Le glyphosate dans les grandes cultures et les herbages

F. Burkhalter et A. Chervet, Service phytosanitaire et Service de la protection des sols du canton de Berne ; Revue UFA - 7-8 2012

LE GLYPHOSATE est un herbicide qui joue un rôle important dans la lutte contre les adventices vivaces ainsi que pour faire place nette avant l’implantation d’une culture sans labour. Par une application ciblée, il est possible de réduire ses effets indésirables.

Les produits à base de glyphosate sont les produits phytosanitaires les plus utilisés. Ce genre de produit est particulièrement apprécié à cause de son large spectre d’efficacité et de son coût avantageux. Dans le commerce de détail, on trouve du glyphosate sous de nombreuses marques différentes. Le glyphosate est utilisé principalement en agriculture. Son autorisation de vente couvre également les applications en horticulture, dans les jardins familiaux ainsi que pour l’entretien des routes et des voies ferrées. Bien que la législation sur les substances dangereuses pour l’environnement prévoie l’interdiction de son application dans les zones sensibles (figure 1), on trouve régulièrement dans les eaux des teneurs en glyphosate et en AMPA qui dépassent les seuils de tolérance (l’AMPA est le principal métabolite du glyphosate ; il provient aussi de certains détergents).

Un dosage exagéré, une préparation inadéquate de la bouillie, une procédure de nettoyage du pulvérisateur et des emballages inappropriée peuvent être à l’origine de cet état de fait, notamment par l’écoulement direct d’eaux de lavage dans les eaux claires. Les résistances L’application répétée de glyphosate sur la même parcelle augmente le risque de sélection d’adventices résistantes. Au niveau mondial, on recense déjà plus de 20 espèces résistantes, liées entre autres à l’application systématique de ce produit sur des cultures OGM résistantes au glyphosate. En raison de l’utilisation relativement modeste du glyphosate dans l’agriculture suisse (applications avant récolte interdites), on n’a pas encore trouvé d’espèces résistantes. Par ailleurs, la législation sur le génie génétique interdit la culture de variétés résistantes au glyphosate en Suisse.

La formulation des herbicides à base de glyphosate réunit plusieurs composants : la matière active, le support (p. ex. l’isopropylamine) et des adjuvants. Ces derniers diffèrent d’un produit à l’autre et ne sont pas déclarés ; ils améliorent les propriétés techniques de la bouillie (p. ex. stabilité, limitation de la formation de mousse) ainsi que son effet mouillant, sa tenue sur les feuilles et sa capacité de pénétration.

Toxicité  : Les produits à base de glyphosate portent l’indication de danger « Dangereux pour l’environnement ». Les effets environnementaux indésirables dépendent dans une large mesure de la formulation choisie. Dans l’état actuel des connaissances, la matière active ne présente quasiment pas de risque de toxicité sur la faune par le fait que l’enzyme qui est inhibée ne se trouve que dans les cellules végétales (voir encadré vert en première page). En revanche, la toxicité de certains mouillants (p.ex. le POEA) sur des organismes aquatiques n’est pas exclue.

L’adsorption du glyphosate en sols sableux, calcaires ou humifères est plutôt lente ; elle est plus rapide en sols argileux, faiblement acides ou pauvres en humus, mais elle n’est jamais totale. Du phosphate disponible pour les plantes peut libérer du glyphosate de son site d’adsorption. Pour cette raison, il faudrait éviter tout apport de phosphates (engrais de ferme inclus) pendant au moins 10 jours après l’application de glyphosate.

Métabolisation  : Par température élevée en sol biologiquement actif, le glyphosate se décompose bien. En conditions défavorables, la décomposition est incomplète et il reste de l’AMPA comme métabolite. Ni le glyphosate ni l’AMPA ne doivent ruisseler ni s’infiltrer dans le sol et dans les canalisations (voir page au centre).

Mesures culturales : Les techniques culturales conventionnelles permettent généralement de maîtriser les adventices de manière suffisamment efficace pour pouvoir renoncer au glyphosate, par exemple : le labour ou le travail du sol avec une incorporation efficace des restes de plantes, le désherbage mécanique et /ou chimique dans la culture en place ou le déchaumage.

Autres solutions : Pour réduire partiellement, voire totalement l’utilisation de glyphosate aussi en système cultural sans labour, on peut optimiser la rotation des cultures et la gestion de l’interculture en :
- alternant régulièrement les cultures d’automne et de printemps ;
- semant des prairies temporaires pluriannuelles au lieu de cultures dérobées annuelles hivernantes ;
- mettant en place des engrais verts à fort pouvoir concurrentiel (non hivernants).

Combien faut-il de glyphosate dans un système cultural en semis direct ?

La parcelle « Oberacker », de l’INFORAMA Rütti à Zollikofen (BE), est utilisée pour expérimenter différentes stratégies visant à gérer un système cultural en semis direct sans recourir à des applications régulières de glyphosate.

Seule une mise en œuvre réfléchie des herbicides permet d’éviter tant l’apparition de mauvaises herbes résistantes que des effets indésirables sur l’environnement. L’utilisation fréquente du glyphosate, particulièrement en semis direct, est l’objet de discussions très critiques.

Trois séquences de rotation à l’Oberacker ont permis de conclure qu’une diminution de la fréquence des utilisations du glyphosate est réalisable pour autant que l’intégration de plusieurs facteurs assure une bonne maîtrise des mauvaises herbes. Il s’agit notamment de la rotation des cultures (alternance des céréales et des sarclées), du semis, dès la récolte finie, d’un engrais vert très concurrentiel et sensible au gel, d’une couverture permanente du sol, par une culture ou des résidus végétaux, dont la paille, et finalement, de l’utilisation ciblée d’herbicides sélectifs bien choisis (encadré et graphique 1).

Phase initiale 1994– 1999

Au cours de la première rotation de cultures, le désherbage a été réalisé par un traitement au glyphosate avant le semis dans 58% des cultures installées en semis direct. Le sarclage n’étant pas praticable dans ce système cultural, on a eu recours aux herbicides sélectifs de post-levée pour compléter le désherbage des cultures (graphique 1). Dans 17% des cultures en semis direct, le désherbage n’a été effectué qu’en post-levée, en particulier sur blé d’automne après betterave sucrière ou pomme de terre (2 interventions dans chaque cas). Le brassage de terre inhérent à la récolte de ces deux précédents culturaux justifiait cette manière de faire.

Dans le système cultural en labour classique, on n’a pas utilisé de glyphosate mais appliqué que des herbicides de post-levée dans 81 % des cas. Dans les deux systèmes culturaux, on a pu renoncer à tout herbicide sur semis de prairie temporaire (3x), sur pomme de terre (3x) et sur maïs d’ensilage (2x, mais seulement lorsqu’il succédait à 3 ans de prairie temporaire). Dans ces deux derniers cas, l’engrais vert ou la mauvaise herbe ont été maitrisés par voie thermique (brûleurs à gaz) ou mécanique (broyage). Par la suite, ces deux techniques ont été abandonnées à cause de leur coût énergétique.

Phase transitoire 2000– 2005

Pour cette seconde rotation, on a remplacé les pommes de terre par des légumineuses à graines, supprimé la prairie temporaire et renoncé au désherbage thermique ou mécanique. De ce fait, une culture sans herbicide devenait un cas exceptionnel, quel que soit le système cultural. Après la récolte de chaque culture principale et le broyage des pailles de céréale ou de pois, le sol a été immédiatement occupé par le semis d’un engrais vert (principalement des navettes ou des radis oléifères) ou par le semis de la culture principale suivante. Ainsi, à partir de l’année 2000, on a pu se limiter à une seule application d’herbicide sur orge d’automne après maïs d’ensilage (5x) ainsi que sur blé d’automne après betterave sucrière (3x), tant après semis direct que labour (graph 1). Pour 67 % des cultures en semis direct, on a appliqué du glyphosate avant le semis et un herbicide sélectif en post-levée, comme dans la rotation précédente.

Dans le système labouré, le désherbage reposait sur l’effet nettoyant de la charrue et sur l’action d’un herbicide de post-levée (83 % des cas). La présence de chiendent a parfois nécessité des application de glyphosate, aussi en système labouré (14%).

Phase de consolidation 2006–2011

Dans cette 3e rotation, le remplacement du seigle d’automne par la féverole a entraîné la suppression d’un engrais vert. De ce fait, il devenait nécessaire de trouver une solution pour réduire les quantités de glyphosate. A cet effet, on a eu recours à un engrais vert ayant une forte capacité de concurrence et qui soit sensible au gel. Ainsi, les utilisations de glyphosate ont pu être réduites de moitié par rapport à la rotation précédente, ne concernant plus que 33% des cas en semis direct (graph. 1). Les économies les plus importantes ont été réalisées entre le blé d’automne et une culture de printemps semée tôt : avant betterave sucrière par exemple, on n’en a pas eu besoin du tout et seulement une fois avant féverole.

Dans le système labouré, avec un travail du sol limité à 12 – 15 cm mais sans préparation du lit de semences avant le semis, l’utilisation de glyphosate est restée à un niveau bas (14 % des cas). Dans cette 3e rotation, aucune culture n’a pu être conduite sans utilisation d’herbicide, ceci dans les deux systèmes.

Regard sur les trois dernières années 2009– 2011

Une mise en œuvre méthodique de la stratégie de désherbage qui a été choisie a permis de réduire encore les utilisations de glyphosate en semis direct. Ainsi, ces utilisations atteignent 17% depuis 3 ans dans les deux systèmes (graphique 1) ; simultanément, les doses d’utilisation ont aussi pu être réduites (graphique 2). Les interventions au glyphosate se placent généralement entre légumineuse à graine et céréale d’automne. Malgré cette réduction, on utilise aujourd’hui pratiquement autant d’herbicides sélectifs en semis direct qu’en labour ; toutefois, deux cultures nécessitent un peu plus d’interventions en semis direct : le maïs (pas de substitut comparable à l’atrazine) ainsi que l’orge d’automne (lutte contre le gaillet).

Conclusion

Il est possible de pratiquer le semis direct en recourant à sensiblement moins de glyphosate. Il y a lieu, notamment, de prévoir une alternance systématique entre céréales et cultures sarclées. La fréquence des utilisations de glyphosate peut être réduite aux conditions suivantes : Une céréale d’automne suit immédiatement une culture de maïs, de pomme de terre ou de betterave sucrière bien désherbée ; Sitôt après la récolte des céréales bien désherbées, on sème :
- soit un engrais vert à forte capacité de concurrence et sensible au froid (photo 2) que l’on roule au stade floraison avant le semis tardif d’une culture de pois d’automne ou qu’on laisse geler pour semer ensuite de la féverole ou de la betterave sucrière au premier printemps,
- soit un engrais vert hivernant, à forte capacité de concurrence, que l’on détruit avec un broyeur dès que le maïs est semé.

On remplace la prairie temporaire de plusieurs années par des semis plus fréquents de dérobées à base de mélanges fourragers bisannuels. En général, il y a lieu de veiller à la prolifération de nouvelles mauvaises herbes à partir du bords des champs. Tout doit être mis en œuvre pour éviter de devoir effectuer des applications généralisées et répétées de glyphosate avec, pour conséquences, le risque d’apparition de résistances et le risque de polluer les eaux, quel que soit le système cultural.


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