GAEC de la Baronnesse, Haute-garonne

Catherine Milou, TCS n°49 - Septembre - octobre 2008

Céréaliers à Venerque enHaute-Garonne, Roger Béziat et son frère Denis sont passés d’un système de production traditionnel du Lauragais à rotation majeure blé-tournesol, à une gestion globale d’exploitation tournée vers l’agriculture de conservation. Succession de six cultures, couverts végétaux, semis direct quasi-intégral, innovations mécaniques, aménagements parcellaires et à la ferme… En seulement huit ans, c’est le système dans son ensemble qui a été totalement modifié. Tourné vers l’échange et la communication, le Gaec de la Baronnesse a également ouvert ses portes en devenant ferme pilote.

En 1999, l’exploitation du Gaec de la Baronnesse, était encore relativement similaire à d’autres fermes de la région : système en sec et rotation blé-sorgho-tournesol sur des coteaux argilo-calcaires soumis à l’érosion. Déjà conscients de la nécessité de juguler ce phénomène, Denis et Roger Béziat étaient passés en non-labour depuis dix ans par le biais d’une rotobêche et travaillaient en travers de pente. « C’était aussi le meilleur angle pour aborder nos parcelles positionnées en travers de coteau, tant sur le plan du gain de temps que de la rentabilité », ajoute R. Béziat. À l’écoute des avancées techniques et agronomiques dans le domaine du non-travail du sol et de l’apport des couverts végétaux, D. et R. Béziat franchissent un cap supplémentaire suite à une réunion organisée par la Fondation nationale pour une agriculture de conservation des sols (Fnacs), chez un agriculteur déjà expérimenté sur ces questions, Jean-Paul Robert. « Nous avons eu le déclic après avoir vu ces techniques appliquées concrètement dans le Sud-Ouest par un agriculteur qui avait du recul, même si son système était très différent du nôtre. Nous souhaitions aller plus loin dans la démarche et encore plus simplifier les travaux en raison d’un parcellaire petit et pentu, sans investir dans de la puissance. L’utilisation de couverts végétaux nous semblait un moyen complémentaire pour limiter l’érosion et pour réaliser un travail du sol par les racines plutôt que par les outils », explique R. Béziat.

Une évolution progressive dans le choix des couverts végétaux

Les premiers essais débutent sous forme de microparcelles de 28 mètres de large où plusieurs types de couverts sont testés, et destinés à précéder un sorgho. Le couvert implanté pour la première année en parcelle entière est un mélange d’avoine et de phacélie. Puis la proportion d’avoine est progressivement réduite, pour aboutir au mélange tri-espèces de 30 kg d’avoine, 50 kg de pois et 4 kg de phacélie. « L’avoine et le pois sont produits sur l’exploitation, explique R. Béziat. L’avoine présente un bon pouvoir couvrant et des propriétés allélopathiques qui empêchent la levée des adventices. En revanche, alors que le pois et la phacélie se dégradaient bien au cours de l’hiver, l’avoine beaucoup moins gélive créait un paillage sur le sol qui gênait l’implantation du sorgho. Le réchauffement du sol et son ressuyage de surface, problèmes importants dans nos argiles, au printemps, étaient ralentis à cause de la mauvaise dégradation de l’avoine. C’est pourquoi je suis passé des 80 kg d’avoine initiaux à seulement 30 kg. Quant au pois, en plus de son intérêt comme légumineuse, il permet au mélange d’être plus fluide et de réaliser une meilleure répartition des graines au semis. » Les agriculteurs ont choisi d’introduire la phacélie qui grumelle le sol et prépare bien le lit de semences. Elle enrichit en outre la rotation d’une nouvelle espèce, et ses résidus friables ne gênent aucunement le semis du sorgho.

En parallèle à l’évolution du choix des couverts, les agriculteurs engagent une réflexion sur leur mode de destruction. « Au début, nous les détruisions au glyphosate, en tâchant d’intervenir suffisamment tôt pour avoir un sol exempt de résidus au printemps. Mais une destruction début novembre nous contraignait à réintervenir au printemps pour détruire les repousses d’avoines et les adventices lors des débuts de saison pluvieux. » Les agriculteurs testent alors un nouveau mode de destruction, un rouleau plombeur Cambridge, qui évoluera par la suite en rouleau de type « Faca », passé sur sol et couvert gelé. La destruction est réalisée entre novembre et février, dès qu’il gèle deux matinées successives. Les résultats se montrent très convaincants car huit jours plus tard, la parcelle est prête à semer. Toutefois un nouveau mélange dépourvu d’avoine a été implanté pour cette nouvelle campagne, car le rouleau n’est pas efficace sur cette espèce. « Comme l’avoine assure néanmoins une bonne couverture du sol et peut être produite facilement sur l’exploitation, nous testerons en 2009 un nouveau mélange, avec cette fois-ci de l’avoine de printemps, plus gélive et moins dense », prévoit R. Béziat. Le couvert 2008, semé fin août avec un John Deere 750, se compose de 50 à 80 kg de féverole, 3 à 4 kg de phacélie, 3 à 4 kg de moutarde et 50 kg de pois. « La féverole comme la phacélie possède un système racinaire qui est intéressant, et la plante laisse peu de résidus. C’est aussi à mon avis une légumineuse qui piège et restitue plus d’azote que le pois. La moutarde se détruit bien au rouleau et résiste bien aux attaques de limaces. Comme son développement est rapide, le semis ne doit pas être trop dense », expose R. Béziat.

Des adaptations « maison » du matériel

Passionné par la mécanique agricole, qui a fait l’objet de sa formation, R. Béziat a initialement abordé la problématique du semis par une entrée matériel. Il commence ainsi par modifier le semoir Herriau présent sur l’exploitation, destiné à semer les cultures de printemps (les cultures d’hiver sont semées au semoir conventionnel, après déchaumage). « Je souhaitais refaire la ligne de semis et effectuer quelques modifications sur la distribution, car les éléments semeurs d’origine n’acceptaient pas les débris végétaux », explique-t-il. Intéressée par le projet, la société Herriau fournit son appui et les pièces d’origine. R. Béziat procède alors au montage d’un disque ouvreur et rajoute un disque à l’avant des socs pour favoriser leur pénétration. Les éléments semeurs sont en outre dissociés. « Ce partenariat et la possibilité d’utiliser des pièces d’origine nous ont permis de faciliter la mise en oeuvre du montage », indique-t-il. La rotobêche est alors remplacée par un passage de décompacteur à dents Michel.

Pour semer les couverts, les frères Béziat adaptent tout d’abord une caisse de semoir Nodet sur un cultivateur rotatif (Dyna-Drive), avant d’investir fin 2005 dans un semoir direct John Deere 750 pour implanter couverts et cultures d’hiver. « Le John Deere 750 comporte un élément semeur proche de celui du Herriau, avec une roue de jauge disposée sur le côté, un système qui nous convenait en raison du contrôle possible de la profondeur de semis. La bonne réputation du semoir et la facilité pour trouver des pièces ont achevé de nous convaincre pour le choix de ce modèle », explique R. Béziat. Puis, afin de pouvoir implanter toutes les cultures avec un seul semoir, il entreprend de nouvelles modifications sur le John Deere. Deux systèmes de distribution Herriau sont ajoutés à la distribution Accord d’origine du semoir, qui dispose alors de trois distributions et de trois trémies, autorisant ainsi de multiples combinaisons de semis. « Mon but est aussi de pouvoir semer plusieurs types de graines en même temps sans les mélanger, explique-t-il. Ce principe permet en effet de gérer les différences de densités et de granulométrie. Il nous permettra également de lancer de nouveaux essais, sur des cultures de printemps semées un rang sur deux avec une autre espèce dans l’interrang, notamment une légumineuse. » R. Béziat, fabrique également un rouleau plus adapté à la destruction des couverts végétaux que le Cambridge présent sur l’exploitation. Il s’inspire des rouleaux Faca brésiliens et associe un train de disques gaufrés qui travaillent droit, placé à l’avant, à un rouleau à barres et lames inclinées. Plus léger, ce rouleau permet d’intervenir même en conditions de gel limitées, et d’éviter ainsi de dégrader la structure du sol. La rangée de disques relevables placés à l’avant (écartés de 22 centimètres), est uniquement utilisée après la moisson du tournesol et du colza pour en couper et briser les tiges et faciliter ainsi le semis de la culture suivante.

Parcellaire et successions culturales sont réaménagées

Initialement, les 174 hectares de SAU de l’exploitation se divisaient en 50 % de céréales à paille (blé dur, blé tendre), 25 % de tournesol, et le quart restant en sorgho et parfois du pois ou du colza. En 2004, parcellaire, assolement et successions culturales sont totalement chamboulés et réorganisés de manière à répondre aux nouveaux objectifs agronomiques des exploitants. Les parcelles sont ainsi redéfinies en six groupes de 20 à 30 hectares au total, chacun destiné à accueillir une culture différente. Les cultures se succéderont ensuite durant six ans. Sorgho, pois, colza, blé tendre ou blé dur, tournesol, puis à nouveau céréale à paille entrent en rotation sur chaque groupe de parcelles. Quant au couvert végétal, il est implanté entre la dernière céréale à paille et le sorgho. « Le regroupement des parcelles par îlot cultural nous permet aussi d’optimiser les interventions et les trajets et d’avoir en outre une charge de travail mieux répartie dans l’année, explique R. Béziat. Comme les surfaces sont réduites, nous gagnons en réactivité et nous sommes moins dépendants des aléas climatiques… ainsi que des aléas économiques ! Nous avons mûrement réfléchi à la succession des cultures, élément qui nous a semblé plus important que le nombre de cultures en rotation. Nous avons en effet considéré en premier lieu les critères de gestion des résidus, de facilité d’implantation des couverts durant les intercultures longues, et l’utilisation des repousses de certains précédents comme couverts végétaux. Les cultures ne sont donc pas forcément toujours positionnées dans les parcelles qui correspondent le mieux à l’expression de leur potentiel maximum, mais nous avons accepté de réaliser un suivi en conséquence. »

Le pois succède au sorgho qui s’est révélé être un bon précédent : « Le sorgho draine bien le sol et ses résidus ne sont pas gênants. Le semis du pois est ainsi systématiquement réussi. La plante s’enracine très bien car elle prend la place des racines du sorgho. Après récolte du pois, il reste des résidus de sorgho et de pois, ce qui permet de ne pas laisser un sol nu. Le colza est facilement implanté ensuite, dans une structure qui lui est très favorable. Le risque de limaces est diminué du fait de la quantité réduite de débris végétaux et nous économisons une trentaine d’unités d’azote suite au précédent pois. » Les repousses de colza font ensuite office de couvert végétal avant le semis du blé. Toutes les cultures sont implantées en semis direct, sauf le tournesol qui reçoit préalablement un passage de décompacteur. « Nous avons des difficultés à implanter le tournesol en semis direct après un couvert, explique R. Béziat. Le sol très argileux nous crée des difficultés de fermeture de la ligne du semis et la texture du sol en surface n’est pas favorable à la levée. Les couverts semblent en outre favorables aux limaces noires, comparativement à un chaume. Nous avons envisagé plusieurs pistes pour tâcher d’y remédier, tels des couverts végétaux plus adaptés du blé, le choix de variétés de tournesol plus tardives, ou encore en remplaçant le décompactage par un travail superficiel. » Les agriculteurs ont réalisé cette année des essais de couverts à base de féverole et sarrasin, et d’autres avec de la vesce, afin de noter leurs effets sur des parcelles d’essais de 1 ha à 3 ha de tournesol qui sera semé en 2009. « Nous testerons également le même couvert que celui avant sorgho, de manière à simplifier la gestion des couverts sur les parcelles », envisage R. Béziat.

Le parcellaire est également aménagé par la plantation de haies, en bordures mais aussi en travers des pentes, de manière à réduire la taille des parcelles pour favoriser le travail des auxiliaires et pour limiter les phénomènes d’érosion et de ravinement. « Nous avons constaté un retour notable du gros et du petit gibier, relève R. Béziat. Il occasionne quelques dégâts que nous acceptons, car il s’agit pour nous de restaurer un équilibre et de favoriser la biodiversité. »

Des résultats encourageants

Après quatre campagnes de recul, les agriculteurs constatent que les sols sont plus souples, et que l’érosion s’est réduite. L’observation révèle en outre que vers de terre et turricules sont très présents. D. et R. Béziat remarquent toutefois que le semis direct et les couverts végétaux tendent à accentuer aussi la présence de limaces sur les parcelles. « C’est à notre avis un passage nécessaire avant de trouver l’équilibre », estime R. Béziat. L’antilimaces est appliqué « à vue », selon les années, et généralement sur les cultures sensibles comme le colza et le tournesol, ainsi que sur les parcelles humides. « Nous allons essayer de le localiser dans et sur la ligne de semis afin de limiter les dosages et l’impact des hélicides sur les auxiliaires. Les interventions de rattrapage en plein se font au quad pour être plus réactif et ne pas abîmer le sol », ajoute-t-il. L’évolution de la biodiversité est difficilement mesurable, mais un suivi des auxiliaires par piégeage va être réalisé sur l’exploitation durant 3 à 5 ans avec Syngenta et La Toulousaine de Céréales, afin de l’appréhender, au moins en partie. Du côté des rendements, les agriculteurs constatent une plus grande régularité, en raison notamment de parcelles plus homogènes à la récolte.

Très tourné vers l’échange et la communication, le Gaec de la Baronnesse s’est impliqué fin 2002 dans un projet de ferme pilote avec sa coopérative la Toulousaine de Céréales. Au rang de ses motivations se trouvait le souhait d’anticiper la réglementation plutôt que de la subir, de donner une bonne image du monde agricole et de proposer un outil de travail commun pour faire avancer les pratiques. Le projet a débouché sur plusieurs aménagements très concrets autour de la gestion des pollutions ponctuelles (local phytosanitaire, aire de lavage et remplissage du pulvérisateur associée à un phytobac, gestion des emballages de phytosanitaires vides…).

L’exploitation est devenue progressivement un champ d’expérimentations sur des thèmes agronomiques liés à la conservation des sols (couverts végétaux, successions culturales, programme d’analyse des sols…), autant de références qui enrichissent la réflexion agronomique des exploitants. Les projets foisonnent, et les contacts se multiplient. R. et D. Béziat se sont ainsi impliqués avec d’autres agriculteurs de la région Midi-Pyrénées dans un projet d’envergure européenne, le projet SoCo, dont le relais en France est Solagro. L’étude porte notamment sur les systèmes de conservation des sols et de l’impact de l’agriculture sur l’environnement. L’exploitation fera aussi l’objet d’un suivi par Arvalis et les chambres d’agriculture dans le cadre de l’acquisition de références en TCS et semis direct. Un premier contact a également été initié avec l’Apad de Tunisie (Association pour la promotion de l’agriculture durable), dont les travaux portent sur le semis direct. « L’exploitation est devenue un lieu d’échanges et de rencontres qui nous a permis d’avoir une vision et une approche différente de notre métier. Les nombreux contacts établis ont nourri notre réflexion, nous ont donné de nouvelles pistes de travail, et fourni un appui technique. Nous nous sentons entourés et soutenus dans notre envie de faire bouger les choses, la ferme ayant tissé un lien entre toutes les personnes motivées par de nouveaux projets », conclut R. Béziat.


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