Garder le cap ...

Frédéric Thomas - TCS n°43 - Juin / juillet / août 2007

La météo plus que capricieuse avec des extrêmes de douceur, de chaleur, de sécheresse et, pour finir, d’humidité a posé pas mal de difficultés quelles que soient les régions. Résultat : les semis de printemps entre les secteurs trop secs et trop humides ont été fortement perturbés avec en prime des populations de limaces très voraces. Les céréales d’hiver, quant à elles, après avoir souffert dans certains secteurs d’hydromorphie ont mal supporté le coup de chaud et sec au moment de la floraison surtout en sols superficiels. Enfin, l’humidité de l’arrière-saison, si elle a permis de bons rattrapages de végétation, a par contre favorisé l’explosion des maladies, le salissement des parcelles et largement déprécié et perturbé la récolte. Ainsi 2007 va rester dans les annales paysannes comme les dix dernières années d’ailleurs qui, dans l’ensemble, rassemblent beaucoup de situations extrêmes. Faut-t-il y voir l’impact du réchauffement de la planète ? Peut-être, mais en attendant d’y remédier sérieusement, ces événements montrent que l’agriculture et la production alimentaire sont aux premières loges et risquent d’être fortement impactées par ce type de dérèglement climatique. Le meilleur moyen de gérer ces variations, localement, étant de développer et d’entretenir la qualité des sols qui ont la capacité d’amortir en partie les caprices du climat.

La flambée des prix des céréales, prévisible au vu du contexte mondial comme nous vous l’avions présenté dans les précédents TCS, est une autre forme de perturbation qui risque d’être une tendance lourde, malgré quelques soubresauts et réajustements ponctuels, dans les années à venir. S’il s’agit d’un élément très positif pour les céréaliers, personne ne va s’en plaindre, les éleveurs considèrent plutôt cette forte hausse de leurs matières premières comme négative. Ce volant financier ne va pas seulement profiter aux producteurs et il est logique qu’une partie de l’entourage, qui a aussi consenti des efforts budgétaires ces dernières années, cherche à se réapproprier une partie de cette marge : une augmentation prévisible des coûts de production qui sera aussi dopée par l’enchérissement de l’énergie et des matières premières. De plus avec cette tendance haussière, le spectre d’un aménagement de la Pac, et l’option annoncée de fortement diminuer le soutien à la production agricole, se profile plus facilement à l’horizon. Ainsi, et même si l’agriculture débouche sur une période beaucoup plus faste, il faut rester serein et absolument conserver des approches de production efficaces tout en sécurisant les résultats techniques et, si possible, profiter ponctuellement de la situation pour améliorer les marges, investir dans des pratiques encore plus économes afin de se préparer à des périodes peut-être moins favorables.

La raréfaction de beaucoup de matières premières, au-delà du pétrole et de l’énergie, comme l’acier et dernièrement le phosphore sont autant d’éléments qui indiquent qu’il va falloir rapidement s’orienter vers des systèmes de production qui reposent sur un bon recyclage des ressources non renouvelables au sein des parcelles, des exploitations, mais également entre les villes et les campagnes : une approche que nous soutenons depuis plusieurs années avec le concept d’Agriculture du Carbone. Il faudra bien admettre que ces tensions ne sont pas seulement le fruit d’une augmentation de la demande, qui joue le rôle d’accélérateur, mais aussi d’une raréfaction de l’offre. S’il est maintenant largement admis que les ressources en pétrole, gaz et même uranium sont finies à l’échelle de la planète, c’est également le fait de nombreuses matières premières et d’éléments minéraux utilisés comme fertilisants. Il est donc impératif de passer d’un développement linéaire, basé sur une activité minière en amont aboutissant à du gaspillage et de la pollution en aval, à des modes de consommation fondés sur des cycles garants d’une disponibilité locale et durable à des coûts abordables.

Au vu de ces différents éléments et des changements radicaux que rencontre et que va connaître la production agricole, nous sommes à un véritable tournant avec, devant nous, une période certainement plus favorable mais qui ne sera pas sans de nombreuses turbulences. Face à ces conditions et sans se faire éblouir par cette embellie, il faut continuer d’explorer les gisements d’économie et surtout ne jamais perdre de vue l’agronomie qui reste immuable et cohérente avec les trois fondamentaux de l’agriculture de conservation, à savoir la minimisation voire la suppression du travail du sol, l’intégration des couverts végétaux et le développement de rotations adaptées. C’est certainement ce dernier point qui reste le plus difficile à intégrer aujourd’hui au vu du contexte économique, mais c’est un élément essentiel qu’il faut progressivement incorporer, afin d’anticiper les soucis et les coûts liés au salissement, aux ravageurs et aux maladies mais également de garantir de bons niveaux de rendement.

Il faut aussi conserver l’approche système, continuer de se projeter dans l’avenir et se construire des objectifs clairs, afin de ne pas adapter les pratiques seulement en fonction des difficultés rencontrées et du vécu récent qui enrichissent l’expérience. Bien entendu les chemins de l’agriculture de conservation sont loin d’être directs et sont souvent semés d’embûches qui font partie du parcours initiatique. Cependant, au vu des grands enjeux et futures contraintes qui se profilent à l’horizon, cette approche simple dans sa conception mais très diverse dans ses adaptations et sa mise en oeuvre n’a jamais été aussi bien placée de par sa cohérence économique, agronomique, environnementale mais également sociétale. Il faut donc garder le cap car il n’y a pas de bon vent pour un marin qui n’a pas de port.


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