Lundi 13 avril 2020
Emmanuelle Richard

Emmanuelle RICHARD est une passionnée du sol. De formation scientifique et agricole, elle créé, dans le piémont pyrénéen, l’EURL Agronomie Terroirs où elle accompagne agriculteurs et vignerons sur la fertilité des sols, la santé des plantes, la qualité des produits et la rentabilité des fermes.

Couverts d’hiver, secouer des préjugés et s’autoriser à….

Face à l’incohérence entre certains discours et nos observations sur le terrain, nous avons voulu creuser les choses au niveau des couverts végétaux.
Jean HinaultCe travail a été réalisé avec Jean Hinault, pédologue et chimiste à la retraite active. Il est spécialisé dans les matières organiques, la structure du sol et la nutrition des plantes.
Ce travail doit être réalisé sur plusieurs campagnes pour valider les tendances trouvées.
En 2018, la sortie de l’hiver a été très pluvieuse. La destruction des couverts s’est réalisée de manière très tardive : fin avril. Les autres années, normalement, ça commence à partir de mi-mars jusqu’à mi-avril chez nous (Pyrénées Atlantiques, Hautes Pyrénées). Certains, comme Marc Jusforgues, expert agricole dans le 65, s’autorise à les détruire tôt pour une question de commodité. Régulièrement, on regarde par des mini-profils avec la fourche du tracteur l’effet sur le sol. La question sur la restitution azotée s’est posée.

1) Quelle restitution d’azote pour des féveroles à différents stades ?

Malgré ce que l’on pourrait croire, à l’hectare, c’est la féverole de gauche qui restitue plus d’azote, alors qu’elle ne fait que 40 cm, et l’autre 70 cm.

Féverole 40 cm
Féverole 40 cm
Féverole détruite à 40 cm (2.4 T MS/ha) = 41 U azote/ha
Féverole 70 cm
Féverole 70 cm
Féverole détruite à 70 cm, en fleur (3.3 TMS/ha) = 13 U azote/ha

On a envoyé des échantillons de couverts à un laboratoire pour obtenir : %Matière Sèche (MS), Rapport C/N, dosage de l’azote, la lignine. Ensuite, on calcule l’azote disponible par Tonne de Matière sèche. Puisque l’on a fait des pesées de biomasse. On calcule l’azote disponible par hectare.
Tableau 1 : Restitution azotée de 2 féveroles (2018)
Restitution azotée de 2 féveroles (2018)
En effet, la féverole détruite tôt a fait moins de biomasse, mais possède une valeur de MAT (Matière Azotée totale) plus élevée. On a été surpris par la valeur en lignine non négligeable (6.5% /MS). Cette lignine utilisera de l’azote pour s’humifier. Rappelons que même la matière organique fraîche facilement dégradable (cellulose, hémicellulose, fraction soluble) utilise de l’azote pour se dégrader.
Les exemples donnés sont des cas concrets. Nous sommes d’accord qu’une féverole doit être implantée en pure entre 150 kg/ha et 200 kg/ha. Si la seconde féverole était semée plus dense, on pourrait estimer une biomasse de 5 TMS/ha. Le résultat final resterait plus faible que la 1ère féverole : 5 TMS/ha x 4 U N /TMS = 20 U/ha.

2) Quelle restitution d’azote pour des mélanges ?

Le tableau ci-dessous montre bien que le C/N n’impacte pas toujours dans le même sens. 3 couverts :
- Un couvert de Féverole 85 kg/ha, avoine 10 kg/ha, Pois Fourrager 12 kg/ha.
- Un couvert de féverole, Pois, Vesce et céréale semé à 180 kg/ha, avec beaucoup de céréale.
- Un couvert d’avoine vesce trèfle à 25 kg/ha. Je ne comprends pas comment on peut vendre un mélange avec du trèfle, qui, semé souvent après mi-octobre, on ne voit quasiment jamais de trèfle.
Restitutions azotées de 3 couverts
Dès que les légumineuses passent en fleur, la valeur azotée chute. On le sait tous. Même si le mélange possède beaucoup de légumineuse, si elles sont à un stade avancé, la valeur azotée chute.
Dès qu’il y a des gousses, on peut dire au revoir à l’azote.
Alors, je veux juste que chacun s’autorise à détruire son couvert d’hiver quand bon lui semble. D’observer l’impact sur son sol en faisant des mini-profils, sans mettre la barre haute au niveau de la biomasse.

3) Conclusion : s’autoriser à détruire quand bon vous semble

Depuis toujours, nous pensons que les couverts d’hiver sont là pour :
❶ Couvrir le sol l’hiver, le protéger des intempéries. Améliorer la pénétration des pluies hivernales ;
❷ Améliorer la structure du sol ;
❸ Nourrir la vie microbienne par les exsudats et faire un habitat pour la faune de surface.
C’est déjà beaucoup ! Pour ceux qui veulent, on peut s’arrêter là, sans rougir ! Sans faire péter des biomasses de fou, car à mon avis, au printemps, la priorité est ensuite de :
❶ S’occuper de sa culture : que ce soit en grande culture ou en vigne ;
❷ Ne pas se mettre en retard pour le reste (le climat se chargera bien assez de donner des imprévus).
C’est une approche globale, alliant agronomie, agroécologie et équilibre humain et économique. Je vois sur le terrain que la réussite dépend beaucoup d’une bonne organisation du travail.
Ensuite au niveau matière organique, rendez-vous dans un prochain article ! On verra que le couvert n’est peut-être pas le mieux pour faire de l’humus du sol.

Pour le semis direct, une exception doit être faite. La destruction des couverts doit être repoussée car ils ne sont pas mélangés au sol immédiatement et l’objectif est différent : faire de la biomasse et faciliter le roulage. Dans ce cas là, il est nécessaire d’ajuster la destruction aux conditions climatiques et à l’état hydrique du sol.

Merci à Jean Hinault, aux agriculteurs et vignerons.