Lundi 28 août 2017
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

La gesse pour contrôler les campagnols

Graines de gesse
Les graines peu homogènes attestent du côté encore « sauvage » de cette plante qui, en plus d’être une légumineuse intéressante dans les couverts et comme plante compagne, pourrait nous apporter une solution pour la gestion des campagnols dans les parcelles en semis direct.
En complément, la taille des graines qui pouvait être considérée comme un handicap (poids et volume à semer) pourrait devenir un atout en tant que pastilles pour les rongeurs.

Dans la prairie nord américaine, des rongeurs creusant des galeries dans le sol dans lesquelles ils vivent, sont communément appelés « gophers ». Regroupant environ 35 espèces différentes, ces petites bestioles endémiques détruisent prairies et cultures et ne sont pas très appréciées des farmers et ranchers qui envisagent toutes les méthodes pour les réguler et les éliminer même les plus radicales.
Le sujet des gophers outre atlantique est très similaire à celui des campagnols en France entre les prairies du Jura et les parcelles en SD. Dès que le paysage se diversifie, la régulation naturelle, les prédateurs spécialistes mais aussi généralistes arrivent assez bien à contenir les populations à un niveau acceptable. Dans les zones de cultures, c’est aussi et surtout le travail du sol qui contribue à leur régulation. La simplification du travail du sol et plus particulièrement le semis direct sous couvert, qui concoure au développement de la vie du sol, rencontre ici une nouvelle difficulté qui contraint certains à revenir même à un léger travail de surface : un comble pour gérer des souris !
Cependant une récente petite annonce dans « The Canadian Organic Grower » présente une piste intéressante à explorer : la gesse. En effet cette plante utilisée aujourd’hui comme couvert végétal mais aussi plante compagne avec le colza est une légumineuse de choix, qui semble préférer les sols plutôt basiques. Elle est aussi un légume très ancien et/ou un fourrage d’où son nom de pois carré ou lentille d’Espagne également. Cependant elle a été plus ou moins abandonnée à cause de risques de toxicité en cas de forte consommation. Comme le laisse entrevoir son nom latin « lathyrus sativus » elle est reconnue comme pouvant être responsable du lathyrisme, forme de paralysie douloureuse et irréversible des jambes.
Positionnée dans les parcelles en couvert ou en plante compagne, les rongeurs, qui l’apprécient, vont s’en nourrir et absorber la neurotoxine contenue dans les tissus. En fonction de la densité de végétation et du pourcentage de gesse dans leur régime alimentaire, l’effet sera plus ou moins important. En fonction des conditions, on peut supposer qu’il apportera au moins une perturbation supplémentaire si ce n’est pas une vraie régulation « douce ». Mieux encore et comme ce sont les graines qui concentrent cette toxine, un met de choix pour nos campagnols, leur consommation directe doit certainement augmenter l’effet.
Ainsi et au regard de ces nouvelles informations, il semble encore plus judicieux de mettre de la gesse dans les associations de plantes compagnes lors des semis de colza et de la privilégier en tant que couverts notamment dans les intercultures courtes entre deux céréales à pailles. Un petit épandage de graines autour des zones à risques pendant l’hiver pourrait également assurer un complément de gestion.
Bien entendu il ne s’agit pour l’instant que d’une piste qui demande à être vérifiée mais la logique est cohérente et positive. Encore une fois les couverts n’ont pas fini de nous surprendre. Merci d’avance pour vos retours et observations à ce sujet.

Un légume ancien « toxique »
Les gesses sont l’un des plus anciens légumes secs consommés par les humains. La plante entière a été également utilisée comme fourrage. La domestication aurait eu lieu en Anatolie. Bien que parler de domestication soit abusif, la plante cultivée est proche ou identique à la plante sauvage. La culture en est facile, cette légumineuse est peu exigeante sur la nature du sol, elle a de faibles besoins en eau et en fertilité. Comme le sarrasin, elle est donc de tous temps attachée à la pauvreté et n’a pas fait l’objet d’amélioration. C’est certainement pour cette raison qu’elle convient bien comme couvert aujourd’hui où elle donne généralement de bons résultats. En revanche, elle est riche en protéines, acides gras insaturés et en antioxydants. Elle se consomme verte, comme un petit pois ou bien sèche, en farine, sous forme de purée.
La gesse contient par contre un neurotoxique, le βODAP, acide aminé β-N-oxalyle-L-alpha β-diaminopropionique qui provoque une paralysie douloureuse et irréversible des jambes accompagnée de tremblements, d’incontinence que l’on nomme le lathyrisme. Les symptômes apparaissent environ 3 mois après le début d’une forte consommation (plus de 30 % de l’alimentation), le diagnostic est délicat, l’apparition pouvant être lente et évoquer la sclérose en plaques. Le lathyrisme est une pathologie étroitement liée à la pauvreté dans les zones rurales ; de fait la consommation de gesse était généralement réservée aux populations pauvres. A ce titre, les autorités sanitaires espagnoles ont même été jusqu’à en interdire la récolte et la consommation en 1944 ce qui a amplifié sa mauvaise réputation et les réticences des jardiniers. Elle est à nouveau autorisée depuis 2011 comme aliment traditionnel consommé épisodiquement et sous réserve que les gesses ne contiennent pas plus de 0,15 % de βODAP. Un niveau qui peut être encore plus réduit par le trempage et la cuisson dans l’eau bouillante.