Dimanche 8 novembre 2009
Guillaume Bodovillé

Passionné d’agronomie, je contribue au site agriculture-de-conservation.com et au magazine TCS. Je m’intéresse aux pratiques agricoles innovantes permettant la conservation du sol et l’amélioration de sa fertilité.

Une rotation à la Dwayne Beck pour surprendre la nature

Guillaume Bodovillé

Je relisais dernièrement un article datant de 2006 paru dans le petit magazine "Nebraska Farmer", qui donnait l’exemple d’une rotation à la Dwayne Beck mise en oeuvre sur l’exploitation de Randy Rink qui couvre 800 ha en semis direct.
C’est d’ailleurs Dwayne Beck qui inspira au cours d’une conférence une telle logique à Randy Rink pour sa rotation.

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L’agriculteur du Nord-Est du Nebraska transforme sa rotation maïs / soja, typique de la région, en une rotation plus longue et plus complexe, d’une durée de 5 ans, avec 6 cultures récoltées et un seul couvert, en semis direct.
La rotation commence par 2 ans de maïs grain, avec les résidus de maïs laissés au sol pour le protéger pendant les intercultures d’hiver.
Après le deuxième maïs, c’est un pois protéagineux de printemps, aliment apprécié par les sangliers de l’élevage, qui est implanté, suivi d’un couvert de lentille et de colza en interculture. Le colza, avec sa croissance rapide, couvre vite le sol et concurrence ainsi les adventices ; sa croissance est facilitée par les reliquats azotés du pois et il joue aussi le rôle de piège à nitrate. La lentille, avec ses nodosités, produit de l’azote qui bénéficiera au blé qui suivra. Au lieu d’un pois, un soja peut être implanté, il n’est alors pas suivi d’un couvert. En intercalant un pois ou un soja entre le maïs et le blé, l’agriculteur réduit les risques de fusariose sur le blé qui sont favorisés en semis direct par les résidus de maïs laissés au sol sous le blé.
La quatrième année de la rotation, sitôt le blé tendre d’hiver récolté, un millet blanc est implanté en culture dérobé. Après la récolte du millet, le sol reste couvert par les pailles pendant l’hiver.
Au printemps suivant, pour la cinquième et dernière année de la rotation, un soja est implanté en semis direct. Après la récolte du soja, le sol reste couvert par les résidus de soja mais aussi par les pailles de blé et de millet qui ne sont pas encore toutes décomposées, jusqu’au semis du maïs au printemps suivant. On aurait très bien pu imaginer couvrir cette interculture, par exemple avec du seigle.

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La logique agronomique de cette rotation est la suivante :
- Surprendre la nature avec des délais de retour des cultures "incohérents" (par rapport à la rotation classique), avec des durées d’interculture toujours différentes dans la rotation. Ainsi, le maïs est cultivé 2 ans de suite, puis ne revient qu’après une pause de 3 ans. De même pour le soja qui revient après 2 ans, puis après 3 ou 5 ans.
- Ce décalage des dates de semis, des types de culture et de la durée de leur cycle permet une rupture des cycles des insectes, des maladies et des adventices.
- L’ajout d’une culture d’hiver, le blé, permet de gérer les adventices estivales qui sont un problème dans une rotation très chargée en cultures d’été. L’exploration racinaire du blé est également appréciée, et cette culture laisse des résidus au sol qui vont tenir jusqu’au premier maïs 2 ans après (le blé laisse en effet bien plus de résidus que le soja). L’agriculteur en profite également pour épandre du lisier sur les chaumes de blé.
- La diversification de la rotation permet comme toujours d’écrêter les pointes de travail et d’optimiser le parc matériel. La seule dépense effectuée avec cette nouvelle rotation est l’achat d’un stripper pour la récolte du blé. Le débit de chantier est significativement accru grâce au stripper, et la paille debout ne gêne pas le semoir pour le semis direct du millet blanc aussitôt la récolte du blé.
- Tous les résidus de cultures sont laissés sur le champ, permettant une amélioration du taux de matières organiques et une meilleure protection du sol.
- Cette nouvelle rotation offre davantage d’opportunités et souplesse de désherbage et facilite ainsi la gestion des adventices. Par exemple, il peut appliquer une forte dose d’atrazine sur le premier maïs, ce qui lui permet de bien gérer les adventices, car il a ensuite un deuxième maïs et non un soja : il n’a donc pas à craindre une rémanence de cet herbicide. Il ne pourrait pas faire cela sur une rotation maïs/soja, avec en conséquence une moins bonne gestion des adventices.
- Le semis direct, en conservant les résidus de culture sur le sol, lui permet de lutter contre l’érosion.
- La marge du blé n’est pas forcément aussi bonne que celles du maïs et du soja, mais cela lui permet d’implanter une culture dérobée et donc d’améliorer le résultat au final. Enfin, et c’est toujours vrai, il lui semble important d’évaluer le bénéfice économique sur la rotation, au niveau du système de culture complet, et non au niveau de chaque culture prise individuellement.