais (bio) et de produits phytosanitaires (bio) sans repenser le système dans sa totalité. « Tous les conseillers nous disent de faire pâturer à l’état végétatif ; mes brebis pâturent une partie des plantes en graines, c’est de cette manière que j’ai pu diffuser le trèfle sur l’ensemble des prairies » illustre Dave. Il a opté pour des races traditionnelles qui ne produisent pas de laine et sont donc plus rustiques vis-à-vis des parasites, et qui valorisent au mieux les fourrages en consommant même les herbes moins appétantes.

Enseigner la liberté d’échouer

Le paradoxe de la formation c’est que ceux qui ont besoin de se former à la gestion holistique sont souvent ceux qui se serrent la ceinture et n’ont - ou ne prennent pas - le temps ni l’argent pour se former. C’est un défi de taille d’atteindre ces agriculteurs, d’où l’intérêt d’enseigner la gestion holistique dès le plus jeune âge… et pas seulement en lycée agricole puisque c’est un procédé de prise de décision que l’on peut appliquer dans n’importe quelle situation de la vie. John King donne des cours à l’Université de Lincoln, où une partie des agriculteurs néo-zélandais ont fait leur formation. Pour lui les idées nouvelles comme l’agroécologie et la gestion holistique devraient être enseignées bien avant le « bourrage de crâne », terme par lequel il définit l’enseignement agricole universitaire au pays des kiwis, très conventionnel… et très technique. « On n’aide pas l’étudiant à comprendre les valeurs qui guident ses décisions. La gestion globale de la ferme, incluant communication, gestion financière, sont étudiées superficiellement et déconnectées du champ. Pourtant c’est seulement sur une base économique saine que l’on peut penser à développer son système. On doit aussi donner aux étudiants l’envie de décrypter l’agriculture bien plus loin que ce que les médias disent. Les guider très tôt pour développer une confiance dans l’exploration de points de vue variés et l’expérimentation de nouvelles choses sur la ferme ».

Il prend l’exemple de Rick Cameron, éleveur de moutons qui expérimente sur sa ferme depuis 40 ans. Il a divisé ses terres en 8 unités gérées de manière différente en fonction des sols, paysages, pentes. Une unité est dédiée à explorer les espèces prairiales, les cultures, les produits pour la santé animale, les dates d’agnelage… proposées par la recherche publique ou privée. Cela l’aide à savoir ce qui marche le mieux sur la ferme… et ce qui ne marche pas. «  Aujourd’hui, environ 70 % des projets testés sur cette unité n’ont pas atteint leurs objectifs » admet Rick. Un résultat qui prouve bien que chaque contexte est différent et que les agriculteurs ont intérêt à expérimenter leurs propres idées.

En Nouvelle Zélande, les conseillers sont la plupart du temps des commerciaux qui cherchent à vendre des intrants ce qui réduit l’étendue de choix « visibles » pour les agriculteurs, peu encouragés à prendre leurs décisions par eux-mêmes. « L’observation et la pensée critique en agriculture ont deux objectifs : comprendre comment les intérêts commerciaux sculptent et déforment l’information et l’apprentissage, et questionner les hypothèses et les pratiques qui semblent rendre notre vie plus facile mais qui en fait vont à l’encontre de nos objectifs de long terme. La liberté d’échouer est une manière extrêmement puissante pour développer la créativité  » complète John King. L’innovation est inefficace du fait de toutes les erreurs accumulées donc la flexibilité pour tenter de nouvelles choses est essentielle pour augmenter les performances de l’exploitation. « Beaucoup d’agriculteurs sont bloqués dans leur « régime » de fonctionnement parce qu’ils manquent de flexibilité, d’inspiration et sont de toute manière trop occupés pour se demander ce qui est le mieux pour leur business ». Dès la formation en lycée agricole, les projets doivent rendre les tâches plus faciles, augmenter le plaisir de travailler et réduire les coûts. Tout doit se concentrer autour de l’idée de créer des choses sympa plutôt que de la peur. Et aucune université n’enseigne cela. Comme de bons scientifiques, si l’effet opposé de ce qu’ils souhaitent se passe, les agriculteurs doivent repenser leur théorie et attentes initiales. Une science consciente doit reconnaître un résultat non attendu, qui prouve que nos théories ne sont pas évidentes et ouvrir des opportunités pour une réflexion nouvelle.

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Après le passage de ce troupeau dans la prairie, une céréale d’hiver sera implantée en SD

Découvrez les autres vidéos de la playlist Holistic Management en Australie et en Nouvelle Zélande : https://www.youtube.com/playlist?list=PLKxgFH-eL2cZEYF_g2Tmk9K7gSLv3mI5T

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