Mardi 29 septembre 2015
Thierry Stokkermans

Originaire du Sud-Ouest de la France, Thierry STOKKERMANS a travaillé en Espagne, Nouvelle-Zélande et Australie avant de s’installer aux Pays-Bas. Convaincu par le semis direct à faible perturbation, il conçoit et développe aujourd’hui des machines agricoles (zip drill).

Des laitières sur couvert permanent

En élevage bovin lait, la rotation conventionnelle est à base de prairie pluriannuelle et de maïs. Cette dernière est une annuelle alors que la prairie a beaucoup de similitude avec les couverts permanents. Du coup, il est possible d’imaginer de semer du maïs ensilage dans un couvert permanent de prairie. Et très vite, les questions fusent : que se passe-t-il si l’on sème du maïs dans une prairie ? Comment le semer ? Comment le désherber ? Comment le récolter ? De façon synthétique, il y a trois questions : quel est la faisabilité ? Quels sont les gains ? Et quels sont les risques ?

Les gains sont plus économiques que pédologiques (liés au sol). En effet, les fermes laitières ont du fumier et/ou du lisier, par conséquent, il y a des apports de matières organiques et les prairies restent souvent en place pour 3 ans au moins, ce qui permet au sol de se refaire. Néanmoins les gains économiques sont séduisants. Il y a un gain technique à produire de l’herbe dès la récolte du maïs et un gain pratique à augmenter la portance des sols pour la récolte et le passage des remorques. Et le gain le plus important est la réduction des coûts et du temps de travail par la diminution du nombre de passages (principalement pour l’implantation des cultures). La faisabilité dépend beaucoup du matériel et des méthodes. Le principal challenge est ici de ralentir la prairie sans la salir. En effet, il ne faut pas salir la prairie pour qu’elle garde ses qualités nutritives, par conséquent, il ne faut pas émietter le sol (principal vecteur de la germination des adventices). Pour les prairies multi-espèces, freiner par traitement chimique ne semble pas une option viable car on risque de tuer un grand nombre de plantes. Le rouleau Faca n’est pas dans l’intérêt de l’éleveur qui préfère valoriser l’herbe. Et faucher court ne suffira pas pour donner l’avantage au maïs. Du coup, que faire ?

JPEG - 128.4 koL’an dernier, j’ai suivi un essai de semis direct de maïs sur prairie. Le maïs a été semé dans un sillon en T-inversé à 5 cm de profond et, par erreur, traité au Roundup par la suite. En effet le passage de la dent avait coupé/séparé les stolons-&-racines profondes du reste de la plante (je pouvais prendre les touffes à la main sans arracher ou tirer sur quoi que ce soit) et n’avait pas reçu de glyphosate car le traitement avait eu lieu après le passage de l’outil. Du coup, j’ai eu très peur que les stolons profonds ne meurent pas et recréent rapidement des plantes qui concurrencent le maïs et finissent par le dominer. Les racines ont refait des parties aériennes mais beaucoup plus tard et beaucoup plus lentement que ce que j’avais imaginé et, au final, il n’y a pas eu de compétition avec les pieds de maïs.

A la fin de l’été, le maïs était aussi grand et aussi développé que chez le voisin avec en dessous des repousses d’herbe. Ce raté de désherbage ne permet aucune conclusion ferme mais a fait germé l’idée suivante : peut-on freiner une prairie en entier en coupant (sans retourner) les racines à 5 cm de profond et la retrouver après l’ensilage de maïs ? Il y a du potentiel et s’il y a un outil suffisamment pratique et économe pour assurer le résultat, il se pourrait que « le maïs sous couvert permanent de prairie » devienne une solution technique intéressante. De plus, elle pourrait aussi être utilisée en agriculture biologique. Il faut également évoquer les risques d’un tel système. Pour la culture de maïs, une fois que l’implantation est maîtrisée, le seul véritable point critique se situe à la récolte. Les risques à la récolte sont à priori faibles. Il y a un seul scénario catastrophe possible et c’est celui où la prairie pousse trop fort et trop vite sous le maïs. En effet, si de l’herbe est fauchée par la coupe de l’ensileuse, il y aura de l’herbe dans la remorque et, donc, de l’herbe dans le tas d’ensilage. A l’ombre du maïs, l’herbe se développe peu (compétition pour la lumière) mais s’il arrive que le maïs patine ou reste petit (ça reste de l’agriculture) il y aura plus d’herbes dans le champ et donc plus d’herbe dans le tas. La prairie et ses « herbes » restent un aliment pour notre ruminant favori, il sera possible de les nourrir. Néanmoins vu que la composition du tas d’ensilage aura changé, la valeur nutritive aura aussi changé et du coup il faudra adapter la ration. Penser la ration d’un troupeau laitier est un domaine d’experts et changer la ration peut avoir des conséquences techniques, pratiques et/ou économiques. Je n’ai aucune compétence en alimentation bovine et par conséquent je préfère laisser le point d’interrogation en suspens et la question aux experts de la ration. Néanmoins, pour le côté agronomique, il est possible de conclure que le maïs bien implanté aura le dessus sur la prairie et ceci, principalement, par interception de la lumière. Un système herbe/maïs en couvert permanent n’est pas encore une réalité aujourd’hui car il manque la méthode et/ou l’outil pour freiner la prairie sans la tuer et sans salir l’une ou l’autre culture. Néanmoins le concept est séduisant car il y a des petits gains intéressants avec des risques limités.