Valoriser le non-labour avec les protéagineux

Cécile Waligora, TCS n°30 - novembre / décembre 2004

L’azote est un facteur limitant en non labour. Rien que le fait d’introduire un protéagineux dans la rotation peut pallier cet inconvénient. Mais ces légumineuses ont aussi d’autres atouts : des résidus faibles et facilement décomposables, un système racinaire complémentaire de celui des graminées, une interruption des cycles parasitaires dans les rotations céréalières et même une séquestration efficace de carbone. On aurait tort de s’en priver.

82 q/ha en labour, 75 q/ha en travail superficiel et 81 q/ha en semis direct (SD). Voici les rendements moyens, sur six ans (1997 à 2002), d’une monoculture de blé en limon argileux (sud bassin parisien). Diversifions maintenant cet assolement en introduisant des cultures de printemps : un pois protéagineux et une orge de printemps. En moyenne, sur quatre ans, le rendement du blé est nettement amélioré. Il atteint 89 q/ha en labour, 92 q/ha en TCS et 96 q/ha en SD. À lui seul, cet exemple (tiré d’un essai de longue durée mené par Arvalis à Boigneville entre 1997 et 2002) montre combien diversifier et réintroduire des légumineuses dans la rotation est essentiel, d’autant plus quand on passe en TCS ou en SD où l’azote est un facteur limitant.

Les avantages des protéagineux dans une rotation sans labour

Ils sont déjà d’excellents précédents dans une stratégie de travail simplifié par le peu et la qualité des résidus qu’ils génèrent. De ce fait, l’implantation de la culture suivante devient plus aisée. Leurs résidus à C/N bas sont beaucoup plus « friables » que ceux d’un blé, d’un maïs, d’un tournesol ou d’un colza et se décomposent plus vite.

En rotation, le système racinaire des protéagineux complète efficacement celui des graminées car il explore le sol de manière différente. C’est cette alternance de systèmes racinaires différents qui conduit à l’obtention d’une meilleure structure du sol.

Les protéagineux, cultivés au printemps, viennent couper les cycles parasitaires d’une rotation céréalière. Ils ont, à ce sujet, un effet très net sur les adventices des céréales d’automne. Ils prennent ainsi les graminées adventices à « contre-pied » et facilitent leur contrôle au printemps, avec un antigraminées utilisé sur culture de dicotylédone. Jean-Luc Marx, agriculteur dans la Nièvre, règle ses problèmes de brome de la façon suivante (sa rotation est blé-colza-blé-pois) : désherbage classique sur blé, un traitement anti-dicotylédones sur colza et, sur pois, utilisation d’antigraminées à base de FOP pour maîtriser d’éventuelles levées. Entre le blé et le pois, il sème un couvert d’avoine. L’agriculteur a développé une autre stratégie dans sa rotation à base de maïs (maïs-maïs-blé-colza).Il a réintroduit le soja entre le deuxième maïs et le blé. « L’introduction d’un seul protéagineux dans cette rotation me permet de couper totalement le cycle des fusarioses » constate-t-il.

Les protéagineux, appartenant à la famille des légumineuses, ne consomment pas d’intrants azotés. Leur faculté à fixer efficacement l’azote de l’air permet d’alimenter, au moins en partie, la culture qui suit. Celle-ci peut récupérer entre 20 à 40 unités d’azote. Un couvert de tournesol semé derrière pois a ainsi produit chez Jean-Luc Marx entre 1 et 1,5 tonne de MS/ha supplémentaires. Un blé derrière un pois peut facilement pro- duire 4 à 5 q/ha de plus. Son taux en protéines est aussiamélioré : parfois jusqu’à 1 à 1,5 point supplémentaire. Mais ce n’est pas seulement la culture qui suit la légumineuse qui bénéficie de cet apport azoté naturel, c’est l’ensemble de la rotation qui en bénéficie, surtout en TCS et en SD.

Les légumineuses ont un effet positif sur l’activité biologique du sol. Elles relarguent d’importantes quantités de sucres (énergie) pour alimenter l’activité fixatrice. Ceci explique, bien qu’elles ne fassent pas de biomasse importante, qu’elles sont tout de même très efficaces en matière de séquestration du carbone.

Plusieurs études ont aussi montré le rôle essentiel des légumineuses sur la lixiviation des nitrates. Citons cette étude menée par l’Inra de Châlons-sur-Marne, entre 1982 et 1992, sur la luzerne (source : J. Mazet et J. Wéry de l’Inra de Montpellier). Après dix ans de rotation luzerne – blé - betterave (trois années de luzerne), la concentration en nitrate des eaux de drainage était de 20,8 mg/l (264 kg N/ha lessivés pour 1 273 mm de drainage) alors qu’elle avait atteint un niveau de 27,2 mg N/l pour la rotation blé - betterave (331 kg N/ha pour 1 217 mm de drainage). Plusieurs raisons expliquent cette diminution du risque de lixiviation : la luzerne est présente toute l’année, les racines vont très loin en profondeur (jusqu’à 2,50 m) et aucun travail du sol n’intervient dans la parcelle pendant trois ans. On estime que les quantités d’azote stockées dans le système racinaire de la luzerne représentent près de 200 kg de N/ha.

Les protéagineux représentent enfin moins d’avance de trésorerie que les cultures d’automne du fait de leur moindre consommation en intrants. Ils sont aussi un complément protéique intéressant en système d’élevage.

Les conditions de réussite en non-labour

Les protéagineux s’adaptent parfaitement au non-labour (plus en TCS qu’en SD, beaucoup plus délicat) et le non-labour le leur rend bien : moins de cailloux en surface et un sol mieux nivelé pour une récolte plus facile. Les sols, plus portants, facilitent également les interventions phytosanitaires notamment herbicides. Néanmoins, certaines précautions sont à prendre lorsqu’on implante une culture protéagineuse de printemps. À cette époque, il est, d’une part, indispensable d’attendre que le sol soit suffisamment ressuyé et, d’autre part, il faut souvent sécuriser l’implantation par une ouverture du sol afin que celui-ci puisse se réchauffer. Ces deux conditions (ressuyage et réchauffement) doivent être obtenues au minimum sur 4-5 cm, profondeur de semis du pois. Ouvrir le sol à cette époque est aussi important pour l’oxygéner et permettre un meilleur fonctionnement des nodosités, très sensibles à la compaction. Un sol compacté présente, en effet, deux inconvénients pour une légumineuse. Premièrement, il limite l’enracinement et donc la nutrition minérale de la culture. Deuxièmement, il limite la fixation de l’azote de l’air par les nodosités. Pour que les bactéries fonctionnent bien, il leur faut un sol aéré avec de bons échanges avec l’atmosphère. On comprend donc ici pourquoi les sables répondent souvent mieux avec des légumineuses ou protéagineux que les limons et les argiles. On l’aura compris : mieux vaut sécuriser le semis d’un pois de printemps en réalisant une ou plusieurs reprises superficielles du sol. Pas trop car il ne faut pas non plus créer trop de terre fine.

Dominique Lachaud, conseiller au sein des Établissements Ruzé (89), insiste aussi sur le choix variétal : « Je conseille souvent, en pois protéagineux de printemps, des variétés à floraison indéterminée. Suite à des problèmes de levée, la culture aura toujours la possibilité de refleurir en cas de stress et donc de compenser une éventuelle perte de rendement. » Les protéagineux cumulent donc des atouts agronomiques indiscutables dans une rotation et, à condition de respecter certaines règles, ils s’adaptent très bien au non-labour. Leur introduction dans l’assolement est aussi intéressante économiquement. Alors : à user sans modération ? Une des mesures de la conditionnalité des aides concerne la diversification des assolements. Voici, peut-être, une première réponse à la question. Quant au champignon aphanomyces sur pois, véritable frein à la production lorsqu’il est présent, nous n’avons pas d’informations concernant son impact en système sans labour. À ce propos, n’hésitez pas à nous communiquer vos éventuelles observations et expériences.


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