Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Les agriculteurs innovants

Pour la troisième année consécutive, l’AEI organise ses entretiens annuels. Comme les autres années, ces 2 jours de rencontre sont l’occasion de découvrir des innovations venu d’ici ou là, des écoles, des stations de recherches pilotés par des personnages en blouse ou en bottes. 2 jours de débat pour mettre en valeur ce qui demain pourrait nous être utile, ou après demain ???
- J’aurais le plaisir d’animer un atelier intitulé "relation entre un paysan-chercheur et un chercheur-paysan", qui donnera la parole à Jean Pierre Sarthou et Frédéric Thomas. Nous verrons sur cette atelier comment demain on pourrait imaginer une recherche appliquée au champ de l’agriculteur.

- Pleins d’autres agriculteurs viendront témoigner, je voudrais ici vous présenter un copain d’école que j’avais perdu de vue, mais les vers de terre nous ont rapproché !!! Laurent Farcy a organisé l’année dernière une journée BASE sur sa ferme et il m’a particulièrement impressionné sur la maitrise de la gestion de son exploitation. Son système est parfaitement cohérent, chaque stratégie est poussé au maximum avec un minimum de prise de risque, son système évolue doucement mais prudemment vers l’Agriculture de Conservation, tout est intensifié mais écologique, Laurent s’interdit par exemple l’investissement dans un système d’irrigation et adapte son assolement en fonction de la météo, un concentré de bon sens... Je vous met ci-dessous quelques notes de cette visite :

"Laurent , l’homme qui après avoir fait ruminer ses vaches, fait ruminer ses champs !!! "

580 000 litres de lait , 100 ha de culture, 2 UTH, pas d’irrigation, peu de parcelles autour des bâtiments Passage de 24 ha de maïs en période labour à 12 aujourd’hui avec la mise en place de l’AC. Arrêt du labour pour remettre de la vie dans les sols, afin d’avoir des plantes saines, et des animaux sains. Arrêt du labour en 2004, début des méteils et du sorgho. Suite à pas mal de réunion BASE, mise en place progressive des 3 piliers de l’AC :

==> arrêt du retournement des horizons et réduction du travail du sol, pas de possibilité de matos en cuma car les voisins sont en conventionnel, seul un Actisol est partagé avec la cuma, sinon bricolage avec une vieille Herse alternative en ne gardant que les dents devant les lignes du monograines, ou semis avec un vieux nodet derrière une herse rotative qui gratouille seulement, les socs du nodet étant relevé. Puis en 2006 Laurent investi seul dans un Aitchinson dans l’espoir de tout semer avec. C’est le seul investissement pour le passage à l’AC. L’actisol sert surtout après les récoltes de maïs ensilage, toutes les bennes ( des voisins ) n’ont pas forcément des pneus adapté pour le non-labour .

==> Mise en place d’une rotation longue avec le concept 2/2, il y a une trame sur 10 ans mais en fonction de la météo et des besoins de fourrage, l’opportunisme prend le dessus. De mémoire, voici la trame :
1 = Luzerne ( je ne sais pas comment elle est implanté, mais on verra par le suite qu’elle pourrait peut être implanté avec un colza associé ou dans un méteils d’été )
2 = Luzerne ( en général 4 coupe, il fauche le soir, le lendemain il regroupe les andains, presse et enrubanne. Pas de pré fanage pour garder le maximum de valeur alimentaire et garder les sucres ). La 4ème coupe est ensilé le même jour que le maïs ( 2 ensileuse , 1 au maïs et 1 en coupe direct sur la luzerne) . On retrouve donc dans le silo 1 m de maïs ensilage, 30 cm de luzerne puis 70 cm de sorgho au dessus. Ceci évite l’usage de conservateur, le sorgho au dessus évite les moisissures donc les butyriques, les jus sont récupéré par le maïs en dessous. La luzerne ensilé apporte la fibrositée que l’on ne retrouve pas dans l’enrubannage qui a fermenté, Laurent recherche avant tout une alimentation " fonctionnel et simple " plutôt que de superbes valeurs alimentaires mais des foie cyrosés.
3 = Un triticale est implanté dans la luzerne avec l’aitchinson. La luzerne est régulé chimiquement et permet de réduire la fertilisation de la céréale. La Paille récolté est donné en alimentation des génisses qui sont en ration sèche ( mélange de foin et paille de luzerne dans un bol mélangeur je crois)
4= seigle dans luzerne( Aitchinson Nikel pour réaliser cela ) - couvert je crois
5= Maïs ensilage ou sorgho ( sans irrigation , le maïs produit entre 6 et 10 t de MS ( on se rapproche d’un maïs épis ), le sorgho lui apporte un volume plus constant et grâce à l’absence d’irrigation, ne risque pas de verser. De plus, il rend la ration hyper appétante et apporte des sucres fermentescibles afin de limiter les risques d’acidoses.
6 = méteils d’automne ( triticale-féverole-pois-vesce- trèfle) - récolte du méteils en mai-juin ( coupe direct) puis semis d’un sorgho ou si temps sec, il décale et ressème en juillet un couvert dérobée genre avoine brésilienne+ trèfle, enrubannage en septembre puis les repousses servent de couvert ( en 2011 , le méteils d’hiver a été ensilé donnant environ 6 t.MS puis le méteils d’été à donné 2.8 t de MS en enrubannage ( 80 bottes pour 6 ha ) soit un total de presque 9 t pour une année de sécheresse, un maïs n’aurait peut être même pas levée. De plus , les intrants sont réduits au minimum ( pas de désherbage ). Les repousses d’avoine et trèfle serviront de couvert.
7 = Mais grain
8 =pois de printemps
9 = colza associé
10= blé semé dans colza encore vert Pour 100 ha , cela nous donne approximativement 20 ha de luzerne ( 10 ha ressemé tout les ans ), 10 ha triticale , 10 ha seigle, 15 ha Maïs ensilage, 10 ha méteils été + 10 ha méteils été en double récolte ( dont la moitié en sorgho ), 5 ha Maïs grain ( réserve tampon ) ,10 ha pois ( ou mélange triticale-pois récolté en grain puis séparé par le négoce), 10 ha colza , 10 ha blé .

==> Couverture permanente des sols avec des enchainements rapide et aucun retournement des horizons. Pour limiter le tassement lors des épandages d’effluents ( uniquement fumier, pas de lisier ) , Laurent fait murir son fumier en tas puis au bout de 6 mois, il le passe dans un vieux épandeur de 600 € en le mélangeant avec des fientes de volailles d’un voisin. Ceci lui donne un compost qu’il épand avec un table d’épandage sur 24 m afin de ne rouler que sur les passage de traitement, à raison de 10 à 15 t/ha, il préfère passer presque partout en petite quantité, quasiment toujours en végétation.

En 2011, il a crains le pire au mois de juin alors que les maïs faisait seulement 20 cm de haut, il a du semer ses sorgho à 10 cm de profondeur tellement ses sols étaient asséché.Par peur d’un manque de paille il a ramassé la paille de colza qui malgré tout permettra de faire la soudure et évitera à Laurent d’acheter de la paille, le mois d’aout fera explosé le méteil, la luzerne et les sorgho, l’année finira bien. Quand serait-il si 2 ou 3 ans avant il aurait investi dans l’irrigation comme ses voisins, avec les risque de pénurie d’eau que l’on nous annonce ??? Ce que je retiens de Laurent, c’est qu’il a mis en place un système opportuniste qui demande du flair, mais sans subventions et sans gros investissements, il a sécurisé, pérennisé l’alimentation de ses laitières qui représente 85 % de son chiffre d’affaire. Tout ceci avec moins d’intrants engagés donc moins de dépendance aux variations de cours du pétrole ou des engrais. En plus des 100 ha de cultures, il y a un peu de prairie ( 10 ou 20 ha ), un paddock pour les vaches sur laquelle des haies vont être ré-implanté afin de garder les vaches dehors le plus longtemps possible, plus des herbages pour les génisses sur laquelle Laurent fait du sur-semis avec l’Aitchinson de trèfle+légumineuse+ ??? tout les 3-4 ans quand la prairie est un peu fatigué, cela remplace le hersage que l’on fait contre les mousses ou pour aplanir . Aujourd’hui, alors que son système est en place, il projette d’investir dans un Strip till avec des voisins car la fertilisation localisé l’intéresse, mais il avoue à demi-mot que c’est surtout une porte d’entré pour créer un dynamique avec ses voisins afin de les inciter à évoluer vers l’AC. Ceci prouve toutefois qu’après de longues années de solitude,l’aspect des cultures, la performance de son troupeau ( 9 000 l ) font réfléchir son entourage, son comptable et même son banquier. Nous avons ici l’exemple parfais que la motivation est beaucoup plus performante que les subventions, le système demande encore a être calé et perfectionné, mais la prise de risque est quasi-nul, la progression progressive, et l’éleveur se retrouve aussi en forme que ses vaches, que demander de mieux...

J’oubli de dire que pour l’anecdote, Laurent m’a appelé vers le 20 septembre 2011 pour me dire que cette année ses couverts étaient superbes, il avait suivi nos conseils et les Biomax étaient tellement beau qu’il en était très fiers, sauf qu’il ignorait totalement comment il allait pouvoir semer dedans avec son semoir à dent. Il hésitait entre broyage, mulchage, roulage puis semis. Je lui ai conseillé de mettre un rouleau faca devant son tracteur afin de coucher le couvert dans le sens du semis. Ni une ni deux, Laurent à trouver une vieille herse alternative chez un voisin, a soudé du profilé en forme de T sur le rouleau tube, attelé cela à l’avant de son tracteur ( la herse à l’envers, 3ème point allongé afin que les dents ne touche pas ) , et le tour est joué. 200 € de ferraille, 1 journée de boulot et le rouleau faca est fonctionnel. Cette exemple résume assez bien le parcours de Laurent, il fonce et innove en permanence, sans le savoir il pratique l’AEI, Agriculture En Innovation . N’hésitez donc pas à venir soutenir ces agriculteurs qui délaisseront un peu leurs champs momentanément pour défendre notre cause, merci pour eux.

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Lettre de l’AEI n°14 (chut ...)

Ouest France du 26-10-2012

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