CUMA des Ajoncs : des économies à plusieurs niveaux

Matthieu Archambeaud, TCS n°44 - Septembre / octobre 2007

L’essai de la Cuma des Ajoncs à Maure-de- Bretagne, en Ille-et-Vilaine, vient de fêter ses cinq ans. Pour rappel, l’objectif de cette expérimentation, menée par un collectif d’agriculteurs, de techniciens et de constructeurs, est de comparer les effets du travail du sol sur les paramètres agronomiques, écologiques et économiques d’une succession maïs-blé représentative de la région. L’originalité de la démarche repose sur le fait que l’essai a été implanté en 2002 sur une prairie de six ans et démarre donc sur un profil correctement structuré et organisé. Partant d’une situation de départ optimale, le semis direct et le semis simplifié ont immédiatement donné d’excellents résultats sans période de transition, confirmant le fort impact du travail du sol sur l’ensemble des paramètres mesurés. En itinéraires simplifiés, le sol a continué d’évoluer positivement sous l’effet des cultures et des couverts alors qu’il s’est progressivement dégradé sous labour. Ainsi, en cinq ans des différences nettes se sont creusées entre les différentes modalités, augmentant ainsi considérablement les écarts de mesure entre le semis direct et labour.

Des économies immédiates

Avec l’abandon du labour, le bilan est simple et sans surprise : après trois maïs et deux blés, les économies directes de fuel atteignent 146 l/ha et le temps de travail est réduit d’environ 4 h 30/ha, impactant sur le poste mécanisation qui voit son coût réduit de 339 euros/ha. Si le bilan à l’hectare est perceptible, le calcul sur les 67 ha de l’exploitation de Bertrand Paumier où se trouve l’essai est beaucoup plus parlant : 1 863 euros de moins pour 27 ha maïs en semis direct et 1 296 euros pour 40 ha de blé ; sur les cinq ans écoulés, c’est environ 19 000 euros qui ont ainsi été directement économisés. La Cuma proposant les trois itinéraires techniques « clés en main », ce gain est immédiatement réalisable par l’ensemble des adhérents. Il faut également noter que la différence entre l’itinéraire en TCS et celui en semis direct reste minime : elle tient uniquement en un décompactage tous les deux ans avant maïs (le décompactage coûte ici 24 euros/ha) et à une implantation du blé au combiné rotative/ semoir en lieu et place de l’Unidrill.

Ces économies directes sont également complétées par des économies bien réelles mais plus discrètes. Ainsi Bertrand Paumier, a mesuré cette année une différence de 20 % en termes de débit de chantier de récolte pour le blé : la meilleure portance du sol et la bonne tenue du blé ont permis de récolter 2,46 ha/h en semis direct et TCS, contre 2,05 ha/h en labour.

Des rendements qui progressent

Contrairement à une opinion fort répandue, les économies réalisées sur la mécanisation ne se payent pas en quintaux, c’est même l’inverse. En moyenne et toutes cultures confondues, l’écart entre les rendements atteint 14 %. Si l’on intègre maintenant les coûts de production ramenés à la tonne produite, la différence se creuse davantage entre les itinéraires avec des coûts qui vont du simple en semis direct au double en labour : Une autre façon de voir les économies réalisées en cinq ans sur l’exploitation de Bertrand Paumier est d’ajouter aux 19 000 euros d’économie de mécanisation le gain de production apporté par le semis direct.

Au bout de cinq ans, le gain de production obtenu sur la ferme en abandonnant le labour équivaut à la culture de 47 ha supplémentaires. Avec un blé à 200 euros/t et un maïs à 150 euros/t, le gain total représente environ 77 000 euros, auquel il faut rajouter 19 000 euros de mécanisation : on frôle les 100 000 euros de bilan positif en cinq ans pour cette ferme de taille moyenne. Ces résultats très favorables, bien qu’extrêmes du fait de l’expérimentation, expliquent cependant pourquoi 70 % à 80 % des agriculteurs du canton de Maure ont abandonné le labour pour différents niveaux de simplification, dont le semis direct, et cela grâce à l’appui du champ de comparaison et de la Cuma des Ajoncs.

Qualité de sol, les écarts se creusent

Un des facteurs expliquant le fossé qui sépare les itinéraires avec ou sans travail du sol est le décalage qui existe entre les différents profils culturaux, et cela au bout de cinq années seulement. Si l’on sait sans surprise que plus la surface est travaillée, plus la battance, le ruissellement et l’érosion augmente, observer la différence à 24 m d’intervalle permet de façon flagrante de convaincre même les plus sceptiques.

Contrairement à ce qui est communément véhiculé et comme le montrent ces photos prises en octobre 2006, l’eau s’infiltre mieux en semis direct, permettant un semis dans de meilleures conditions, alors que la même intervention dans le labour donnerait des résultats opposés. Ce n’est pas la qualité de la machine ou de la technique qui est en cause, c’est celle du sol que l’on se doit de conserver et d’améliorer.

La différence est très nette sur l’essai avec la mesure du ruissellement lors d’une pluie de 108 mm en 2 heures (mesure du 17 mai 2004 sous maïs, par le réseau régional TSL) : il n’y a aucun ruissellement en travail simplifié, tandis que le sol labouré sature et commence à ruisseler après 40 mm de pluie, perdant entre 20 et 25 mm d’eau par heure. L’érosion mesurée lors de cet épisode pluvieux s’élève 434 kg/ha de terre perdue. Si ces pertes d’eau et de sol se traduisent par des pollutions, il ne faut pas oublier le manque à gagner qu’elles représentent pour l’agriculteur  : déficit de stockage et pertes d’éléments en hiver, exploration racinaire et remontées capillaires limitées en période de croissance quand les précipitations se font plus rares. Il est à noter que la dégradation du profil sous labour intervient malgré la présence de couverts d’interculture à forte biomasse sur les trois itinéraires : la perturbation régulière et systématique de l’organisation biologique du sol par le labour empêche la vie du sol de se maintenir et d’organiser efficacement le profil en profondeur, tandis que les pertes cumulées de carbone, d’azote, d’eau et de sol aggravent durablement le phénomène. À l’inverse, le semis direct a maintenu le profil prairial de départ, voire l’a amélioré grâce à des enracinements différents et plus profonds que ceux du ray-grass et du trèfle.

Encore une fois ces résultats spectaculaires sont observables en raison de l’écart qui se creuse entre d’un côté une dynamique bénéfique, et de l’autre une dynamique dans laquelle la dégradation des paramètres de production demande toujours plus d’intrants et d’interventions, aggravant de ce fait le déséquilibre du système.

Azote, carbone et vie du sol sont liés

Encore une fois le bilan est impressionnant : après cinq ans, on trouve une différence de 12 t/ha à 14 t/ha de matières organiques entre les bandes, soit 2,4 t/ha/an à 2,8 t/ha/an. À raison de 70 kg/ha d’azote par tonne de matières organiques, cela représente un écart de 900 unités d’azote minéral présentes en fonction des systèmes. La différence s’explique d’un côté par l’accroissement de la minéralisation sur labour et la perte de matière organique qui lui est liée. D’autre part, la mobilisation de l’azote en semis direct est due à la synthèse de matière organique liée à une activité biologique performante. Au final on dispose de 180 unités d’azote minéral en plus en labour chaque année, pour des rendements inférieurs !

Ces phénomènes expliquent sans doute une part importante des pollutions azotées que l’on observe dans les systèmes conventionnels : le travail du sol intervient à des périodes pendant lesquelles la végétation présente n’a pas encore de grands besoins (le début l’automne pour le blé et de printemps pour le maïs) et libère d’importantes quantités d’éléments minéraux dont l’azote mais pas seulement.

Parallèlement, l’écart total en carbone organique lié aux phénomènes de minéralisation/ séquestration est estimé à environ 1,8 t/ha, entre labour et semis direct. Au-delà de la fragilisation qu’occasionne une perte de matière organique, se dessine la problématique du réchauffement climatique. En effet, les 1,8 t/ha/an de carbone organique transformé en CO2 équivalent aux effets de la combustion de 1,2 tonne d’équivalent pétrole (tep) par hectares et par an, auquel il faut ajouter les économies de carburant. Bien entendu la problématique est plus complexe et plus vaste [1], mais le potentiel reste réel. Cependant, étant donné les conditions optimales de l’expérimentation, due à sa conception originale, ces chiffres sont à manier avec précaution. Il est plus raisonnable de penser que dans une situation de progression normale, à l’échelle d’une exploitation agricole, il faille diviser par deux ses données, soit environ 1 t/ha/an de carbone séquestré, 1 t/ha/an à 1,5 t/ha/an de matière organique créées et enfin de 70 kg/ha à 100 kg/ha d’azote organique mobilisés : des chiffres proches de ce qui est communément annoncé dans de nombreuses communications internationales (travaux de F. Tebrugge, D. Reicosky, L. Séguy, etc.). Enfin, et en toute cohérence, les populations de lombrics atteignent 3 t/ha en TCS et semis direct, contre seulement 0,6 t/ha en labour. Si l’on considère [2] que l’ensemble de l’activité biologique représente environ quatre fois le poids des vers de terre, c’est environ 10 t/ha d’organismes vivants qui font la différence après cinq ans. Or, une baisse d’activité dans les sols signifie avant tout un manque de porosité fonctionnelle, un recyclage réduit des éléments minéraux et moins de stockage de carbone et d’azote sous forme de matière organique. À l’inverse, dans les itinéraires simplifiés, la forte présence d’organismes vivants (d’ailleurs très visibles en surface) est synonyme d’une meilleure organisation physique du sol et d’une plus grande autonomie conduisant à de meilleurs rendements.

Choisir une dynamique avec un système de culture

L’analyse de cette expérimentation en plein champ qui rassemble un volume important d’informations démontre parfaitement la cohérence économique, agronomique et environnementale de la simplification du travail du sol lorsqu’elle est correctement approchée et mise en oeuvre.

Cet essai montre également qu’il n’existe pas de systèmes stables ou figés. L’agriculteur peut s’orienter dans une dynamique négative dans laquelle la perturbation du sol mène assez rapidement à des dysfonctionnements, nécessitant de plus en plus d’interventions pour pallier aux manques de l’agroécosystème  ; ces interventions aggravent à leur tour les perturbations, conduisant le système dans un cercle vicieux. On en arrive à des situations dans lesquelles, malgré des moyens de production de plus en plus performants, les rendements stagnent, les coûts de production augmentent, ainsi que les atteintes à l’environnement. À l’inverse, l’agriculteur peut s’orienter vers une dynamique positive car cohérente, dans laquelle la préservation de l’organisation physique et biologique des sols est la base du système de culture. Le maintien d’une capacité de production fondée sur un sol plus autonome permet non seulement d’économiser à court et à long terme sur les intrants mécaniques et chimiques, mais répond également au double défi de l’alimentation de la population humaine et de la préservation des milieux.


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