Mardi 21 juin 2022
Djamel Belaid

Après plusieurs années de terrain et d’enseignement à l’université de Batna (Algérie) puis de conseil agricole en grandes cultures au niveau de la Chambre d’agriculture de l’Oise, Djamel BELAID collabore à différents médias algériens. Préoccupé par les questions de développement agricole en milieu semi-aride, il s’intéresse plus particulièrement aux questions de non-labour et d’échanges entre agricultures des deux rives.

Algérie, l’agriculture de conservation passe par les fourrages

Face au réchauffement climatique, les choses bougent doucement en Algérie. Trop doucement...

Rencontres ICARDA juin 2022
Rencontres ICARDA juin 2022
Des rendements ont été inhabituellement bas en Algérie cette année. Barbara Rischkowsky (ICARDA)

« Les rendements ont été inhabituellement bas en Algérie cette année. Cela nous montre à quel point nous devons travailler plus dur pour trouver des solutions » prévient Barbara Rischkowsky, chef d’équipe au Centre International de Recherche sur l’Agriculture dans les zones sèches (ICARDA). Un constat émis lors d’une rencontre à la mi-juin à Sétif afin de tirer le bilan d’un programme sur l’association entre céréales et élevage. Une lueur d’espoir, le développement des méteils.

A Sétif, déjà 24 semoirs pour semis direct

Le semoir Boudour produit localement
Le semoir Boudour produit localement

Dans la région de Sétif (250 km au sud-est d’Alger), le message relatif aux bienfaits de l’agriculture de conservation semble avoir été entendu. Ce sont 241 agriculteurs qui ont été associés aux actions de vulgarisation de l’ICARDA sur près d’un millier d’hectares. Les services agricoles ne jurent que par l’irrigation de complément. Pourtant sans irriguer, les résultats obtenus sont probants. Le travail minimum du sol en remplacement du labour a permis des gains moyens de rendement de 1,5 à 4,5 qx/ha tout en réduisant les charges de 10 à 17%. Quant aux agriculteurs qui ont choisi le semis direct, le gain est de 6 à 14 qx/ha avec une diminution des charges de 13 à 24%. L’explication réside dans une meilleure infiltration de l’eau de pluie dans le sol et dans l’économie des 25 litres de carburant auparavant utilisés pour le labour. La région compte 24 semoirs pour semis direct dont des semoirs low cost fabriqués localement par l’entreprise publique PMAT.

La paille réservée pour les moutons

Abandonner le labour nécessite cependant une lutte acharnée contre le brome. La présence de l’élevage du mouton complique également la mise en place de l’agriculture de conservation. Traditionnellement la paille est utilisée comme fourrage et les terres ne sont travaillées qu’une année sur deux pour servir de jachère pâturée.
Le sud de la région de Sétif correspond à une zone marginale aux sols peu profonds et aux printemps gélifs. Face à la faiblesse des rendements en blé dur (15 quintaux par hectare), la présence d’un élevage ovin sur les exploitations permet d’assurer un revenu complémentaire.
Le mérite du programme de l’ICARDA est d’avoir tenu compte des particularités locales. Ainsi, pour le spécialiste tunisien Aymen Frija « l’une des réussites du programme a été de casser les cloisons entre les domaines d’expertise : spécialistes des productions animales et végétales, économistes, chercheurs, développeurs, secteur privé et associations d’agriculteurs ont tous collaboré pour atteindre les mêmes objectifs. »

L’expérience tunisienne pour produire du fourrage

L’exemple de la Tunisie est intéressant. Pour produire en même temps des céréales et des moutons, ce pays s’est lancé dans le développement des cultures de fourrages et de semences avec pour objectif d’augmenter la valeur fourragère des surfaces en jachère pâturée. Des jachères à la flore spontanée de faible valeur nutritive.
Pour Mohamed Abdelhak Khorchani, le directeur de production de semences de la société tunisienne Cotugrains : « Grâce à notre implication dans le programme de l’ICARDA, nous avons progressivement augmenté notre production et notre commercialisation de semences de mélanges fourragers à 200 tonnes par an, pour pouvoir répondre à la demande croissante des agriculteurs. L’objectif commercial de Cotugrains est de commercialiser 500 tonnes d’ici 2025. » Cotugrains, filiale du groupe Hortimag, développe une politique de contrats avec des agriculteurs qui se spécialisent dans la production de semences fourragères. Aux traditionnels fourrages naturels des jachères, il est aujourd’hui possible de semer des mélanges comportant vesce, triticale, avoine et fenugrec. La commercialisation de mélanges de semences prêts à être semés est une première en Tunisie.

Prémices d’une révolution fourragère en Algérie

Initiative dont le directeur général de l’Office tunisien de l’élevage et des pâturages (OEP) s’est félicité : « L’OEP est heureux de voir des acteurs privés et des entreprises s’engager dans la production de semences fourragères, ce qui comble les lacunes et améliore les équilibres dans les calendriers d’alimentation du troupeau en Tunisie.  »
En Algérie, l’expérience tunisienne est suivie de près. A Aïn El Bey (Constantine), l’agriculteur Mohamed Haroun co-gestionnaire d’Agro-Enrubannage, une société de prestation de services, propose un mélange fourrager comportant graminées, légumineuses et colza. La société Axium de Constantine développe également un ambitieux programme de production de semences. A Sétif, pour la seule année 2021, ce sont plus de 8 234 moutons qui ont bénéficié de ce type d’alimentation.

Produire des références techniques locales

Les initiateurs de ce programme ont tenu à toucher le maximum d’agriculteurs. Ils ont multiplié les rencontres et les brochures de vulgarisation en langue arabe : santé des animaux, fourrages, rotation des cultures, lutte contre les mauvaises herbes et fertilisation. Un peu plus de 8 000 moutons concernés sur un cheptel national de plus de 20 millions de têtes ainsi qu’un millier d’hectares concerné sur les 8 millions de terres céréalières. Une goutte d’eau dans l’océan ? Mais des références techniques locales irréfutables.