Édito du TCS 57 : à lire ici
Je vous recommande particulièrement la lecture du dossier de ce numéro 57 de TCS réalisé par Cécile Waligora avec la contribution de Jean-François Vian, enseignant chercheur à l’Isara de Lyon. Bien qu’il apporte de nombreux éléments et connaissances nouvelles sur ce milieu vivant qu’est le sol, c’est surtout la place centrale qu’il donne au végétal qui est remarquable. En fait, les plantes, déjà seule source d’énergie du vivant grâce à la photosynthèse, sont loin de subir leur milieu. Bien qu’immobiles, elles ont cependant développé de multiples moyens pour façonner leur environnement, l’adapter et l’organiser afin d’en tirer le meilleur profit tout en se protégeant si cela est nécessaire grâce à une myriade de protecteurs et défenseurs qu’elles nourrissent, encouragent et convoquent si besoin. Sous nos pieds, dans nos champs, il existe donc tout un monde de communication, d’échange et de lutte dont les vrais chefs d’orchestre sont les plantes.
Bien entendu, toutes ces fonctions et ces interactions, qui étaient depuis longtemps pressenties, nous sont dévoilées aujourd’hui grâce à des recherches récentes. Le monde souterrain et surtout les règles qui l’animent sont extrêmement complexes ce qui nous replace devant notre grande ignorance et repousse d’autant des notions trop simplistes comme celle de la « solution du sol » et surtout nos envies de maîtrise du vivant.
Si le milieu « sol » est encore mal connu et excessivement complexe, les relations qui animent l’organisation de la vie souterraine sont paradoxalement d’une grande logique et d’une extrême simplicité. On y retrouve en fait, comme dans tous les milieux vivants, les règles fondamentales de l’écologie issues de millénaires d’adaptation et d’évolution. En premier lieu, on peut citer la diversité qui est la clé de la résilience. Elle permet, en multipliant les options, d’assurer la survie d’une espèce ou plus largement de la vie quoi qu’il arrive. L’équilibre est le second fondement de cette machinerie bien huilée. Bien entendu, il existe des chaînes alimentaires, des proies et des prédateurs, une relation que l’on peut considérer négative. Cependant ramener au niveau de la dynamique des populations, le prédateur et/ ou le ravageur devient un élément positif exerçant, par sa sélection des individus non conformes, vieux ou malades, un impact positif sur les « proies ». À cette échelle, il devient donc un acteur fondamental du maintien et du développement de la vie.
Ces considérations nous renvoient à l’idée que nos cultures sont certainement les cibles d’attaques de ravageurs parce qu’elles sont malades et n’ont pas la possibilité de mettre en œuvre leur arsenal de défense naturel ; le milieu stérilisé par des pratiques agressives restant définitivement sourd. Ce même raisonnement doit nous aider à abandonner les concepts classiques d’éradication, de standardisation et d’homogénéisation qui sont, en fait, des approches contre-nature. Il sera tout aussi impossible de tenir éloigné un ravageur ou une maladie que de tenir un champ propre. Ni le travail du sol ni la chimie n’y parviendront et la nature apportera inévitablement la diversité que l’agriculteur aura refusé d’insérer dans son système : c’est pour cette raison que toutes les approches monolithiques développent rapidement des résistances ou des contournements. À titre d’exemple, le meilleur moyen de ne pas avoir d’adventices, c’est d’occuper l’espace vide avec une diversité de plantes comme nous savons le faire avec des couverts de type « biomax » ou depuis peu avec des cultures associées. Dans ce cas de figure, nous ne sommes plus en situation de lutte et de conflit mais plutôt dans une position de pilotage et d’accompagnement. Bien que la mise en œuvre soit plus complexe, les impacts moins rapides et plus diffus et bien qu’il faille souvent s’armer d’un peu de patience et de compassion, le concept est fort simple, efficace et durable.
Il ne faut pas non plus sombrer dans l’idéalisme et l’excès opposé. Même s’il s’agit d’une veille prairie, une parcelle agricole ne sera jamais un milieu et un écosystème vraiment naturel à partir du moment où l’homme a eu un impact et continue d’interférer. L’agriculteur, quelles que soient ses orientations et ses sensibilités, est contraint par des objectifs de production qui le conduiront toujours à imposer et à privilégier des espèces sur les populations indigènes et sauvages. Que l’on se rassure, orientés et différents, ce n’est pas pour cela que les écosystèmes d’une parcelle, d’une exploitation ou d’une microrégion doivent être moins vivants et moins diversifiés.
Bien au contraire, et vu que nous avons aujourd’hui les connaissances et les moyens pour produire plus de biomasse avec une plus grande variété de plantes dans le temps et dans l’espace, et ce, sans toucher le sol, nous avons la possibilité de développer plus de vie et plus de diversité dans les espaces agricoles.
Même si, pour les puristes et les naturalistes, cette orientation n’est pas non plus « naturelle », il me semble plus favorable de mettre en œuvre des pratiques qui encouragent la vie et qui vont dans le sens de la nature même si nous en profitons au final. C’est enfin cette plus grande compréhension du vivant et cette recherche de la meilleure harmonie avec la nature qui animent aujourd’hui les milieux TCS où les approches et les pratiques se sont énormément enrichies avec les couverts végétaux et dernièrement les associations nous mettant progressivement sur les chemins de l’agriculture écologiquement intensive.