Mardi 6 décembre 2011
Philippe Jacquemin

Philippe Jacquemin est agriculteur en Champagne depuis 14 ans dont 10 en TCS et traitement bas volume. Il a été formateur durant 7 ans en agriculture et environnement. Passionné de photo, de nature et de voyage, il nous fait partager sa vision de l’agriculture.

La pénurie de phosphore d’ici peu…

Philippe Jacquemin

L’un des éléments majeur de l’agriculteur, le phosphore (P) a permis de tripler en un siècle le rendement du blé. On ne peut remplacer le phosphore par un autre élément. Chez les plantes il est l’un des composants de l’ADN, dans un grand nombre de molécules organiques, joue un rôle primordial dans le transport et la mise en réserve de l’énergie, l’activation de nombreuses enzymes, indispensable au tissus des plantes et en particulier dans le développement du système racinaire. Mais le phosphore s’épuise. Les réserves minières se vident vite, très vite, trop vite. Il resterait moins de16 milliards de tonnes exploitable dans les mines. Avec un rythme de 158 millions de tonnes extraits en 2009 une publication début 2010 des rapports suédois et australien sur le sujet démontrent et annoncent la fin des réserves de phosphates d’ici 50 à 100 ans avec un niveau de consommation de 2009. La FAO (organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculteur) prévoit une augmentation de la demande de +40% d’ici 2030 en phosphate compte tenu de l’augmentation de la population et des besoins alimentaires. Le Maroc détient le tiers et la Chine le quart des réserves mondiale. Mais vers 2030 il n’y aura plus assez d’offre et beaucoup trop de demande. Cependant, le recyclage des eaux usées des stations d’épuration riche en phosphore notamment les déjections humaines. Elles contiennent 1,5 grammes de phosphate bicalcique en moyenne par individu et par jours soit volume total sur un ans en France 180 000 tonnes. Autre apport les farines animales désormais interdites contiendraient entre 60 000 et 70 000 tonnes de phosphate bicalcique facilement récupérables.

Au 20ème siècle les chercheurs ont réduit la taille des blés (à origine plus de 1,50m) afin de limiter la verse due au vent et donc les pertes de rendements. Mais les gènes introduits pour réduire la hauteur ont aussi conduit à diviser la taille des racines et donc leur efficacité à extraire les minéraux du sol. Pour pallier à ce problème il y a eu une intensification de l’épandage d’engrais. Ce qui marqua le début de la culture hydroponique en plein champs (amener tout les éléments minéraux, l’eau nécessaire à la plante en temps et en heure).

Par ailleurs, le phosphore ne circule que très peu dans les sols et n’est pas toujours sous forme assimilable pour les plantes. Pourtant les plantes peuvent s’adapter. Une étude conduite par des chercheurs danois et néo-zélandais a relevé que certaines variétés de blé et d’orge augmentaient le nombre et la taille des poils racinaires dans des sols pauvres en phosphore. Une variété absorbait jusqu’à +33% de phosphore. L’université de Guangzhou (Chine) a montré qu’après 7 jours de privation de P certaines variétés de haricot libéraient 2 ou 3 fois plus de composés chimiques pour modifier le pH du sol afin de rendre le P plus soluble et assimilable. Des chercheurs suisses ont inséré dans une variété de pomme de terre un gène codant une enzyme capable de rendre le phosphore plus facilement assimilable. Résultat, plus de 40% de phosphore en plus dans le feuillage. En attendant que nos chercheurs du monde entier trouvent les gènes impliqués dans l’assimilation de phosphore dans le développement des racines, dans les mécanismes qui permettent d’augmenter l’association avec des champignons du sol pour extraire le phosphore, l’agriculteur que peut-il faire ?

Déjà réduire le gaspillage en une fertilisation optimum en fonction de la culture et du potentiel du sol. Épandage des co-produits agricoles comme le fumier, le lisier sous différentes formes compostées ou concentrées. L’engrais dans la ligne de semis et non plus sur l’ensemble de la surface permet une réduction très significative suivant les sols de 20, 30, voir 50% comme le montrent des expériences au Brésil sur maïs et soja. Des formes d’engrais phosphatés adaptés (on évitera du phosphate tricalcique en sol de calcaire ou de craie avec des pH élevés ou l’engrais de sera pas assimilable par la culture). Les micro-organismes telles que les bactéries du genre Bacillus et Pseudomonas mais également des champignons du genres Penicillium et Aspergillus qui solubilisent les éléments fertilisant aux racines sont encore d’un grand secours aux agriculteurs qui pratiquent les TCS et SD. Vivek Voora, de l’institut du développement durable au Canada démontre dans un rapport que la réduction ou l’élimination de certains pesticides, la suppression du labour et une diversification des espèces cultivées contribuent à la préservation des micro-organismes du sols réduisant les besoins en engrais phosphatés. L’université d’agronomie de Guelph au Canada des essais en non labour montrent que la concentration en P est doublé sur les plants de maïs. Face à une pénurie d’un élément aussi important et vitale pour nos cultures, la vie du sol , micro-organismes, bactéries, champignons apportent des réponses, des solutions à qui sait ou saura regarder cette écologie si particulière.

Pour les autres, ils sont condamnés au système « hydroponique de pleins champs » avec un biberonnage permanent et très couteux en minéraux, pesticides, en plantes très performantes et fragiles.

Synthèse d’un article de "Recherche" n°445, octobre 2010.