Vendredi 15 avril 2022
Djamel Belaid

Après plusieurs années de terrain et d’enseignement à l’université de Batna (Algérie) puis de conseil agricole en grandes cultures au niveau de la Chambre d’agriculture de l’Oise, Djamel BELAID collabore à différents médias algériens. Préoccupé par les questions de développement agricole en milieu semi-aride, il s’intéresse plus particulièrement aux questions de non-labour et d’échanges entre agricultures des deux rives.

La réussite de la rotation blé-médicago passe par le semis direct

Au Maghreb, dans les zones céréalières, traditionnellement l’élevage ovin est associé à la céréaliculture. Des enquêtes montrent que "les années où les pluies d’automne sont précoces et abondantes, la jachère est riche et la croissance des agneaux élevé. Par contre, lorsque les premières pluies sont tardives (fin décembre), la jachère est pauvre et la croissance faible (de 3,8 kg à 9,3 de 10 à 90 jours)." Dans les années 1970, en Algérie et en Tunisie, c’est ce constat qui a amené les services agricoles à tester le système australien blé-medicago. Le semis direct pourrait donner un nouvel élan à ce type de rotation. Retour d’expérience.

Le medicago, une plante familière en Afrique du Nord

Plant de Medicago
Plant de Medicago

Le medicago est une plante familière en Afrique du Nord. Elle pousse spontanément partout dans nos champs explique l’agronome tunisien Ali Haddad(1) : "On compte dans certaines prairies jusqu’à 60% de medicago parmi les adventices." La plante est si présente localement qu’elle a pu avec le temps développer un rhizobium qui lui est favorable si bien que les variétés importées n’avaient pas senti le besoin d’être inoculées poursuit-il. Même chose en Algérie, où Aïssa Abdelguerfi enseignant-chercheur à l’INA d’Alger a répertorié de nombreux écotypes à forte productivité malgré l’emploi du 2-4 D.
En Tunisie, les essais ont démarré dès 1971. Il s’agissait de définir les variétés les mieux adaptées, la fertilisation adéquate, l’effet de l’inoculation, la date et la densité de semis, le rendement du blé sur précédent medicago et la régénérescence naturelle de cette légumineuse dans la rotation. Les graines de medicago présentent la particularité de posséder un tégument épais, aussi la germination n’est possible qu’au bout d’une année. Une année mise à profit pour semer du blé.
 

Utilisation de variétés "australiennes"

une parcelle en Australie avec régénération du medicago entre les chaumes de blé
une parcelle en Australie avec régénération du medicago entre les chaumes de blé

Sur les 4 variétés australiennes testées, deux ont été retenues Jemalong (Medicago truncatula) et Harbinger (Medicago littoralis). A l’époque, en Algérie, des voix se sont élevées contre ces variétés "australiennes" obtenues à partir d’écotypes locaux. L’Afrique du Nord est en effet la zone de diversification du medicago.
L’inoculation des semences s’est avérée inutile de même que la fertilisation azotée. Par contre un effet positif a été noté lors d’apports d’engrais phosphatés.
Les semis précoces ont donné les meilleurs rendements et il a été recommandé "de semer plus tard que fin novembre." Les semis de début octobre présentent l’avantage d’allonger la période de pâturage jusqu’à la floraison du medicago et donc de contrôler les adventices. A cette date, il s’agit de laisser la plante former le maximum de gousses.
Les essais menés en Tunisie ont montré qu’une plus grande dose de semis permettait d’obtenir une parcelle plus propre. Avec une densité de semis de 15 kg/ha, on ne comptait plus que 10% d’adventices.
Les essais menés dans la région de Fès au Maroc ont montré que la rotation biennale blé/medicago, « permet l’augmentation et la diversification de la sole fourragère, fournit un fourrage relativement abondant et de bonne qualité et constitue un bon précédent cultural pour la céréaliculture ».
 

En station, des essais prometteurs

Les essais ont aussi comparé les rendements de blé avec précédent medicago ou jachère. Les agriculteurs n’acceptant pas que les rendements en blés de jachère soient diminués. Aucun effet dépressif du medicago n’a été détecté. C’est même le contraire qui s’est produit comme en témoigne la moyenne de 7 essais réalisés en 1981 dans différentes localités avec une pluviométrie moyenne de 350 à 450 mm avec trois doses d’azote.
 

Rendement du blé selon le précédent et trois doses d'azote - Moyenne de 7 essais en 1981
Rendement du blé selon le précédent et trois doses d’azote - Moyenne de 7 essais en 1981

Sources : Le système medicago-blé et son évolution en Tunisie (Ali Haddad).

Le système blé-medicago à l’épreuve de la réalité du terrain

Les services agricoles sont ensuite passés à la vulgarisation à large échelle. Ils visaient l’installation de 5000 ha de medicago. Cet objectif n’a été atteint qu’en 1977. Il est apparu que la régénération naturelle du medicago ne se produisait pas comme initialement prévu. La cause ? Le surpâturage. Certains agriculteurs avaient l’habitude de louer leur jachère à des éleveurs. Et ils ont même profité de la productivité accrue pour multiplier par dix le prix de la location. Ali Haddad explique que c’est le cas de la ferme Essaada à El Fahs où l’hectare loué est passé de 5 dinars tunisiens à 50 dinars. Sauf que l’éleveur n’a jamais respecté la règle d’arrêter le pâturage durant la floraison. De telles situations ont souvent été également observées en Algérie.
Mais le coup de grâce est venu des labours profonds. Pour beaucoup d’agriculteurs maghrébins, l’effet bénéfique de la jachère réside dans l’emmagasinement des eaux de pluie. Quelle n’a été la stupeur des services agricoles de voir certains agriculteurs qui avaient semé du medicago se précipiter, après la phase de pâturage, pour labourer leur parcelle. L’enfouissement profond des semences de medicago leur a été fatal. La régénération naturelle du medicago n’a pas eu lieu.

Éleveurs, une vision à court-terme ?

Du côté algérien, un rapport tirant le bilan du projet blé-medicago note "comme dans tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, des contraintes socio-économiques s’opposant à l’introduction et au développement du système du ley farming". Sont ainsi énumérés une attitude "opportuniste" qui vise à utiliser à court terme le fourrage disponible lors du pâturage, une charge généralement trop élevée, des exploitations trop petites et souvent morcelées et un manque de semences.
Pour sa part, Aïssa Abdelguerfi attribuera cet échec "au type de matériel végétal inadapté et aux itinéraires techniques appliqués pour la céréale."

Le semis direct, un moyen d’éviter l’enfouissement des semences ?

A l’époque du projet medicago, que ce soit en Tunisie ou en Algérie, le matériel pour semis direct était inconnu. Aujourd’hui à Tunis, la société Cotugrains commercialise des semoirs Semeato pour semis direct (SD). En Algérie, grâce à une collaboration avec l’espagnol Sola, il existe une production locale de semoirs SD. La question de l’enfouissement profond des semences de medicago pourrait donc être levé. Le prix des engrais azotés ayant doublé, le medicago pourrait contribuer à enrichir le sol en azote.
Mais, pour permettre l’engraissement du mouton de l’Aïd, l’Office des céréales (OAIC) se tourne vers l’importation d’orge et la production d’ensilage de maïs-fourrage sous pivot d’irrigation. Bénéficiant de larges subventions, cette production a le vent en poupe ; mais elle n’est pas sans contraintes. A Adrar, en plein désert, les parcelles de Mohammed Sellaoui ne sont pas raccordées au réseau électrique. Il doit utiliser un groupe électrogène qui consomme chaque jour 300 litres de carburant pour actionner un pivot de 30 ha.

Mr Badreddine Benyoucef, fervent défenseur de cette rotation lors de son intervention dans un séminaire régional
Mr Badreddine Benyoucef, fervent défenseur de cette rotation lors de son intervention dans un séminaire régional

Aujourd’hui, le projet medicago est enterré ; on ne trouve plus de semences australiennes ni de production de semences à partir d’écotypes locaux. En 2016, à M’Sila au terme d’un séminaire consacré à l’agriculture en zone semi-aride et organisé par l’université locale, l’agronome Badreddine Benyoucef, fervent partisan du système blé-medicago, lançait : "qu’on me procure des semences de medicago et je vous prouverais l’intérêt de cette rotation".
Le dossier médicago n’est peut-être pas clos...

Pour en savoir plus :
- Perspectives d’avenir de la jachère pâturée dans les zones céréalières semi-arides K. Abbas, A. Abdelguerfi. Fourrages (2005) 184, 533-546. Voir le site : afpf-asso.fr.
- Comparaison de la rotation blé/medicago à des rotations traditionnelles dans la région de Fès. Al Awamia – N° 83 - Décembre 1993.

(1) Le système medicago-blé et son évolution en Tunisie. Ali Haddad.