Nouricia crée un club

F. Noël, La revue agricole de l’Aube - 4 mars 2005

Techniques sans labour : plus de 400 agriculteurs ont assisté à la rencontre organisée par Nouricia sur le thème des techniques sans labour. Face à cet engagement, Nouricia crée un club.

« Ces techniques nous permettent de redécouvrir chaque jour autre chose. Elles nous imposent créativité, innovation et remises en cause. Mais surtout un besoin permanent d’échanges et de partage d’expériences... Mon témoignage, n’est ni celui d’un scientifique, ni d’un expert, ni encore celui d’un ingénieur, mais celui d’un agriculteur curieux, qui a découvert d’autres façons de faire pour mieux travailler en harmonie avec son sol et son environnement ». Le propos introductif de Frédéric Thomas, agriculteur et présenté comme le spécialiste français des techniques culturales simplifiées (TCS), a donné le ton. Se lancer dans les techniques culturales sans labour, c’est partir vers l’inconnu, avec ses réussites et ses déconvenues, avec ses enseignements qui vont enrichir ses connaissances et avec un esprit ouvert sur la conquête de nouvelles compétences. Pour Frédéric Thomas, c’est surtout larguer les amarres avec une perception de son métier offrant peu de nouvelles perspectives positives, avec ses itinéraires tout tracés, avec ses affrontements inutiles face à des demandes sociétales de plus en plus vives, avec sa dépendance de recettes toutes faites et avec sa perte de motivation engendrée par des préoccupations s’enfermant dans le carcan de contraintes administratives. C’est pourquoi, pour évoquer ce « second souffle apporté à un métier devenu trop réducteur » ou encore cette « quête incessante de solutions, qui fait oublier la PAC », il n’hésité pas à qualifier son nouveau métier « d’architecte du sol », ou encore de« chef d’orchestre à la recherche de la meilleure harmonie pour mettre en valeur un ensemble de facteurs ».

A la reconquête du sol

Cependant, la prudence constitue le premier conseil apporté par Frédéric Thomas : «  il faut procéder par étapes, en fonction de la capacité du sol à s’adapter à la réduction du travail du sol  ». Par ailleurs, il n’existe bien souvent « ni solutions de rattrapage, ni solutions standard », et le choix des TCS s’accompagne de nombreux bouleversements : non seulement dans le travail du sol mais aussi dans la rotation (allongement, choix des variétés), la gestion du désherbage ( pratique des faux semis, roulage sur sol gelé) et des couverts végétaux (qui ne sont plus des pièges à nitrates mais des éléments de recyclage pour alimenter le sol, pour améliorer la structure, pour nourrir l’activité biologique, pour participer à la lutte intégrée, etc.), etc. « Plutôt que de chercher à agir sur la structure du sol, nous partons à la reconquête globale du sol, en développant son architecture, avec ses autoroutes, ses routes nationales, ses routes départementales, ses chemins et ses sentiers, afin de favoriser la vie biologique, de redonner vie aux racines, aux lombrics et aux microorganismes. C’est pourquoi, face à cette approche globale, très différente de celle beaucoup plus compartimentée du labour, Christian Rousseau, président de Nouricia et déjà engagé dans la pratique des TCS, a présenté ce que Nouricia entend faire pour accompagner ceux qui se sont lancés dans cette voie ou ceux qui le souhaiteraient : « cette approche place quotidiennement l’agriculteur en position d’apprenti : c’est à la fois passionnant mais risqué. » Or les témoignages de cet après-midi l’ont démontré : c’est grâce aux échanges et au partage des expériences que la complexité de cette démarche, répondant aussi aux demandes sociétales actuelles, peut être maîtrisée, que les progrès sont plus rapides et que les solutions sont plus facilement trouvées. Nouricia a donc décidé de créer un club ouvert à tous les agriculteurs, adhérents ou non de Nouricia, volontaires et intéressés par cette approche. Pour adhérer, une cotisation sera demandée, car nous souhaitons que ce club ne compte que des agriculteurs motivés. »

Les surprises du sans labour

Concrètement, le sans labour réunit une gamme de techniques très différentes. Tout d’abord, il y a l’abandon du labour mais sans investissement, donc en utilisant le matériel traditionnel déjà présent sur l’exploitation c’est bien souvent une 1ère étape pour s’engager dans la voie du travail superficiel du sol. Ensuite, bien que les frontières soient plus difficilement appréciables et qu’elles soient dépendantes de la motivation de l’agriculteur se suivent : les techniques culturales simplifiées, puis le semis direct et enfin les techniques de conservation du sol. La motivation est d’ailleurs le facteur le plus important. Celle ci a évolué au fil du temps. Ainsi pour les pionniers, qui ont adopté ces techniques il y a plus de 20 ans, la réduction de la main d’oeuvre ou un agrandissement ont été bien souvent des facteurs déclenchants. Plus récemment, la PAC de 1992 avec la nécessité de réduire les coûts de revient, l’augmentation du prix du carburant ou la confrontation avec des demandes sociétales incitant à la réflexion sont venues s’imposer. Sur le plan des charges de mécanisation, Michel Denis, animateur agronomique Nouricia, met en évidence un écart moyen au profit du sans labour de 26 euros/ ha (de 18 à 39 euros suivant les régions et les types d’exploitation) , et de 38 euros/ha en utilisant un semoir spécifique (15 à 51 euros). Sur le plan des temps de travaux, le gain moyen est de 112 heures/ha en faveur du non labour (de 0,06h à 2h) et de 1 h30 avec un semoir spécifique (de 3/4h à 2h). Cependant l’emploi de désherbants (glyphosate) et des produits de lutte contre les ravageurs (campagnols, limaces) peuvent créer des charges supplémentaires. Le témoignage de Jean-Pierre Roze, agriculteur sur le plateau du Tonnerrois et pratiquant depuis 20 ans les TCS est tout d’abord venu confirmer ces économies.

Ainsi en évitant la remontée des cailloux et leur perpétuel broyage, le non labour a permis d’éviter la casse et l’usure du matériel. Par exemple, il ne change plus les pneumatiques de ses tracteurs avant 4 000 h. Quant aux désherbages, les faux semis et la non remontée du stock semencier dans le sol, contribue à éviter le salissement des parcelles. De même, « I’expérience, le sens de l’observation et la bêche », éléments clés de réussite, ainsi que quelques pratiques (travail en conditions sèches, tassement superficiel, enlèvement des pailles ou broyage fin associé à une bonne répartition des pailles sur le sol, chaulage, allongement de la rotation des cultures, choix de variétés, colzas espacés de 4 à 5 ans au lieu de tous les 3 ans) évite les mauvaises surprises et les dégâts de limaces ou de rongeurs. Mais tout ceci, comme il l’a rappelé s’acquiert « avec beaucoup de patience, d’échanges et d’exigence pour un travail bien fait dont l’aspect visuel n’a rien à voir avec le concept traditionnel du laboureur ».