Continuer de produire tout en gérant des années atypiques

À la veille de tourner la page 2022, il est logique de regarder dans le rétroviseur et de faire un bilan avant de se projeter. Cette année a été d’une certaine manière celle de tous les défis, une forme de résumé de ce qui risque de nous attendre. En seulement quelques mois et sans vraiment de préparation, nous avons été propulsés de 10 à 15 ans dans le monde de demain.

L’ ACS coche de nombreuses cases

C’est, pour commencer, les soubresauts du climat avec cet enchainement de canicules et de sècheresses sur la France et l’Europe alors que d’autres régions du globe comme le Pakistan ont subi de très fortes inondations : entre juin et août, elles auraient fait 1700 morts, affecté 33 millions d’habitants et détruit 1,8 million d’hectares de terres agricoles. À l’heure où nous bouclons ce numéro, c’est aussi l’Australie, pour une fois très bien arrosée, qui se retrouve à la moisson avec des pluies persistantes, une perte conséquente de qualité et même de grandes difficultés à récolter tant les champs sont humides. Avec ces amplitudes climatiques et les catastrophes qu’elles entraînent sur des grands bassins de production, il est de plus en plus illusoire de penser que les compensations entre les pays et les continents puissent répondre à une demande croissante. En parallèle, il devient très stratégique de développer des systèmes de production agricoles beaucoup plus résilients : à ce niveau, l’ACS coche de nombreuses cases. Enfin et au-delà des engagements de la dernière COP à Charm el-Cheikh, les enchaînements de canicules et leurs conséquences ont interpellé une partie de la population occidentale sur les vraies perspectives du réchauffement climatique. Cette prise de conscience devrait, on peut le souhaiter, déboucher sur la mise en place de solutions plus cohérentes et efficaces venant remplacer les affichages et les effets d’annonces souvent contre-productifs.

Résilience des systèmes les plus économes

2022, c’est simultanément de fortes tensions sur les approvisionnements énergétiques amplifiés par le conflit Ukraine-Russie. Les cours ont complètement explosé avec même des questions d’approvisionnement. Cet évènement montre notre extrême dépendance vis-à-vis de l’énergie qui irrigue l’ensemble de nos modes de production et de vie avec des situations assez catastrophiques pour les activités très dépendantes. L’agriculture qui en consomme aussi pour sa mécanisation, ses bâtiments, du chauffage/irrigation/séchage mais aussi ses engrais azotés, s’est trouvée fortement impactée. Cette période a cependant permis d’apprécier la résilience des systèmes les plus économes.

Raisonner sobriété

Cette crise énergétique, au-delà de booster un sursaut de recherches d’économies, et elles sont nombreuses, aura eu aussi le mérite de montrer que les énergies renouvelables (solaire et éolien) sont loin d’être la solution à cause de leur faible productivité mais surtout de leur intermittence. Dans ce contexte, il convient donc de raisonner sobriété pour réduire notre dépendance avant de penser mixte énergétique. À ce niveau, l’agriculture, qui est à la fois une activité consommatrice mais aussi productrice d’énergie par la photosynthèse, possède certainement de nouveaux atouts, d’autant plus que cette énergie est stockable et transférable. À nous de continuer d’améliorer les bilans car l’énergie-culture risque d’avoir un avenir.
Enfin, les tensions sur l’approvisionnement alimentaire, aussi largement amplifié par le conflit entre deux gros producteurs et le semi blocus de routes d’exportations ont stressé les marchés avec des répercussions positives sur les prix de vente de cet été et de cet automne pour les céréaliers. Même si cette forte embellie fluctuant au gré des annonces politiques et des évènements tend à redescendre légèrement cet hiver, le monde a découvert que la ressource alimentaire peut redevenir rare, source de fortes tensions et même de conflits dans certaines régions de la planète. Malgré le manque d’huile et de moutarde dans les linéaires, pour nous, plus que le risque de pénurie, le souci majeur est l’érosion de la position agricole de la France et notre dépendance qui ne cessent de croître depuis plus de vingt ans. Au moins cette année, le ministère de l’Agriculture s’est vu doter d’une nouvelle mission : « la souveraineté alimentaire ». C’est rassurant dans l’idée, bien que nous restions beaucoup dans l’attente des faits. En clair, « produire » en agriculture n’est plus un « gros mot » et le Green Deal européen avec son projet « de la ferme à l’assiette » (Farm to Fork), risque d’être bien revisité. Cela ne signifie pas que nous allons retrouver les années 60, mais nous devrions récupérer une légitimité à produire de la qualité tout en réduisant nos impacts environnementaux.

Rester réaliste et se préparer

Cet épisode particulier, où les éléments négatifs semblent s’accumuler renforçant le catastrophisme ambiant alimenté par les discours des lanceurs d’alertes toujours plus radicaux, est nouveau mais nécessaire pour recadrer les débats et repositionner les orientations. À l’avenir, nous croiserons certainement des accalmies mais il convient de rester réalistes et de se préparer pour des périodes plus tumultueuses. Cependant et même si elles risquent de nous compliquer la tâche, elles présentent de belles opportunités pour l’agriculture :

- Ce contexte particulier va continuer de positionner l’agriculture comme un secteur d’activité stratégique. Avec 8 milliards d’humains, des complexités d’assurance de production à cause du climat, des hausses des coûts énergétiques voire des possibles soucis d’acheminements, les denrées agricoles, au moins les céréales et le sucre, risquent de trouver des prix soutenus. Ces derniers devraient même progressivement se désolidariser du cours des matières premières et de l’énergie sur lequel ils étaient trop alignés par le passé.
- Même si la dépression économique qui nous guette devrait faire chuter une partie des cours des matières premières qui ont déjà bien amorcé une baisse (acier, bois, gaz, cuivre) avec des premiers ajustements sur les prix des engrais azotés, il va falloir continuer de développer des modes de production économes et autonomes : une orientation centrale et concrète pour les réseaux ACS ! En complément, la recherche d’une moindre dépendance énergétique couplée avec la réduction de notre pression sur le climat, va nous obliger à recourir à plus d’énergies décarbonées comme peut produire l’agriculture (huile, éthanol, méthane….). Ce dossier devrait progressivement faire émerger de nouveaux bilans énergétiques montrant que les retours sur énergie investie en agriculture peuvent être tout à fait intéressants !
- L’eau va être une autre ressource rare qu’il va falloir apprendre à mieux gérer. Si le stockage et la redistribution, malgré les récentes manifestations, peuvent être un élément de sécurisation localement, la qualité des sols, leur couverture par des mulchs morts et/ou vivants, leur porosité et leur capacité de stockage et de redistribution grâce à la matière organique restent l’un des objectifs les plus performants et durables. Bien entendu, il s’agit d’actions qui se construisent dans le temps et qui ne pourront pas permettre d’absorber toutes les incertitudes climatiques mais c’est aujourd’hui l’orientation la plus simple, la plus efficace à grande échelle si bien que certains pays du Sud comme le Maroc présentent l’ACS comme l’agriculture Climato-intelligente.
- Le carbone rentre de plus en plus en jeu dans cette équation. Si faire des économies, être plus sobres en énergies fossiles, utiliser des énergies peu carbonées est la voie à privilégier, décarboner l’atmosphère est une option complémentaire importante à mettre en œuvre pour minimiser et ralentir l’impact global. À ce niveau et même si les arbres sont souvent mis en avant, l’activité agricole, en gérant la photosynthèse, est capable de capter de très grandes quantités de carbone dans sa végétation. On ne répétera jamais assez que le carbone représente à minima 40 % de la matière sèche végétale qu’il suffit de multiplier par 3,68 pour obtenir l’équivalent CO2. Ainsi 10 t de MS/ha c’est au moins 4 t de C ou 14-15 t d’équivalent CO2/ha. Bien entendu, il faut raisonner bilan mais avec les premières rémunérations carbone qui arrivent, beaucoup sont en train de découvrir le potentiel de l’agriculture à ce niveau. Même si les modèles sont imparfaits et qu’il existe de nombreuses sources d’erreurs, cette dimension positive de l’impact de l’agriculture risque d’être portée dans les débats et nous mettre en avant, notamment par ceux qui cherchent à se décarboner.
- Enfin, ce grand recadrage est en train de faire voler en éclats les discours et les décisions trop simplistes. Il va falloir accepter que nous vivions dans un monde complexe. Rien n’est binaire, tout est lié et retirer un élément, a priori négatif, peut entraîner plus de dommages qu’une transition réfléchie. En agriculture, c’est le carbone qui peut être symbole de lien ; il rentre par la photosynthèse (qu’il faut donc amplifier) et il ressort par la respiration/décomposition/minéralisation pour récupérer de l’énergie, développer la biodiversité mais aussi fournir de la fertilité pour renouveler la photosynthèse. Face à cette infinie complexité, il convient de laisser les idéologies et recommencer à faire confiance aux experts, aux scientifiques et surtout à ceux qui pratiquent au quotidien : les agriculteurs en l’occurrence. C’est seulement de cette manière que nous sortirons de l’écologie « punitive » peu efficace pour une écologie « positive » qui apporte l’adhésion de l’ensemble des acteurs, des impacts rapides et forts mais aussi plus de résilience et une capacité d’adaptation en fonction de l’évolution des contextes de production.

L’avenir regorge d’opportunités pour l’agriculture

Au regard de ce bilan et de ces réflexions, l’avenir n’est peut-être pas si serein, mais il regorge d’opportunités pour l’agriculture. Dans tous les cas, nous allons devoir continuer à produire de manière plus efficace tout en respectant mieux les sols, voire en les régénérant tout en stockant du carbone. Vu sous cet angle, l’ACS risque de continuer de s’imposer comme l’une des solutions.


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