Laurent Farcy, Sarthe : La mutation d’un système fourrager

Nathalie Tiers ; Cultivar - avril 2013

« Le sol est un outil de travail à respecter car il détermine le reste. » Voilà le leitmotiv de Laurent Farcy, un jeune éleveur sarthois qui construit depuis sept ans sur ce sol nourricier, un système fourrager agronomiquement et économiquement sécurisé : pas d’irrigation, variété des espèces, richesse en protéines pour réduire les achats.

Une vidéo de Cultivar TV est consacrée à Laurent Farcy : vidéo

Laurent Farcy s’est installé en 2004 à l’âge de 35 ans sur l’exploitation de ses parents. Une exploitation traditionnelle en système maïs-soja, avec un niveau de production entre 7 500 et 8 000 kg de lait par vache. « Des résultats corrects, reconnaît l’éleveur. Mais des soucis d’acidose, et aussi des heures passées sur le tracteur à labourer…  » Pour régler ses problèmes d’acidose, il se penche sur les sources de fibres dans la ration et s’intéresse aux ensilages de méteils. Il met alors le pied dans l’association Base1 et se trouve entraîné dans une nouvelle vision de son métier dont il ne sortira plus : l’agriculture de conservation des sols, basée notamment sur le non-labour et le semis direct. Après sept années d’adaptations et d’essais sur son exploitation, il aborde 2013 comme une année charnière vers une organisation aboutie de son système fourrager, permise notamment par l’achat de matériel en commun avec deux agriculteurs voisins. « J’ai commencé à faire de l’agriculture de conservation avec le matériel que j’avais, raconte Laurent. Ensuite, avec des voisins, nous avons acheté un compil de marque Duro pour détruire les couverts, puis un fissurateur de marque Actisol pour réparer les dégâts suite à une récolte difficile en maïs par exemple. En 2012, nous avons acheté un strip-till pour ne travailler que la ligne de semis en maïs, sorgho et tournesol. »

Enfin, au printemps 2013, c’est une remorque autochargeuse-ensileuse qui est attendue par les trois éleveurs : un outil plus léger qu’une ensileuse, et qui va leur permettre notamment de remplacer l’enrubannage assez coûteux.

« Nous faisons une erreur »

« Mon objectif est d’être davantage autonome en protéines, affirme l’éleveur. Mes méteils vont donc évoluer vers davantage de légumineuses et un minimum de céréales. Outre la réduction des achats de protéines, cela sera bénéfique pour les sols. Désormais, je ne vais plus attendre la maturité des céréales du mélange pour récolter. Je récolterai mi-mai pour optimiser le taux de protéines : fauchage, préfanage, andainage puis ramassage à l’autochargeuse. Prochainement, nous investirons dans une faucheuse frontale de 6 m de large, une faucheuse conditionneuse à rouleaux caoutchouc afin de préserver les légumineuses. Nous gagnerons ainsi un passage d’outil. »

Alors que les méteils seront de plus en plus dédiés à la protéine, les maïs et sorghos seront de leur côté de plus en plus dédiés à l’amidon et donc à l’énergie. L’objectif sera de se focaliser au maximum sur la partie en grains des maïs et sorghos, mais en réalité l’agriculteur fera varier la hauteur de coupe de son maïs en fonction de ce qu’il aura récolté au printemps, afin de sécuriser son approvisionnement fourrager. « Nous faisons une erreur les bonnes années de couper les maïs à ras et de récolter du maïs grain à côté pour le vendre ! lance Laurent Farcy. Couper plus haut permet de concentrer la ration en énergie, et aussi de nourrir notre deuxième cheptel : les vers de terre ! »

Certes, mais où aller chercher la fibre alors ? « Les fibres du maïs ne m’intéressent pas, répond l’éleveur. Les fibres, je vais les chercher dans les graminées des méteils et des prairies temporaires. » Côté méteils, le triticale et l’avoine vont devenir minoritaires dans les mélanges pour laisser plus de place aux pois, vesce, féverole et autres trèfles. En revanche, côté prairies temporaires, les surfaces devraient augmenter, et l’éleveur prévoit d’y introduire des espèces moins pérennes mais plus productives (ray-grass hybride, ray-grass italien, dactyle, ainsi que divers trèfles). L’idée est d’aller vers des prairies temporaires vouées aux récoltes et d’une durée maximale de trois ans, afin de faire bénéficier les cultures suivantes des effets du précédent prairie. Pas la moindre goutte d’eau Une partie des prairies temporaires est aussi consacrée à la luzerne. Celle-ci est implantée en même temps qu’un tournesol (le semis est fait en deux fois le même jour, luzerne puis tournesol) pour permettre un bon développement, sans salissement et donc sans désherbage. La première année, la luzerne monte en graines, dispersées par la récolte de tournesol. Puis la luzerne est exploitée pure pendant plusieurs années, avec éventuellement un sursemis de triticale, seigle ou blé (variétés anciennes qui montent suffisamment haut pour être récoltées). « Désormais, je pense que j’implanterai la luzerne plutôt à l’automne en association avec une graminée, un dactyle par exemple, annonce Laurent Farcy. Ce sera comme une prairie. Les années suivantes, je ferai des sursemis de légumineuses. De plus, avec l’autochargeuse, je récolterai une luzerne moins volumineuse mais plus qualitative. »

Les surfaces en céréales à paille devraient se maintenir autour de 30 ha pour alimenter les litières (système fumier) et les génisses. Les 40 ha de maïs et sorgho seront peut-être revus à la baisse, mais ces cultures garderont une place significative sur l’exploitation. « Je n’oublierai pas l’année 2011 durant laquelle nous n’avons pas reçu la moindre goutte d’eau du 27 février au 17 juillet, justifie Laurent Farcy. Le fait de récolter tôt mes méteils avec l’autochargeuse va me permettre de semer un maïs en strip-till, ou un sorgho en cas de manque d’eau, ou encore un méteil d’été à base de moha et de trèfles en cas de manque d’eau plus sévère. Car nous n’avons pas d’irrigation.  »

Enfin, sur les prairies permanentes surtout consacrées à l’heure actuelle au pâturage des génisses, l’éleveur prévoit de faire un peu de sursemis de méteil ou de légumineuses afin de les exploiter davantage.

« Je n’ai qu’une douzaine d’hectares accessibles au pâturage, explique-t-il. Les vaches sortent vers le 15 février, mais en général, il n’y a plus rien à pâturer au 1er mai, voire au 15 avril. »

« 2012 me conforte »

Au cours des sept années passées consacrées à la mutation de son système fourrager, Laurent Farcy a déjà constaté des résultats intéressants sur son troupeau : il n’a pas rencontré de problème d’acidose depuis sept ans, les mammites ont diminué et les boiteries sont rares. Dans le réseau lait de la Sarthe, il est dans la moyenne basse des frais vétérinaires. Ses vaches sont en bonne santé et peuvent atteindre une production moyenne de 10 000 kg de lait lors des années favorables aux fourrages, malgré la diminution du maïs. La consommation de concentrés est d’à peine deux tonnes par vache et par an.

« Côté cultures, l’année 2012 me conforte dans la voie que j’ai choisie, souligne l’éleveur. Je n’ai pas eu d’érosion même dans les champs en pente, pas de battance. J’ai fait mon premier apport d’azote mifévrier sans problème de portance, et mon désherbage sur blé de même. Et, surtout, j’ai pu entrer dans mes champs à l’automne et implanter ce que je voulais.  »

Du point de vue de la marge économique, l’éleveur pense qu’il n’est « pas mieux que les autres » pour le moment. Dans sa comptabilité, le montant des lignes produits phytosanitaires et engrais n’a pas bougé depuis sept ans (ce qui est déjà bon signe) ; de là à affirmer qu’il fait des économies d’intrants… Laurent Farcy ne le risque pas encore. « Les économies sont à venir, précise-t-il. Mon sol se prépare et va bientôt me restituer les éléments qui me permettront de diminuer mes intrants. Je suis serein ; économiquement, je vais dans le bon sens. »


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