L’agriculture naturelle existe-t-elle ?

Masanobu Fukuoka écrit en préface de son livre l’agriculture naturelle : “L’idée fondamentale de l’agriculture naturelle est que la nature doit rester libre de toute ingérence et interventions humaines. Elle s’efforce de restaurer la nature détruite par le savoir et l’action de l’homme… » Il érige en principe de base que l’agriculture est « dérangée » par l’homme. Mais le principe même de l’agriculture n’est-il pas de nourrir les hommes ?

Définition de l’agriculture selon le Larousse : « ensemble des activités développées par l’homme, dans un milieu biologique et socio-économique donné, pour obtenir les produits végétaux et animaux qui lui sont utiles, en particulier ceux destinés à son alimentation ». Alors l’agriculture naturelle est une figure se style poétique, un oxymore ?

Combien d’hectolitres/ha pourrait produire une vigne sans intervention humaine ? Le simple fait d’exister est interventionniste et destructeur, nous sommes, par essence, des consommateurs de ressources. Ne parlons pas de notre propension à nous reproduire.

Nos ancêtres les bactéries, apparues il y a environ 4 milliard d’années, continuent de se multiplier, tentant inexorablement d’occuper le maximum d’espace et de milieu de vie. Tous les coups sont permis dans ce combat pour la vie, compétition pour les nutriments, pour occuper l’espace… Et la nature évolue, s’équilibre différemment, façonnée par ces luttes intestines... L’intervention de l’homme est-elle« naturelle » alors ?

Tentons de déculpabiliser l’agriculture avec un peu d’humanisme. Imaginons une agriculture avec moins d’intrants, sans travaux inutiles avec pour objectif de mieux nous nourrir, et plus longtemps.

Prenons pour exemple l’inoculation. Est-ce un acte contre-nature ? L’inoculation consiste à « injecter » dans un milieu un micro-organisme sélectionné et produit par l’homme. Depuis l’antiquité, l’humanité se sert de micro-organismes pour fermenter le jus de raisin, fabriquer nos aliments. Les bactéries lactiques qui fabriquent nos fromages proviennent originellement des sols avant de coloniser le rumen des vaches ! Et si nous les sélectionnions pour les inoculer.

L’agriculture sélectionne les végétaux et animaux pour nourrir les hommes. Les souches et les micro-organismes s’adaptent rapidement aux milieux, ils sont en quelques sortent déjà sélectionnés « naturellement » par nos interventions, la monoculture d’une espèce, l’épandage d’engrais ou de produits phytosanitaires… L’inoculation d’un milieu « naturel » est une intervention de l’homme (comme l’agriculture !!) visant à améliorer la productivité, limiter le risques de maladies. Louis Pasteur disait : « le microbe n’est rien, le terrain est tout ». La capacité qu’il a à se multiplier dans le milieu déterminera sa longévité et sa dynamique de population. La sélection d’une souche particulière serait alors un simple coup de pouce momentané à l’agriculture, à la nature ?

Il est illusoire de croire que l’inoculation d’un sol résoudra ad vitam aeternam les problèmes de minéralisation, de blocage d’éléments nutritifs dans un sol, de déséquilibres… L’inoculation des plantes par les symbioses peuvent demeurer pendant la durée de vie de la plante. Une bactérie rhizosphérique se sert des exsudats racinaires pour se nourrir et se fixer sur les racines, en contrepartie d’un bénéfice pour la plante (solubilisation du phosphore, chélation de minéraux…). Les champignons mycorhiziens prennent du sucre à la plante et permettent à la plante de mieux se nourrir. Le sol est un capital à respecter mais n’oublions pas la plante car c’est elle qui nous nourrit !