Systerre : Ajuster ses pratiques grâce à des indicateurs

Lionel Jouy, ARVALIS-Institut du végétal ; Alain Tournier Chambre d’agriculture de l’Aisne - Perspectives Agricoles n°383 ; novembre 2011

Impossible d’améliorer ses pratiques sans se définir des objectifs à atteindre, donc savoir d’où l’on part. Pour ce faire, ARVALIS Institut du végétal a mis au point le logiciel Systerre, qui calcule les indicateurs de performance technique, économique et environnementale relatifs à l’exploitation. Cas concret avec la ferme de Jacques Hicter, située en Picardie.

Améliorer la conduite technico-économique de son exploitation, d’accord… Encore faut-il identifier où porter ses efforts. C’est pour objectiver les pratiques des agriculteurs qu’ARVALIS Institut du végétal a mis au point l’outil Systerre. Au travers d’indicateurs tant économiques, qu’environnementaux et techniques, il permet de comprendre les leviers à actionner pour « faire mieux ».

Exploitant en Picardie sur 318 ha, essentiellement en blé tendre, féverole de printemps, betterave et pomme de terre (fi gure 1), Jacques Hicter a eu recours au logiciel pour réfléchir à sa stratégie. La première étape du diagnostic a consisté à analyser les pratiques existantes. En quête permanente d’innovation, il a supprimé le labour depuis 1998 pour limiter les remontées de betteraves sauvage et implante toutes ses cultures en techniques simplifiées. Chasseur, il a également cherché à préserver la biodiversité sur son exploitation, en implantant haies et bandes enherbées entre les parcelles, jamais larges de plus de 150 mètres. Pour créer des effets de lisière favorables à la faune auxiliaire mais aussi pour limiter la pression parasitaire, il évite en plus de semer les mêmes cultures sur des parcelles proches.

Pas d’incidence du non labour sur l’IFT

Sur le plan technique, les indicateurs fournis par Systerre comme la surface par actif (127 ha/UTH), la puissance de traction à l’hectare (2,1 CV/ha) et le niveau de rendement (104 % de la moyenne régionale) en blé tendre s’avèrent dans les normes. Les autres se révèlent particulièrement performants. A 2 320 euros/ha, l’Ivan (Investissement valeur à neuf) de la ferme est relativement faible pour une exploitation comprenant betterave et pomme de terre… Cela parce que Jacques Hicter a choisi de déléguer cette dernière production à une entreprise. La consommation moyenne de carburant (71 l/ha) et le faible temps de traction (3 h/ha) s’expliquent quant à eux principalement par le choix de supprimer systématiquement le labour. Une décision qui aurait pu avoir une incidence sur l’IFT (Indice de fréquence de traitement) herbicide. Mais ce n’est pas le cas : à 1,4, il reste faible car l’agriculteur privilégie le déchaumage mécanique au glyphosate pendant l’interculture et alterne cultures d’automne et de printemps. Les premières ne couvrent que 49 % de la sole de l’exploitation.

Un bon positionnement sur le plan économique

Globalement, l’IFT de l’exploitation est faible : à 4,95, il n’atteint que 67 % de la moyenne picarde. Séparation des champs par des éléments topographiques, éloignement des parcelles portant des cultures identiques n’y sont pas pour rien. Le système de culture a également une faible dépendance à l’azote (129 kg N/ha) en raison de la forte proportion de féverole dans l’assolement (18 % contre 10 % habituellement). Ce qui a un impact positif sur la consommation d’énergie primaire.

Sur le plan économique, l’exploitation est également bien positionnée. Sur 2010, les prix moyens de vente des cultures ont été élevés (tableau 1). La marge brute, la marge nette et l’efficience des intrants atteignent donc de très bons niveaux. Même chose pour les coûts de production, compte tenu des rendements élevés, et de la maîtrise des charges, tant opérationnelles que de mécanisation.

La biodiversité favorisée

Les indicateurs environnementaux eux aussi se positionnent à de bons niveaux. La présence dans l’assolement de six cultures différentes associée à un aménagement des parcelles avec 8 ha en bandes enherbées et en haies favorise la biodiversité sur le territoire. Les pratiques de fertilisation azotée correspondent aux niveaux de rendement réalisé. Le solde du bilan azoté est négatif (- 3 kg N/ha/an), un résultat qui concoure à réduire le risque de lessivage. Au regard du niveau d’énergie brute produite (153 190 MJ/Ha), la consommation d’énergie primaire est modeste (13 230 MJ/ha). La faible dépendance du système de culture à l’azote explique ce résultat. Les émissions gaz à effet de serre sont quant à elles de 2,09 t éq. C02/ha, un niveau raisonnable.

Globalement, la conduite des cultures est optimisée, qu’il s’agisse de la date de semis, du choix variétal, de la fertilisation ou de la protection des cultures. La recherche du meilleur compromis économique (marge brute) entre le meilleur rendement et les charges d’intrants est de mise.

Supprimer le régulateur sur blé

Est-il possible pour cet exploitant d’aller plus loin ? L’analyse réalisée par Systerre a permis de quantifier les marges de manœuvre en blé tendre et en pomme de terre permises par des modifications d’itinéraire technique.

Premier scénario : supprimer systématiquement le régulateur sur blé tendre. La protection contre la verse offerte par ce produit peut paraître superflue sur cette culture compte tenu de la pratique de fertilisation (bilan azoté négatif). Le scénario intègre en conséquence une adaptation de l’itinéraire (date de semis retardée, variété et densité de semis adaptées) ainsi qu’un risque de perte de rendement de 0,3 t/ha. Second scénario : recourir aux outils d’aide à la décision (OAD) pour raisonner ce traitement antiverse en fonction de la date de semis, de la variété, du climat et de l’état de croissance en sortie hiver… mais aussi pour affi - ner la protection contre le mildiou en pomme de terre. Parce que cett e production est sous contrat en volume comme en qualité, le prestataire a tendance à surprotéger le tubercule en début de cycle. Dans le scénario n° 3, l’idée a consisté à maximiser la production de blé tendre (+0,5 t/ha), en testant une augmentation de 30 unités d’azote (compte tenu de la pratique actuelle sans doute légèrement limitante) et une protection renforcée contre les maladies sur blé.

Le recours aux OAD encouragé par les simulations

Résultat, l’emploi d’outils d’aide à la décision paie plus que la stratégie systématique (tableau 2). Les simulations montrent que le scénario n° 2 est le plus performant. Il réduit la dépendance aux produits phytosanitaires (IFT de 4,50 au lieu de 4,95) tout en améliorant la marge nette (754 contre 737 €/ha). Dans le cas du scénario n° 1 où le régulateur est supprimé systématiquement, le rendement du blé baisse. Ce qui provoque une augmentation du coût de production à 132 euros/t contre 128 euros/t initialement.

Si la dépendance aux produits phytosanitaires donc l’IFT diminue, production, compétitivité, marge nett e et production d’énergie se voient aussi réduites. Grâce à une meilleure protection et une fertilisation azotée plus forte, le scénario n° 3 augmente le rendement et la production d’énergie, ce qui améliore la compétitivité et la marge nette. Mais il augmente également la dépendance aux produits phytosanitaires ainsi que la consommation d’énergie et la production de gaz à effet de serre. Ce test sur les changements de pratique a permis à Jacques Hicter d’avancer : en 2010/2011, il a modifié sa conduite sur blé en utilisant le scénario n° 2 raisonner avec les OAD…


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