Limaces, trouver l’équilibre

Matthieu Archambeaud, TCS n°30 - Novembre / décembre 2004

La limace et l’escargot sont tous deux des mollusques gastéropodes qui se nourrissent généralement de végétaux vivants ou de résidus. Contrairement à son cousin, la limace n’a pas besoin de se fabriquer une coquille calcaire, et bien qu’elle soit plus sensible aux conditions sèches, elle est particulièrement adaptée au milieu développé en céréaliculture. Par conséquent, elle est devenue un problème récurrent dans le monde entier et fait l’objet de nombreuses études. On sait que la limace se plaît dans les surfaces motteuses humides dans lesquelles elle se réfugie, particulièrement en présence de débris végétaux qui entretiennent l’humidité de surface. Même si elle est un ravageur gênant souvent rencontré en techniques simplifiées, la limace est une espèce pionnière qui indique que la vie revient dans les parcelles.

Retrouver un équilibre

Dans un écosystème stable, les espèces animales et végétales sont nombreuses et variées et un équilibre s’instaure entre les différentes populations qui se régulent entre elles. Dans un système cultivé, où l’homme privilégie la culture au détriment d’autres espèces, il est donc normal de voir se développer des ravageurs. Cependant, il est nécessaire d’avoir une approche globale dans le contrôle de la limace, car toute intervention a des conséquences à court terme et à long terme sur l’organisation de l’écosystème. Aujourd’hui, il est nécessaire de « laisser la nature nous aider », ce qui implique bien entendu, en fonction des systèmes, des tâtonnements et surtout du temps pour qu’un équilibre se restaure.

Limaces, prédateurs et travail du sol

Le travail du sol (labour et/ou déchaumage) permet de réduire les populations de limaces par destruction mécanique des oeufs et des adultes, mais également par assèchement de la surface : action directe sur les individus et indirecte par modification de l’environnement. À noter toutefois qu’une surface motteuse reste un abri idéal pour la limace : en sol argileux ou limoneux, les individus peuvent circuler facilement et avoir accès aux semences et aux plantules. La destruction mécanique n’est cependant pas une solution satisfaisante à terme puisqu’elle ne règle pas le fond du problème et les attaques se répètent d’une année à l’autre en fonction des cultures et du climat. En fait, si le travail du sol affecte les limaces, il nuit également à ses prédateurs, qu’il s’agisse d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, d’amphibiens, d’insectes prédateurs (carabes, staphylins), de parasites (certains nématodes et mouches) ou encore d’araignées. Parmi eux, le carabe est particulièrement étudié en raison de son appétit pour les gastéropodes et pour d’autres ravageurs tels que les taupins ou les pucerons. Bien que quelques espèces de carabes soient peu sensibles au travail du sol, leurs larves sont décimées par les interventions mécaniques et particulièrement au printemps, période de reproduction des carabidés. Or ces larves ont encore plus d’appétit que les adultes. Les essais de comparaison labour/semis direct montrent que les carabes préservés par un non-travail du sol et la reconstitution d’un environnement favorable ont un impact dépressif significatif sur les populations de limaces, au printemps et à l’automne. En effet, les pratiques de conservation des sols permettent aux carabes de se nourrir toute l’année des larves et des insectes présents dans les parcelles : la dynamique de population de ces prédateurs est entretenue d’une année sur l’autre, ce qui permet une régulation efficace des limaces. Bien entendu, cet équilibre peut mettre plusieurs années à s’instaurer et le problème reste de trouver un compromis entre protection des cultures et augmentation de la biodiversité. En attendant une régulation écologique, il faut apprendre à vivre avec quelques limaces et définir des seuils d’intervention en posant des pièges dans les parcelles et protéger chimiquement les cultures si nécessaire.

Contrôler la limace en raisonnant l’implantation

La préservation des insectes prédateurs n’est heureusement pas le seul outil dont dispose l’agriculteur pour lutter contre la limace. Plusieurs pistes de lutte supplémentaire semblent intéressantes en terme de conduite des cultures. Plusieurs études montrent que la précocité du semis à l’automne et au printemps permet de réduire les attaques de façon significative : la rapidité d’installation de la culture ou du couvert permet à la plante de prendre de vitesse les limaces : la majorité des attaques se fera à des stades de végétation plus avancés et donc moins vulnérables. Cette stratégie est permise par le semis direct après récolte, notamment pour le colza et les céréales, mais n’autorise plus la pratique du faux-semis.

Un semis plus profond des céréales d’hiver est également un moyen intéressant de réduire les attaques sur les semences germées. Avec le retour de l’humidité à l’automne, les limaces se cantonnent préférentiellement en surface : la semence est éloignée dans une zone plus profonde.

La localisation d’une fertilisation au semis pourrait également être intéressante. En premier lieu, l’engrais permet un démarrage plus rapide de la culture. Par ailleurs, cette fertilisation, en modifiant le milieu (présence de sels minéraux : ammoniaque, chlorure…), pourrait repousser les limaces et d’autres ravageurs hors du sillon, mais également les vers deterre, ce qui est plus regrettable.

Les couverts végétaux, une voie prometteuse

Au-delà des stratégies de semis, la pratique des couverts végétaux semble de plus en plus intéressante, bien que cela ne semble pas évident à première vue. En poussant au maximum la synthèse de biomasse en intercultures, on permet un assèchement du profil : condition moins favorable aux limaces. De plus, le maintien d’une source alimentaire en surface permet le développement d’une faune prédatrice nombreuse et diverse (carabes, staphylins, araignées…) qui pourra contrôler une éventuelle attaque lors du développement de la culture suivante. La gestion de la faune prédatrice ne se limite pas à la parcelle mais doit intégrer le territoire : en fournissant un abri et de l’alimentation à la faune sauvage, les couverts, les haies et les bandes enherbées permettent l’installation d’oiseaux et de mammifères fort efficaces contre tous les ravageurs. La biomasse peut également servir de leurre : par exemple, des repousses de colza détruites très tardivement permettent d’attirer les limaces qui ne s’attaquent plus à la culture qui se développe. Certains agriculteurs vont plus loin en semant un peu de colza dans l’interrang du maïs ou du tournesol pour obtenir les mêmes effets.

L’utilisation des propriétés de certaines plantes pourrait aussi devenir un moyen de contrôle efficace. Actuellement, on sait que l’acide cyanhydrique de certains trèfles ou encore la moutarde ont un effet répulsif sur les limaces (au même titre que le persil, le cerfeuil, le tagète ou le cassis en jardinage). Comme l’ont fait les Brésiliens pour réduire les risques nématodes, il est devenu nécessaire de sélectionner des couverts capables de contrôler les attaques de limaces.


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