20 ans de TCS : bilan, acquis et perspectives

Avec ce N°100, la revue TCS fête donc son 20ème anniversaire.

D’un projet un peu audacieux d’un groupe de pionniers, elle a bien progressé pour maintenant s’imposer comme la référence en matière de simplification de travail du sol mais surtout, au fil des années, d’ouverture vers l’agroécologie. Si le rubriquage et le contenu des articles ont beaucoup évolué, se sont étoffés et ont gagné en pertinence, l’engagement pour une agriculture plus économe, plus autonome et plus écologisante est resté intact. Avec le temps, il s’est même précisé et consolidé avec l’acquisition de nouvelles connaissances, d’astuces et de savoir-faire venant renforcer la cohérence de notre vision et nous conforter dans cette 3ème voie pas toujours bien comprise.

Transfert d’idées

Durant ces années, la revue est cependant passée du stade de reconnaissance et promotion du non-labour, à l’animation d’un réseau d’agriculteurs, de techniciens et chercheurs convaincus en facilitant la synthèse et le transfert d’idées, d’astuces et de résultats pour devenir initiatrice de réflexions, de pratiques et d’itinéraires techniques innovants.
TCS a également su imposer progressivement son vocabulaire ; encore la preuve de son influence. Déjà le nom de la revue « TCS » est rapidement devenue l’appellation générique des orientations non-labour bien que l’approche se soit largement complexifiée et correspond mieux aujourd’hui à AC (Agriculture de Conservation ou Agriculture du Carbone) voire à l’agroécologie. Aujourd’hui le monde agricole parle facilement de TCSistes et de SDistes ou d’organisation structurale, de couverts Biomax, de volant d’autofertilité, de biodiversité fonctionnelle voire de génie écologique, autant de termes importants qui sous-tendent des concepts fondamentaux dont nos réseaux sont les initiateurs et les promoteurs.
En parallèle, voilà 20 ans, il n’existait quasiment aucune référence en France dans ce domaine. Avec les pionniers, convaincus du bien-fondé de l’orientation, nous nous sommes donc appuyés sur des sources étrangères que nous avons largement diffusées dans nos colonnes. Même si elles provenaient de conditions pédo-climatiques très différentes, elles nous ont servi de repères pour comprendre l’impact de l’agriculture conventionnelle sur le sol et d’objectifs pour caler progressivement nos approches techniques. Avec le recul, un jeu d’échecs et de réussites, nous avons commencé à construire de solides références locales qui corroborent en grande partie les suppositions et intuitions agronomiques de l’époque. Grâce à ce travail, nous pouvons nous appuyer aujourd’hui sur un socle solide de connaissances agroécologiques sérieuses et de savoir-faire locaux. À ce titre, ce sont certainement les réseaux AC qui ont apporté, ces dernières années, le plus de progrès en agriculture qui, aujourd’hui, profitent à l’ensemble du paysage agricole :
En matière de mécanisation, ce sont des TCSistes, à la recherche d’un déchaumage superficiel et de qualité, qui sont à l’initiative des outils à disques indépendants rapidement repris par les constructeurs avec la popularité et le développement que l’on connaît. Ce sont encore eux qui ont fait évoluer les outils de fissuration et surtout leur utilisation allant jusqu’à déboucher sur le « Strip-Till » et le « prétraçage » made in France.

Profil cultural au goût du jour

Vu que cette approche repose sur des sols vivants et organisés verticalement avec une architecture porale en réseau, ce sont les TCSistes qui ont remis le profil cultural au goût du jour pour mieux comprendre l’impact des outils et développer des structures performantes. Ce sont encore les réseaux AC et TCS qui ont mis en avant les tests de sédimentation et l’évaluation de la dynamique biologique des sols par l’enterrage de slips en coton ou de sachets de thé. Toujours en matière de sol, ce sont encore eux, conscients de l’intérêt de la matière organique dans la fertilité du sol qui ont ouvert et animé les débats sur la séquestration du carbone dans les sols agricoles. L’urgence pour des solutions fortes et rapidement efficaces pour limiter le changement climatique devrait vraiment leur donner raison dans les années à venir.
Pratiquant les couverts, non par contraintes environnementales mais pour développer l’autofertilité de leurs sols, les TCSistes, influencés au départ par les Brésiliens, ont là encore construit une expertise toute particulière avec les mélanges performants intégrant des légumineuses associés à un mode de destruction simple, novateur et écologique : le roulage. En parallèle, les couverts végétaux ont été et sont encore un formidable outil pédagogique qui a ouvert les premières réflexions sur le colza associé, le développement des auxiliaires et la biodiversité fonctionnelle. Ils sont enfin devenus un moyen habile de communication positive. Les fleurs et le vert envahissent progressivement les campagnes au profit des sols « nus ».

D’intéressantes économies d’azote

Par ailleurs, les soucis de faim d’azote assez récurrents dans les premières années de transition ont permis de comprendre la relation étroite qui unit N et C dans le sol et l’influence du travail du sol sur leurs dynamiques. Bien que les risques de fuites soient largement endigués, cette pénalité a contraint d’adapter et de localiser la fertilisation mais aussi de réintégrer des légumineuses pour déboucher au final sur d’intéressantes économies d’azote.
Souvent confrontés à des soucis de désherbage, les TCSistes et surtout les SDistes, ont progressivement mieux compris comment gérer positivement le stock semencier laissé en surface afin de faire de cette contrainte un avantage, grâce à la construction de rotations adaptées associées à l’intensification des couverts permettant même des impasses en herbicide. Ce savoir-faire qui combine respect du sol et développement de l’autofertilité fait même écho en Agriculture Biologique qui a très logiquement intégré nos rubriques.
En complément, l’élevage, un peu laissé de côté au départ a progressivement trouvé sa place avec la valorisation des couverts et des dérobées pour devenir une composante importante voire incontournable de l’Agriculture de Conservation. En fait, la présence d’animaux permettant de construire des rotations plus complexes avec éventuellement des cultures pérennes, contrairement aux a priori, facilite la mise en place de la simplification du travail du sol qui en profite largement. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains ACistes vont même jusqu’à remettre des animaux avec succès sur leurs fermes alors que les éleveurs conventionnels semblent plutôt démissionner.

Droits dans leurs bottes et bien dans leurs champs

Enfin, de nombreux TCSistes et SDistes, simplement droits dans leurs bottes et bien dans leurs champs, pris par leur enthousiasme ont retrouvé une grande créativité qui leur permet d’imaginer, de tester et de valider des approches encore plus innovantes qui découlent souvent d’observations, d’erreurs et mêmes d’échecs. Le colza associé est ici un formidable exemple de réussite qui a permis de repositionner cette culture au centre des itinéraires AC alors qu’elle était sur le point d’être abandonnée. Plus de réussite et de diversité, moins de désherbage, des économies d’insecticides mais aussi des légumineuses pérennes pour qualifier l’interculture suivante et faciliter le semis en direct du prochain blé est un cocktail que l’on ne pouvait même pas imaginer il y a 10 ans. Dans la même foulée, l’AC alimente un fourmillement d’autres d’idées comme l’association de cultures, la couverture permanente, la double culture ou le semis précoce de céréales et se permet même de revisiter la production de pomme de terre… Des approches largement éloignées de l’idée un peu simpliste de départ. Ce sont cependant des solutions agronomiques innovantes et très complémentaires qui apportent toujours plus de robustesse et continuent d’améliorer l’efficacité globale de l’agriculture. Au regard des bouleversements apportés par les réseaux AC ces dernières années, les champs du possible sont certainement encore très vastes.
Cette rapide rétrospective permet de considérer le chemin parcouru et surtout les progrès accomplis en 20 ans. Puisque les réalisations ont largement dépassé nos ambitions, nous pourrions nous en satisfaire. Ces changements auraient cependant pu être plus rapides avec une meilleure prise de conscience des enjeux et du potentiel de l’AC. Il faut certainement admettre que construire de la durabilité exige du temps dans les esprits comme dans les champs.

Cohérence des approches AC

Au-delà de ces aspects techniques, agronomiques et environnementaux, la grande cohérence des approches AC, que nous nous efforçons de mettre en avant, est aujourd’hui l’une des forces de cette lame de fond. Le carbone que l’intensification de la photosynthèse vient puiser dans l’air, où il devient gênant, pour le réinjecter dans le vivant et le sol, où il devient terriblement utile, et tout cela grâce à des pratiques culturales qui consomment beaucoup moins d’énergies fossiles et émettent peu de gaz à effet de serre, est une belle démonstration de cette forte cohérence. À ce titre, il serait intéressant que la matière organique du sol devienne un objectif de résultat pour diriger l’agriculture vers globalement plus d’écologie appliquée, attendue et comprise par le grand public, au lieu du développement de « chapelles » s’appuyant seulement sur des revendications de moyens.
L’adoption d’une posture positive est également un autre changement fondamental qui s’est mis en place progressivement. Comme nous ne luttons plus vraiment contre les limaces mais encourageons les auxiliaires et poussons même le vice à leur donner à manger en conservant les repousses de colza dans les céréales, nous avons admis que les solutions résident souvent dans le problème qu’il faut savoir traduire en opportunité. La sémantique s’est même adaptée et accompagne parfaitement ce changement d’attitude. Aujourd’hui, le terme « Non-labour » est largement remplacé par Agriculture de Conservation voire Agroécologie ou agriculture régénératrice. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup moins contre des éléments jugés néfastes mais pour le développement de la qualité des sols, pour la diversité biologique, pour l’intensification de la photosynthèse… . Cette attitude positive débouche également sur plus d’ouverture et de compréhension qui renforce les échanges, l’écoute et la créativité.

De la prétention à la démonstration

Enfin avec 20 années et plus de recul, beaucoup des premiers pionniers sont passés de la prétention à la démonstration. La réussite dans les champs aujourd’hui est visible, souvent mesurable et fait envie. La question « pourquoi ? » a largement cédé la place à « comment ? » et même « plus ambitieux ? ». Même si l’AC ne fait pas encore l’unanimité dans les campagnes, la recherche, la presse généraliste et même les politiques commencent à en parler. Ainsi la multiplication des réunions, forums et colloques de toutes sortes qui sont en train de fleurir valident à demi-mot cette approche mêmes si les messages restent encore confus et quelquefois contradictoires. En parallèle, nos voisins européens nous observent souvent envieux et s’inspirent car l’agriculture française est aujourd’hui devenu le leader sur ces sujets. Ainsi, il semblerait que nous ayons atteint aujourd’hui un niveau critique (12 à 15 % d’une population) qui devrait entrainer l’accélération de l’adoption de ces techniques qui vont continuer d’évoluer, de se préciser et de se sécuriser grâce à la contribution d’un plus grand nombres de praticiens mais aussi une collaboration croissante des constructeurs, de la recherche et de l’ensemble de l’encadrement de l’agriculture.
Avec ce numéro spécial, il serait prétentieux de vous donner rendez-vous à nouveau dans 20 ans mais nous tenons à vous assurer que nous allons poursuivre cette formidable aventure et continuer d’assurer notre mission et vous accompagner dans cette fantastique mutation que l’agriculture française est en train d’entreprendre.

Meilleurs vœux pour 2019 et au plaisir de vous retrouver dans vos champs et sur vos fermes.


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