La caméline
D’après l’expérience de Joseph Pousset (Agriculteur-expérimentateur) Extrait du livre « Agriculture Naturelle »
Son nom scientifique est
Camelia sativa. C’est une crucifère
dont la culture a disparu
en France depuis longtemps. A la
fin du XIXe siècle, on en cultivait
déjà moins de 1000 hectares sur le
territoire national. Elle possède
pourtant de réelles qualités :
La rapidité de sa végétation,
puisqu’elle mûrit trois ou quatre
mois seulement après le semis.
Sa sobriété lui permet de se
contenter de terres « maigres ».
Elle résiste bien mieux que le
colza aux fortes chaleurs et au
manque d’eau, à condition toutefois
que la pluviométrie soit
suffisante jusqu’à sa floraison.
Elle peut remplacer les cultures
d’hiver ratées car on la sème habituellement
tard, entre la mi-avril
et la mi-juin. Elle autorise donc,
comme le sarrasin, une lutte efficace
en fin de printemps contre les
adventices pluriannuelles (rumex,
chardons, laiterons des champs).
Elle est peu sensible au froid.
Autrefois, sa paille servait à chauffer
les fours à pain et à couvrir les
habitations.
On peut l’associer aux céréales de printemps ou à d’autres cultures de printemps. Cela améliore la maîtrise des mauvaises herbes dans ces dernières. La caméline me semble présenter un effet allélopathique assez net vis-à vis de beaucoup d’adventices mais cela demanderait à être précisé et confirmé par des essais et expériences plus nombreux dans des situations variées.
Ses graines renferment environ 30% d’huile autrefois réputée non comestible et d’une remarquable couleur dorée, de saveur et d’odeur un peu piquante. Cette huile brûle en donnant moins de fumée que celle du colza. On l’utilisait dans le passé dans la fabrication des vernis en savonnerie où elle remplaçait parfois l’huile de lin.
Dans les régions au climat doux et avec un peu de chance, il est possible d’obtenir deux récoltes de caméline sur la même parcelle au cours d’une année. On réalise pour cela un semis très précoce, en mars et un autre très tardif fin juin début juillet. Cette « performance » doit cependant rester une curiosité car elle n’est pas satisfaisante sur le plan de la rotation des cultures.
Culture de la caméline seule
Effectuez le semis de mi-avril à mi-juin après un travail du sol convenable, déstockages, faux semis et lit de semence bien nivelé et plutôt fin. L’idéal est d’obtenir des plants espacés de 10 à 15 centimètres en tous sens. C’est difficile par semis à la volée car les graines sont minuscules. Mélanger les semences à du sable ou à de la semoule peut aider à condition que le malaxage soit excellent.
Un semoir mécanique ou pneumatique en bon état et bien réglé permet plus sûrement d’atteindre l’objectif grâce à des rangs écartés de 15 à 20 centimètres, soit une densité d’une centaine de plants par mètre carré ; pas davantage. Cela correspond à environ 1,5 kilos de semences par hectare.
Le semis doit être très superficiel et suivi éventuellement par un roulage. Quand la terre est mal préparée, augmenter raisonnablement la dose de semences. Si pour une raison quelconque, la jeune culture est trop dense au moment de la levée, notamment après un semis à la volée, un peu « lourd », un hersage assez énergique permet de l’éclaircir. Mais il s’agit là d’une solution de rattrapage. Il est préférable de bien réussir le semis dès le départ.
Par la suite, aucune intervention n’est nécessaire. Ravageurs et parasites ne l’attaquent guère. On ne trouverait notamment ni altises ni pucerons dans les champs de caméline. La rouille blanche des crucifères pourrait cependant l’affecter mais je n’ai pas observé cette maladie lors de mes essais. Si c’était le cas, un traitement au souffre rendrait peut-être service. Si le semis a été effectué fin mai, la récolte a lieu en septembre lorsque les tiges jaunissent et que les petites siliques contenant des graines jaune rougeâtre se dessèchent. Le rendement est de 10 à 15 quintaux par hectare.
Culture en association
Associer la caméline à une autre culture est intéressant, nous l’avons dit, pour améliorer la maîtrise des adventices. Cela permet également de réaliser deux récoltes simultanément avec toutefois pour la caméline un rendement inférieur à celui obtenu en culture pure. Une possibilité est de semer un mélange caméline plus céréale de printemps. Choisissez de préférence l’orge ou le blé. L’association avec de l’avoine est possible également mais la caméline risque davantage d’être étouffée. Plusieurs manières d’associer la caméline avec la céréale sont envisageables. On peut semer les deux plantes ensemble si on dispose d’un semoir muni de deux trémies indépendantes. La première sème le blé ou l’orge en rang. La seconde doit déposer les graines de caméline entre les rangs de céréale très superficiellement. Elle peut également les laisser tomber sur le sol à la volée, derrière les organes d’enterrage de la première trémie et avant la herse d’enterrage si le semoir en possède une. On effectue ensuite un roulage si nécessaire, en cas de terre assez sèche et motteuse par exemple, pour que les petites graines de la caméline soient bien en contact avec le sol. Si le temps est pluvieux pendant plusieurs jours après le semis, le roulage (beau temps revenu) est souvent inutile. Cette manière d’opérer est excellente à condition que la deuxième trémie, celle où se trouve la caméline, soit munie d’un système de distribution réellement précis. Ce qui n’est pas toujours le cas, à voir selon des types de matériels. Une autre solution est d’installer les deux cultures séparément en gardant à l’esprit que la petite graine de la caméline doit être semée très superficiellement et placée en contact étroit avec la terre. Premièrement, semis de la céréale de la façon habituelle puis roulage si le sol est motteux, semis de la caméline avec tout système suffisamment précis (en lignes ou à la volée) puis si nécessaire nouveau roulage ou bien hersage très léger.
Les deux cultures peuvent être installées le même jour ou bien avec 4 ou 5 jours de décalage, la céréale d’abord, la caméline ensuite. Associer la caméline à une céréale de printemps oblige à la semer très tôt courant mars ou début avril en général dans la moitié nord de la France. Cela n’est sans doute pas idéal pour cette plante mais un semis plus tardif est risqué pour la céréale, surtout en année sèche, à chacun de voir selon sa situation. Dans tous les cas, semer la céréale plutôt clair. Si on a bien opéré, caméline et céréale mûrissent à peu près en même temps, la caméline souvent la première avec quelques jours d’avance sur la seconde.
La récolte ne pose pas de problème particulier. Lorsque la caméline est mûre, les graines sont libres dans leur capsule comme des billes dans un grelot. Réglez l’écartement du contre-batteur, la vitesse du batteur et les grilles de nettoyage pour la récolte de la céréale. Si votre machine est équipée d’un tarare qui permet un second nettoyage, placez-y la grille ou la tôle sans trous correspondant à la récolte des très petites graines comme le trèfle. Si vous utilisez une grille plus grosse par exemple celle correspondant au colza, une partie des graines de caméline se retrouve dans le sac situé en dessous, parmi les impuretés.
En cas de culture très propre, c’est évidemment une façon de récupérer au moins une partie de la caméline sans avoir à trier la récolte après moisson. Ce système de double nettoyage est excellent mais n’existe malheureusement à ma connaissance, que sur certains modèles anciens de moissonneuses batteuses.
Une fois la récolte effectuée, n’attendez pas pour séparer la caméline et la céréale sauf si le mélange est bien sec (moins de 13 ou 14% d’humidité). Repassez-la éventuellement dans le trieur pour enlever les impuretés. Sécher si nécessaire. La caméline peut être associée à des cultures de printemps autres que les céréales, par exemple le sarrasin, le pois protéagineux… les principes culturaux à respecter sont les mêmes en prenant en compte le fait que qu’il s’agit parfois comme dans le cas du sarrasin de plantes puissantes que l’on doit veiller à semer clair pour que la caméline ne soit pas trop concurrencée. Si la caméline et son associée sont installées par deux semis en lignes distinctes veuillez à les effectuer en les croisant pour que les rangs ne risquent pas de se superposer. De cette façon, elles occupent mieux le terrain.
Et les rendements ? Souvent peu différents d’une culture pure en ce qui concerne la céréale, très variable suivant les situations pour la caméline.
La caméline, la petite graine qui monte ?
Bien que très modeste en surface, la culture de la cameline semble se répandre. elle est de plus en plus présente chez des agriculteurs bio, en particulier dans les systèmes céréaliers. elle est le plus souvent cultivée en association avec d’autres cultures (lentilles, protéagineux…), car intéressante pour le rôle de tuteur qu’elle peut jouer et surtout pour son pouvoir concurrentiel : en occupant le terrain, elle limite le développement d’adventices indésirables. Certains la cultivent en pur, pour en valoriser l’huile si le débouché existe. Sa mise en place dans le système de culture doit être mûrement réfléchie : les possibilités de valorisation sont en effet très limitées (accès à une presse ; utilisation de l’huile à la ferme ; vente comme huile alimentaire - très peu répandue mais pourtant très riche en omégas 3…) et à prendre en compte face aux atouts qu’elle apporte dans la rotation. Trois producteurs de caméline en AB témoignent de leur expérience.
Mélange lentille caméline
Olivier R. (Val d’Oise) : 370 hectares en polyculture élevage
Adaptation de l’interview réalisée par Renan Maurice (CA 49), extraite de la fiche RMT « Diversifier les espèces : pour une meilleure gestion agronomique », en ligne dès septembre sur www.devab.org
Pourquoi avoir choisi cette
association ?
J’ai fait le choix d’intégrer dans la
rotation (quatre années de prairies
suivies de quatre années de cultures
plutôt céréalières) des légumineuses
à destination de l’alimentation humaine
plutôt par exemple que de la
féverole qui aurait été trop abondante
pour mon élevage alors que
la surface consacrée à l’élevage est
déjà très importante chez moi. J’ai
opté pour une diversification de l’assolement
en y introduisant des
oléagineux : tournesol, colza, lin
éventuellement. En légumineuses,
mon équipement me permettait de
produire de la lentille. Dans un premier
temps, les résultats ont été
mitigés : problèmes d’enherbement
et de tenue de la culture. En fin de
cycle, en cas d’été un peu humide,
on avait beaucoup d’égrenage et de
re-germination des lentilles tombées
au sol. L’idée est alors venue d’y associer
une plante qui puisse servir à
la fois de couverture pour limiter
l’enherbement et à la fois de tuteur.
J’ai essayé avec de la caméline, qui
marche bien, avec la difficulté de
trouver la bonne dose !
Que vaut le rendement comparé
à la lentille cultivée en pur ?
Les niveaux de rendement sont
très proches. Sachant que l’on
gagne en gestion du salissement
(pas de désherbage) et en facilité
de récolte, l’association se révèle
très intéressante. De plus elle
laisse des reliquats corrects, un
peu inférieurs à ceux d’un pois.
Quelle est sa place dans votre
rotation ? Comment écoulez-vous
les récoltes ?
L’association intervient généralement
en deuxième année de
rotation « céréalière », derrière un
blé (prairie-blé-lentille). Mais sa
culture n’est pas systématique. Ce
type de marché rencontrant vite
ses limites, il ne faut semer que si
l’on est sûr de vendre. C’est exactement
la même problématique
avec le sarrasin, le petit épeautre,
les kamuts…
La caméline ne pose pas de problème
car peut avoir plusieurs
utilisations : l’huile alimentaire
et éventuellement comme carburant,
pour améliorer l’autonomie
énergétique de l’exploitation.
Le tri des graines est-il facile ?
Je trie moi-même avec un calibreur
les graines de caméline qui
sont de la taille d’une graine de
luzerne.
Au niveau économique,
comment jugez-vous cette
culture ?
Mon choix est purement agronomique
à la base. J’ai l’habitude de
dire qu’on devrait raisonner les
choses au niveau de la rotation,
ou de la globalité de l’exploitation.
J’utilise de la semence
fermière pour la cameline ; la lentille
me coûte environ 200 €/ha
(semis à 100 kg/ha). Actuellement
on peut estimer le cours de la lentille
entre 500 et 600 €/t. C’est
peut-être moins rentable qu’un
maïs, mais à l’échelle de la rotation,
je suis persuadé qu’on ne
perd rien. Au global, ma ferme
tourne, c’est l’essentiel ».
En pur ou association pour un débouché alimentaire
Christian V. (Deux-Sèvres) : 120 hectares de cultures
Quelle surface de caméline
avez-vous ? Comment la cultivez-
vous ?
Cette année, j’ai semé sept hectares
de l’association lentilles caméline.
C’est la première fois que je cultive
la caméline en association.
Jusque là, je la semais en pur et la
vendais à la coopérative pour un
débouché comme huile alimentaire.
Les débouchés ne sont pas
garantis car cette huile n’est malheureusement
pas assez connue
des consommateurs alors qu’elle
est de très bonne qualité nutritionnelle.
En pur, le rendement est
d’environ 10 à 15 quintaux si
semée à 15 centimètres en plein.
Après un mois environ, pour que
le pivot de la plante soit assez solide,
je passais la herse étrille. Si je
renouvelle la culture en pur, je sèmerai
désormais à 30 centimètres
pour pouvoir passer la bineuse à
caméra dans un deuxième temps
si la culture apparaît sale. Je sème la caméline à 5kg/ha une
semaine avant la lentille en peu
en biais pour ne pas écraser les
rangs de lentilles. Tout est récolté
ensemble en juillet. Les graines
sont triées directement à la coop.
Quels sont les avantages de
cette culture ?
« La caméline est très facile à cultiver.
Elle mobilise peu de temps
le terrain contrairement au colza.
J’ai remarqué qu’elle attire les
auxiliaires. Je n’utilise pas d’engrais
même si un peu de compost
pourrait sûrement augmenter le
rendement. La caméline associée
à la lentille lui fournit un bon
tuteur, ce qui facilite la récolte.
Le tapis de chaume de lentille/caméline
qui reste après récolte fait
un bon couvert végétal. Laissé
sur place après un déchaumage
léger après récolte, l’association
fait un bon précédent pour une
céréale.
Maîtrise du salissement des parcelles avec la caméline
Gérard M. GAEC t. (Yonne) : 400 hectares de cultures en bio.
Vous pratiquez diverses
associations avec la caméline.
Pourquoi ?
Nous associons la caméline avec
de la lentille, du pois et de la féverole.
La nature favorise la diversité
des espèces en un même lieu. Elle
s’emploie à faire pousser des
plantes autres que celles que nous
souhaiterions alors aidons-la et
proposons-lui une diversité choisie
avec des espèces qui peuvent
être valorisées. La caméline est intéressante
dans ce cadre. En plus,
elle soutient les cultures principales,
couvre la terre à la place des
adventices et donc semble participer
à nettoyer les parcelles. Par
exemple, j’ai remarqué une diminution
significative des chardons.
Aussi, les pigeons occupés à picorer
la caméline dont la graine est
très petite s’intéressent moins aux
lentilles ou aux pois. La caméline
éloignerait peut-être aussi les
bruches. Nous n’avons pas assez
de recul pour confirmer ces observations
qui restent à valider avec
les prochaines campagnes. La caméline
est très facile et rapide à
trier, nous le faisons nous-mêmes
avec un séparateur rotatif.
L’impact de la cameline sur la culture
en place ne semble pas
pénalisante.
Quels sont vos débouchés ?
Nous aurons près de 100 hectares
de cultures en associations qui
peuvent nous donner près de 50
tonnes de caméline, ce qui est
considérable par rapport au marché
de niche que représente cette
culture. Notre caméline partait
pour l’Allemagne, mais ce marché
est désormais compromis.
Nous prévoyons d’acheter une
presse pour faire de l’huile qui
servira de carburant (en mélange
à 30% avec du gazole).