Gaec du bois doré à Briantes (36) un fond de luzerne

Cécile Waligora - TCS n°80 ; novembre/décembre 2014

Dans l’esprit de Franck Moulin, l’un des deux frères du Gaec du Bois Doré, l’objectif est relativement clair pour les années qui viennent : avoir une couverture de luzerne sur la plupart des parcelles de l’exploitation et y faire tourner les cultures. Une sorte d’aboutissement du semis direct sous couvert. Déjà, colza et blé se marient fort bien avec la légumineuse. Le reste de la rotation est à réfléchir mais Franck a déjà sa petite idée.

Le semis direct est arrivé de bonne heure chez les Moulin, dès l’installation du plus jeune frère, Franck, en 1998. Un semoir John Deere de 3 m est acheté, renouvelé il y a trois ans, en même largeur. Pas besoin de plus dans ce parcellaire regroupé et de nature bocagère. Ici, des éléments fixes du paysage, on en trouve partout ; les agriculteurs et éleveurs ayant conservé haies, bosquets et arbres, même au milieu de certaines parcelles.

Pour résumer le pourquoi du semis direct sur le Gaec : assez de ramasser des cailloux après les labours et gros besoin de gagner du temps pour l’élevage. Le parcours en SD a ensuite été plus ou moins chaotique. Les trois premières années, les cultures ont été implantées en direct pur puis, les dix années suivantes, F. Moulin s’est remis à « gratter » un peu, sans d’ailleurs trouver de raison valable. Ensuite, sans doute parce qu’elles étaient cette fois-ci prêtes, certaines parcelles ont de nouveau été implantées en direct (cela fait 6 ans), tandis que d’autres (25 ha), sont encore en TCS mais prévues en SD dès que le sol sera prêt.

Un colza vraiment pas cher

Le début des couverts arrive grâce au sarrasin. « Nous avions l’habitude de faire du sarrasin en dérobée derrière une orge, explique le SDiste. Nous travaillons en effet avec un meunier et j’ai de la semence. Parfois on le récoltait, parfois pas. Ce fut ainsi notre premier type de couvert. quand l’idée du colza associé a émergé, il n’y avait qu’un pas pour l’accompagner avec notre dérobée fétiche. » Désormais, derrière orge, il y a un colza associé avec du sarrasin, ce qui induit une date de semis vraiment très précoce, début juillet. « Sans compter que nos sols sont largement pourvus en matières organiques, grâce à l’élevage. De gros colzas, avec élongation, c’est monnaie courante mais cela ne m’inquiète pas, c’est toujours passé », indique l’agriculteur du Boischaut sud. Le colza produit ne coûte vraiment pas cher :
- Grâce au sarrasin, pas besoin d’anti-dicotylédones.
- Pas d’insecticide d’automne car c’est une exigence du contrat signé pour la vente du sarrasin. Dans tous les cas, il s’agit d’un colza semé très tôt donc très peu sensible aux attaques automnales de charançons. F. Moulin estime aussi qu’il n’y a pas nécessité de traiter contre le sclérotinia : « Une année ou deux sur dix, on peut déplorer de fortes attaques mais cela ne justifie pas cet investissement. »
- Aucun anti-limaces, ce qui est d’ailleurs la règle sur toute l’exploitation.
- Et l’utilisation de semences de ferme, autre règle du Gaec. Si, en plus, le sarrasin est récoltable (5 à 12 q/ha), la culture du colza est, comme le dit Franck « déjà en charges négatives même si, sur les cinq dernières années, le rendement ne tourne qu’autour de 28-29 q/ha. Dans tous les cas, il faut bien avoir en tête que nous avons des terres à faible potentiel. Il faut donc raisonner en connaissance de cause ».

Depuis deux ans, F. Moulin a décidé d’ajouter à ce duo de la luzerne pour commencer l’expérience de la couverture permanente. « Je souhaite, si cela fonctionne, abaisser encore les charges opérationnelles. Sans compter que pour l’élevage, la luzerne est vraiment un super aliment et pour les sols, une garantie d’approvisionnement gratuit et durable en azote. Le couvert permanent, c’est aussi pour gagner encore du temps car je n’aurais plus à semer de couverts », estime-t-il. Car des couverts, il en sème aussi d’autres ; en général des Biomax.

Deux pailles à la suite

Derrière colza, suit un blé. L’agriculteur tient à avoir, tous les ans, 50 % de sa sole en blé, sorte d’assurance économique. Son stockage est aussi conçu de la sorte. Il n’a donc guère envie de changer cette règle. Grâce à la luzerne dans le colza, un couvert est donc déjà en place. Mais le couvert de luzerne ne peut pas être implanté partout, une partie des sols, plutôt sableuse, n’étant pas favorable à la légumineuse. Dans ces solslà, l’agriculteur laisse tout bonnement les repousses de colza en couverture.

Le blé est semé, bien entendu, en direct au John Deere, au cours de la deuxième quinzaine d’octobre. Toujours en semences de ferme et toujours en mélange de quatre variétés : Arezzo, Solehio, Sy moisson et Paledor ; des variétés précoces. En général, ce premier blé produit une soixantaine de quintaux/hectare. À voir, par la suite, comment évolue ce rendement avec un peu plus de recul en couverture permanente. Les charges de ce premier blé s’élèvent à environ 250 euros/hectare réparties en 20 euros de semences (110 kg/ ha), 70 euros d’herbicides, 30 euros de fongicide (un passage à dose partielle), 120 euros d’engrais principalement azoté (130 kg/ha) et 10 euros de divers (adjuvant, traitement de semences). Après cette première paille, notre SDiste a choisi d’implanter une seconde paille, soit une orge d’hiver, soit un triticale, voire un deuxième blé. Pas de réel souci d’implantation en direct puisque, rappelons- le, les pailles sont enlevées. Ce qui fait d’ailleurs préciser Franck : « Si certains SDistes, non-éleveurs, ont dû passer du disque à la dent à cause des résidus pailleux, pour ma part, les disques continuent très bien leur travail. »

Pourquoi l’orge ? « Elle est importante dans la ration des bovins, en grains aplatis. C’est aussi l’assurance d’une récolte précoce, me permettant de semer une seconde culture comme le sarrasin », répond l’agriculteur. Le triticale ? « Il est plus facile à produire qu’une orge, plus facile à désherber et aussi plus simple à implanter en SD. En réalité, je ne peux pas vraiment comparer puisque les terres qui sont encore travaillées en TCS, c’est justement pour l’orge d’hiver. » Et qu’en est-il de l’interculture entre ces deux pailles ? Avant orge d’hiver, il n’y a pas le temps. Avant triticale, si possible, un Biomax prend place. Avant un autre blé, c’est souvent un sarrasin semé avant le 20 juillet. C’est un peu tard mais, les bonnes années, il peut quand même être récolté. Sans compter la couverture de luzerne qui se met en place tout doucement et qui va quelque peu bouleverser cette organisation.

Seigle et vesce velue

Sur les parcelles où la luzerne n’a pas encore été introduite, trois options viennent pour le moment après la seconde paille : un maïs ensilage, un tournesol ou un colza. « J’ai aussi tenté des protéagineux comme le pois de printemps, le lupin ou la féverole mais aucun ne m’a satisfait. Ce qui ne veut pas dire que je laisse tomber. » L’interculture avant maïs, F. Moulin a choisi de la couvrir avec un mélange plutôt surprenant : seigle + vesse velue. L’élément étonnant du mélange, c’est l’espèce choisie de vesce. « Beaucoup m’ont mis en garde par rapport à la vesce velue, avoue Franck. En me disant que je risquais de la retrouver partout dans mes parcelles. Très franchement, cela fait cinq ans que je sème ce mélange avant maïs et si je retrouve parfois quelques pieds à droite, à gauche, elle est loin d’être envahissante et se détruit plutôt facilement avec le désherbage dans les cultures qui suivent. Il faut voir la biomasse que ce mélange peut produire, jusqu’à 7 tonnes de MS/ha, sans compter le système racinaire qui rend l’implantation du maïs qui suit plus facile. Le semis du mélange, réalisé en direct mi-septembre à raison de 80 kg de seigle + 10 kg de vesse velue, est aussi facile. Seul bémol mais pas trop grave : ce duo possède une moins bonne valeur alimentaire pour les bovins qu’un ray-grass d’Italie, couvert que je semais avant. » La vesse velue n’est pas venue par hasard : elle était déjà utilisée sur l’exploitation en ensilage dans les années 1980.

Quant au seigle, l’agriculteur l’a aussi choisi pour sa précocité à l’épiaison. Ce mélange est ensilé. Le maïs est ensuite semé quelques jours après la récolte du couvert. C’est là qu’intervient un autre outil, acheté en Cuma comme le semoir : un strip-tiller Jammet en 6 rangs. Un semoir Monosem NG + complète l’outil. « Je n’implante mon maïs que dans les sols sablo-argileux. Je passe le strip-tiller et je sème en même temps vers la mi-mai. Cela peut paraître tard mais j’utilise des variétés précoces. J’ajoute qu’entre la récolte du couvert et le semis du maïs, j’épands du compost et j’applique un glyphosate. Au semis, mélangé à la semence, je fertilise en localisé avec du 18-46. Une bonne année climatique, je peux produire 16 tonnes de MS/ha. » F. Moulin avoue que le strip-tiller, c’est aussi pour gagner du temps en lui permettant d’implanter son maïs en une seule fois. Côté salissement, l’interrang, grâce au travail du mélange seigle + vesse, est très propre. Reste les adventices qui se développent sur le rang. Pour cela, le Gaec envisage d’investir, toujours en Cuma, dans un désherbage localisé sur le rang. Mais rien n’est encore fait.

Le tournesol compromis

Le tournesol est un peu la culture par défaut quand une culture d’automne n’a pas marché. Dans le secteur, le tournesol a été plus ou moins abandonné à cause du développement de l’ambroisie. Cette année, après un colza raté à l’automne, Franck en a tout de même implanté. La culture a été semée de la même façon que le maïs, avec le strip-tiller que l’agriculteur peut à loisir mettre en 55 cm d’écartement ou en 75 cm. Le rendement n’a pas été mirobolant, 25 q/ha et le SDiste avoue être un peu déçu de l’implantation en strip-till. Mais il estime aussi que le tournesol en travail du sol très simplifié, c’est très délicat. Il n’y avait pas non plus, comme avant maïs, de couvert. Ce serait peut-être mieux de l’implanter, toujours en strip-till, mais dans un beau couvert d’automne, puis, en culture, d’utiliser le désherbage localisé (si investissement par la Cuma ). Quoi qu’il en soit, comme le Gaec souhaite développer la couverture permanente de luzerne, l’avenir d’une culture comme le tournesol, voire même du maïs ensilage, est compromis. « Luzerne avec colza, j’ai déjà l’expérience et je sais que cela fonctionne. Jusqu’à présent, la légumineuse n’est jamais passée par-dessus le colza et, au cas où, j’ai toujours du Lontrel s’il faut la calmer. Je trouve que les deux plantes ont des cycles qui se complètent bien. Ensuite, dans le blé, aucun problème non plus. Les deux plantes cohabitent parfaitement. S’il faut, là aussi, calmer la luzerne, certaines hormones sont utilisables. » Ce que n’a pas encore dit F. Moulin, c’est qu’après la récolte du colza, la luzerne reprend et, fin août, il peut faire une coupe : « Un super aliment pour les vaches », précise-t-il ! Il a ainsi déjà pu récolter près de 2 tonnes de MS/ha.

Première quinzaine d’octobre, le blé est semé en direct dans la luzerne qui a repris, après application d’un glyphosate. Défoliée, la légumineuse va néanmoins continuer son développement. « Mon objectif est de la garder le plus longtemps possible, déclare Franck. Après ce premier blé, je pense ne rien changer en semant une deuxième céréale et elle devrait encore bien cohabiter avec la luzerne. Ensuite, cela se corse. Je n’envisage pas de continuer avec un maïs ou un tournesol mais plutôt de poursuivre avec une troisième céréale. » Des débuts plutôt prometteurs dans la couverture permanente. Le Gaec a pour cela la chance que la luzerne, l’une des meilleures légumineuses qui soit, soit très bien adaptée à ses terres. Mais c’est une stratégie mûrement réfléchie qui n’aurait certainement pas pu se mettre en place sans que les sols ne soient prêts. Une stratégie également réfléchie grâce à la présence de l’élevage. Le challenge est désormais d’arriver à passer le cap de la troisième, voire de la quatrième année de couverture permanente.


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