De la conservation à la régénération !

Frédéric Thomas - TCS n°79 ; septembre/octobre 2014

Il y a plus d’une vingtaine d’années, toutes les démarches de simplification du travail du sol, notre porte d’entrée dans cette aventure, se sont regroupées sous le sigle générique TCS : techniques culturales simplifiées ou techniques de conservation des sols. Celui-ci s’est d’ailleurs imposé comme une vraie marque, en partie, grâce à la revue du même nom. Avec le temps mais surtout avec le développement des couverts végétaux et la prise de conscience de la dimension rotation, c’est « agriculture de conservation » (AC) qui s’est ensuite progressivement imposé. Issu de l’anglais « soil conservation agriculture » qui met plus en avant la préservation des sols que la seule limitation ou suppression des interventions mécaniques. Ce terme, bien qu’impropre, correspondait mieux à l’approche plus globale qui se mettait alors en place. L’évolution s’est poursuivie avec l’arrivée de « agriculture écologiquement intensive ». Cette appellation, un tantinet provocatrice et pas toujours bien comprise, résume cependant mieux la globalité de l’orientation que nous mettons en œuvre, que nous continuons d’expérimenter et de déployer sur nos exploitations agricoles. « Agroécologie » serait certainement plus approprié mais avec sa consonance plus scientifique que pratique, il a du mal à s’imposer. De plus, comme « AEI », il exprime plus le but ultime à atteindre que le chemin à parcourir.

Aujourd’hui et au milieu de cette jungle de terminologies, peut- être compliquées pour un néophyte, une nouvelle dénomination est en train d’émerger : « agriculture régénérative ». Même si cette appellation est surprenante à première vue, elle exprime certainement mieux le mouvement et la transition d’une situation plutôt « dégradée » que l’on ne souhaite surtout pas « conserver » vers des modes de production intégrant au maximum les processus écologiques et la photosynthèse comme principal intrant. Avec une approche qui s’est globalisée, nos pratiques ont bien pour objectifs aujourd’hui de régénérer une multitude d’éléments fondamentaux :

Régénérer les sols et leur niveau de matière organique plutôt que de les conserver en l’état. C’est d’ailleurs ce niveau de dégradation, souvent mal apprécié et habilement contourné par le travail du sol, la fertilisation, l’irrigation et généralement l’ensemble des pratiques conventionnelles, qui pose souvent le plus de difficultés dans la mise en œuvre de nos pratiques et surtout la réussite de nos itinéraires culturaux. Une phase de transition est souvent nécessaire pour retrouver une porosité et une fonctionnalité suffisante afin d’assurer une bonne circulation de l’eau, faciliter les échanges gazeux et permettre un enracinement homogène et profond. Cependant, et même si nous constatons tous des améliorations des sols et cela depuis de nombreuses années, aucun ne peut encore prétendre avoir atteint l’optimum et se trouver maintenant en situation de croisière.

Régénérer l’activité biologique et la fertilité. Sur ce point aussi, nous sommes bien sur l’idée de régénération. C’est d’ailleurs l’image que nous avons toujours promue avec le développement du fameux « volant d’auto-fertilité ». Cependant le ralentissement des flux de fertilité est l’une des principales difficultés pendant la phase de transition. Il peut même devenir un sérieux handicap dans certaines conditions, bien qu’il soit en partie contournable par la localisation de la fertilisation et l’anticipation des apports. Malgré tout, il est nécessaire de régénérer cette auto-fertilité qui progressera patiemment dans le temps, notamment avec les couverts végétaux et les légumineuses.

Régénérer la biodiversité à la surface et autour des parcelles. Même s’il s’agit d’un axe de travail plus récent, il est aujourd’hui clair que nos pratiques, avec le maintien d’une couverture vivante pendant la majorité de l’année associé à un minimum de perturbations physiques comme chimiques, concourent au développement de l’activité biologique à la surface des parcelles et facilitent l’accueil et les échanges avec les milieux périphériques. Certainement plus complexe dans son appréciation et dans sa mise en œuvre, cette dimension, qui élargit l’échiquier à la notion de paysage, est globalement favorable à la régénération d’une biodiversité. Celle-ci a même adopté le qualificatif de « fonctionnelle » tant nous en attendons des bénéfices induits en retour. Si l’impact sur les pollinisateurs et notamment les abeilles est évident, la gestion d’une partie des limaces par les carabes et autres auxiliaires est en partie acquise, le contrôle des campagnols, qui fait appel à une biodiversité plus étendue, n’est pas encore suffisamment effective en fonction des régions. Sans rêver d’un monde idéal, c’est aujourd’hui certain que de nombreux bio-agresseurs se feront normalement plus discrets une fois que ces équilibres biologiques, qui resteront précaires, seront reconstruits.

Régénération du métier d’agriculteur. Même si cette dimension n’a rien à voir avec l’agronomie et l’écologie ; elle est cependant essentielle. Tellement de lecteurs soulignent qu’ils ont retrouvé, au travers de ces nouvelles approches, le goût d’être agriculteur et même le sens profond de leur métier. Produire tout en essayant de comprendre, de jongler et de s’appuyer sur les fonctionnalités du vivant, c’est une formidable bouée positive entre le poids réglementaire, l’acharnement des médias et les contraintes économiques. En complément, des pratiques plus « écologiques », qui concourent à plus d’autonomie dans les champs mais aussi dans les têtes, régénèrent inévitablement l’envie : attention car c’est contagieux ! Sans vraiment parler de retour à la terre, par écho, cette dynamique attire et facilite l’installation de jeunes qui vont continuer de stimuler positivement les réseaux.

Régénération des relations entre les acteurs du monde agricole. Avec l’évolution des connaissances et des pratiques, les orientations passionnées du départ se sont progressivement éloignées d’un positionnement radical « anti » certains moyens (non-labour par exemple) pour des objectifs plus conciliants et « pro » résultats concrets et communs (amélioration de la fertilité des sols). Ce changement d’attitude a contribué à faire tomber des barrières et ouvre aujourd’hui sur du dialogue, du respect et surtout des échanges profitables à tous. Ce décloisonnement qui commence à s’étendre ne se limite pas seulement aux agriculteurs mais se répand à l’ensemble de l’environnement agricole. Avec cette notion de « nouveaux systèmes de production », ce sont aussi les relations entre agriculteurs, chercheurs, techniciens et/ou fournisseurs qui sont en train d’être complètement revisitées. Le développement de type « top down » cède ainsi progressivement la place à des partenariats de recherche et de co-construction d’itinéraires innovants.

Une vraie régénération est donc en marche aujourd’hui dans le monde agricole à tous les niveaux. Elle serait encore plus complète si elle pouvait, par écho, régénérer une relation positive avec le grand public.


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