G. Brown et J.D. Fuhrer – North Dakota : Associer et associer encore

Cécile Waligora - TCS n°54 ; septembre / octobre 2009

Dans le Nord Dakota, aux États-Unis, le Brown’s Ranch est une exploitation reconnue comme pionnière en matière d’agriculture de conservation. Depuis ces quinze dernières années, la priorité est donnée à la fertilité du sol et tout particulièrement sur son équilibre bactéries/champignons. Non seulement le semis direct est de rigueur mais son exploitant, Gabe Brown, a réintroduit une incroyable diversité dans son système de culture, au travers des associations de plantes. Diversité qu’il valorise avec son élevage bovin et qui lui a permis de réduire, de manière drastique, la quantité apportée de fertilisants et de produits phytosanitaires. Jay D. Fuhrer est agronome au Natural Resource Conservation Service du Nord Dakota, aux États-Unis. Mercredi 16 septembre, il était l’invité du Festival du non-labour et du semis direct (NLSD) qui, cette année, avait lieu dans le Loir-et-Cher, au lycée agricole d’Areines, près de Vendôme.

Dans les grandes plaines du Nord Dakota, parmi les exploitations qu’il suit, J. D. Fuhrer épaule le Brown’s Ranch, exploitation de 2 000 ha gérée par Gabe Brown1, dans le comté du Burleigh. « Son objectif est la durabilité de son système d’exploitation. Il la recherche, en premier lieu, à travers la qualité et la santé de ses sols », explique l’agronome. Dans ce secteur du Nord Dakota, nous sommes dans une zone de prairies semi-arides, au climat froid et sec. La pluviométrie annuelle ne dépasse pas, en moyenne, les 410 mm.

Une alimentation du sol équilibrée

J. D. Fuhrer décrit la situation initiale de la ferme, ainsi (début des années 90) : un taux de matières organiques inférieur à 2 % ; des sols riches en limons avec une vitesse d’infiltration de l’eau minimale, un travail profond et systématique à l’automne, une très faible diversité des cultures et une rotation toute aussi pauvre avec, les 40 dernières années, une succession jachère cultivée et blé ; le reste de l’assolement étant consacré à la prairie permanente. « Après quatre années de réelle misère, au début des années 90, G. Brown a décidé de changer radicalement de conduite. En 1993, il a acheté son premier semoir de semis direct », indique J. D. Fuhrer. Mais au-delà de la seule simplification du travail du sol, l’agriculteur a, d’emblée, décidé de revoir l’ensemble de son assolement en l’enrichissant au maximum. « Un sol est vivant. Il faut le nourrir mais pas n’importe comment. Son alimentation doit être équilibrée, explique-t-il. Pour cela, je veux me rapprocher du fonctionnement de l’écosystème prairial, celui des prairies naturelles d’ici, les Rangeland. Ainsi, la diversité aérienne favorise celle des racines et donc toute la vie qui va avec, comme les mycorhizes. » L’agriculteur apporte donc un maximum de biomasse, très variée, que ce soit en culture ou en interculture. Aujourd’hui, pas moins de 30 plantes, voire 40, sont présentes, sur une année, sur la ferme. Elles sont rarement cultivées seules mais plutôt en association d’espèces. G. Brown prend garde à inclure, dans sa rotation, à la fois des graminées estivales et des dicotylédones hivernales. Et, bien entendu, les légumineuses, occupent, dans ce système, une place importante. En voici quelques exemples.
- Maïs semé en accompagnement de vesce velue et précédé d’un couvert de seigle, triticale et vesce. Au printemps, un passage de glyphosate supprime les céréales et calme la vesce. Le maïs est semé dedans, en direct. Il ne reçoit aucun engrais minéral, si ce n’est en starter au semis (l’exploitation est généreusement alimentée en fumier). En 2008, ce type de maïs a produit le meilleur rendement pour la région, entre 70 et 75 q/ha, en sec ; rendement équivalent à un maïs fertilisé normalement (engrais minéral).
- Toujours dans le maïs, semis de pois ou de soja, dans les inter- lignes, après la dernière application herbicide. Pour cela, G. Brown s’est aménagé un semoir spécifique en 7 rangs.
- Orge semée en direct dans un trèfle incarnat qui sert, à l’automne, de couvert végétal.
- Pois et vesce velue cultivés ensemble car bénéficiant du même inoculat.
- G. Brown sème aussi des mélanges plus « sophistiqués » comme l’association triticale, trèfle incarnat, vesce velue et sweet clover (un trèfle). « C’est un mélange étagé, qui occupe efficacement, tous les espaces libres », argumente l’agronome. Et c’est un moyen de diminuer la part de maïs ensilage. Plus récemment, l’agriculteur a également introduit le mélange avoine-pois fourrager-raves-radis-trèfle incarnat et vesce velue. Semé en avril, le mélange a été récolté en août, avec un résultat légèrement inférieur à du maïs ensilage mais très honorable, de 40 tonnes vertes/ha.

Les couverts sont pâturés

La liste des mélanges réalisés sur le Brown’s Ranch ne peut pas être exhaustive. Elle s’adapte sans cesse. Elle est grandement valorisée par l’élevage. Quand les mélanges, en culture ou en couvert, ne sont pas récoltés (en foin ou en ensilage), ils sont tout bonnement pâturés. C’est le cas des couverts d’été. « Ainsi, nous avons augmenté la surface de pâturage sur l’exploitation. Nous avons aussi remarqué que lorsqu’il y avait pâturage du couvert, la culture suivante produisait mieux. Outre l’apport gratuit de fumier, le piétinement, par la remise à plat de l’herbe (nous faisons pâturer l’herbe haute), permet un retour plus important de carbone au sol. Par contre, nous essayons de ne jamais faire consommer plus de la moitié d’un couvert. Le printemps suivant, la culture est ainsi semée dans le reste de la couverture », explique l’agriculteur au travers de J. D. Fuhrer. Celui-ci rajoute : « Depuis cette année, G. Brown n’utilise plus de roulettes étoiles sur son semoir pour écarter les résidus. Il suffit d’un bon réglage des disques pour les couper. Bien entendu, l’hiver du Nord Dakota faisant, en plus d’un très bon fonctionnement du sol, les résidus ne sont plus si volumineux à l’arrivée du printemps. » L’agronome avoue aussi, devant cette vitesse de dégradation devenue importante, commencer à choisir des résidus à C/N plus élevé. Si les teneurs en matières organiques étaient inférieures ou égales à 2 % il y a 15 ans, elles se situent aujourd’hui entre 3,7 et 4,3 %. « Un gain de 2 % de matières organiques, c’est entre 40 et 60 kg N/ha/an fournis en plus naturellement par le sol ! », évoque l’agronome. « C’est aussi, pour 1 % de matières organiques en plus, 12 mm de RFU supplémentaires pour chaque 30 cm de sol », ajoute-t-il.

Si, au départ, l’exploitation n’a rien changé en matière de fertilisation ni de désherbage, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle a réduit sa consommation d’engrais de 90 % et d’herbicides de 75 % ! Certaines parcelles ne reçoivent pas d’herbicides durant trois ans. Les insecticides et les fongicides ont été complètement supprimés. « Les analyses faites régulièrement ne nous montrent pourtant aucune carence », indique l’Américain. Comme si les plantes trouvaient, aujourd’hui, l’essentiel de leurs besoins, naturellement. De même, si, dans cette région, le manque d’eau est une préoccupation majeure pour les céréaliers, elle ne l’est plus pour G. Brown.


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