Les ouvriers du sol et les pratiques agricoles de conservation

Odette Ménard, conseillère en conservation des sols et de l’eau - 23 février 2005

Le ver de terre est le seul individu que je connaisse qui déteste aller à la pêche…

Je pense sincèrement qu’en choisissant un système agricole, il faut tenir compte de la vie de nos sols. Les vers de terre en sont probablement les meilleurs ambassadeurs. En les connaissant mieux, peut-être arriverons-nous à leur redonner la place et les responsabilités qu’ils savent si bien prendre.

Les vers de terre jouent un rôle essentiel dans nos sols

D’abord, il n’existe pas un ver de terre, mais de nombreuses espèces adaptées à des situations écologiques différentes. En les observant de plus près, vous remarquerez que leur taille, leur forme et leurs couleurs diffèrent. Mais toutes les espèces de vers de terre ont en commun la faculté de se nourrir principalement de déchets végétaux plus ou moins décomposés. Les vers de terre ne sont jamais des ravageurs et ne peuvent pas provoquer de dégâts aux cultures.

Les vers de terre que nous retrouvons dans nos champs appartiennent à trois groupes écologiques différents :

Les épigés, de petite taille, vivent près de la surface du sol. Ils se nourrissent de matières organiques fraîches et représentent 5 % de la biomasse des vers de terre du sol.
Les endogés, de taille moyenne, vivent dans les 20 premiers centimètres du sol. Ils se nourrissent de matière organique dispersée dans la partie minérale du sol et sont responsables des nombreuses galeries creusées horizontalement. Ils représentent de 20 à 40 % de la biomasse des vers de terre du sol.
Les anéciques, les gros, cherchent leur nourriture à la surface du sol et la distribuent dans tout le profil du sol grâce aux galeries verticales qu’ils creusent. Ils représentent 40 à 60 % de la biomasse des vers de terre du sol.

Les impacts des vers de terre sur la fertilité du sol sont nombreux :

1. Leurs nombreuses galeries permettent une meilleure infiltration de l’eau. 2. Les tunnels qu’ils creusent favorisent une meilleure aération du sol. 3. Ils sont capables de briser la semelle de labour. 4. Ils diminuent les zones de compaction. 5. Ils gèrent efficacement les matières organiques fraîches 6. Ils stimulent la croissance des plantes. 7. Les analyses de sol en sont améliorées. 8. Le pH est stabilisé. 9. Leur activité encourage la prolifération des microbes. 10. Et la structure des sols est grandement améliorée.

Les vers de terre et le travail du sol

Les vers de terre réalisent un travail souterrain capable de supplanter celui de la charrue. Leur rôle est largement reconnu depuis longtemps. En 1882, Darwin disait : « La charrue est une des inventions les plus anciennes et les plus importantes de l’homme, mais longtemps avant qu’elle n’existe, le sol était de fait labouré régulièrement par les vers de terre et il ne cessera jamais de l’être encore. »

Les vers de terre colonisent tous les étages du sol. Un des rôles les plus visibles du ver de terre est l’amélioration de la structure du sol. Les vers de terre ingèrent et digèrent le sol. Cette activité permet de brasser le sol, de fournir un espace de vie favorable aux micro-organismes et de disperser la matière organique et les organismes vivants dans tout le profil du sol.

Combinés aux résidus laissés à la surface du sol, les turricules et les amas d’éléments organiques, véritables garde-manger, limitent l’érosion et le ruissellement en diversifiant la surface du sol.

Un laboureur infatigable : les vers de terre mangent tout le temps quand ils ne sont pas en arrêt de travail pour cause de froid… Les quantités ingérées de litière et de terre transitant annuellement à travers leur tube varient entre 100 et 400 kg par kilogramme de biomasse vivante. Cette variation dépend de l’espèce de vers en question.

Ce brassage intime des matières organiques et minérales contribue fortement à la création et au maintien de la structure grumeleuse du sol. Lors de la digestion, les vers de terre épigés fragmentent les résidus végétaux pour que les anéciques les enfouissent.

Un draineur sous-estimé : grâce à leurs nombreuses galeries qui parcourent le sol dans tous les sens, les vers de terre améliorent aussi la macroporosité du sol. Ceci se traduit par une meilleure infiltration de l’eau dans le sol, moins de ruissellement, et aussi une meilleure exploration du sol par les racines.

Un facilitateur de la fertilité du sol : les vers de terre n’augmentent pas les éléments nutritifs, mais les rendent plus assimilables. La façon de mesurer l’amélioration du sol grâce à l’action des vers de terre diffère d’une étude à l’autre. Toutefois, ces études sont unanimes sur le fait que les vers de terre améliorent le sol.

Chose certaine, les vers de terre augmentent l’activité microbienne, un élément essentiel de la fertilité du sol. Le tableau suivant présente la composition des turricules de vers de terre et de la terre arable à différentes profondeurs. Ces données sont le résultat d’une étude menée par Lunt et Jacobson, Minnich en 1972.

Composition des turricules et de la terre arable à différentes profondeurs

Terre analysée Turricules 0-15 cm sol 20-40 cm sol
Azote global (%) 0,35 0,25 0,081
Carbone organique (%) 5,2 3,32 1,1
Rapport C/N 14,7 13,8 13,8
NO3 – N (mg/l) 22,0 4,7 1,7
P2O5 (mg/l) 150,0 20,8 8,3
pH 7,0 6,4 6,0
Humidité (%) 31,4 27,4 21,1

Un protecteur des cultures : parce qu’ils se nourrissent des résidus de cultures, les vers de terre en empêchent l’accumulation, réduisant ainsi la prolifération des ravageurs.

L’influence des pratiques agricoles sur la survie des vers de terre

La population des vers de terre varie selon la région, bien sûr, mais aussi selon les pratiques agricoles adoptées. La population des vers de terre est affectée d’abord par l’abondance de nourriture et ensuite par le positionnement de celle-ci. Plus les résidus sont enfouis, moins ils sont disponibles pour les vers de terre.

La règle est donc très simple. De la nourriture et en surface, s’il vous plaît.

Laisser les résidus en surface : les vers de terre viendront les chercher et seront dans un meilleur environnement pour les décomposer, un environnement aérobique, c’est-à-dire en présence d’oxygène. D’autant plus que l’humidité conservée en surface par la couverture de résidus favorise leur reproduction.

Favoriser les apports de matières organiques : les résidus de culture sans aucun doute, mais il ne faut pas négliger les engrais organiques.

Cette balance mesure la biomasse microbienne du sol sous différents systèmes de culture.

Dick Thompson est producteur agricole dans l’État de l’Iowa. Il participe depuis plusieurs années à différentes études sur les pratiques agricoles de conservation des sols. Il résume en quatre lignes la survie des vers de terre.

1. Donnez-leur toute la nourriture possible. 2. Laissez la nourriture sur le dessus de la table. 3. Gardez un toit au-dessus de leur tête (genre résidus…) 4. Laissez-les tranquilles !

Avez-vous déjà entendu ce vieux proverbe paysan ? « Dieu sait comment s’obtient la fertilité de la terre, et il en a confié le secret au vers de terre. »

Nous sommes dans un monde où les nouveaux défis sont de faire autant, sinon plus, avec moins, souvent beaucoup moins, d’intrants. Les gaz à effet de serre nous amènent à réfléchir sur notre consommation énergétique. Le développement durable veut nous voir adopter des pratiques qui permettront d’accroître la biodiversité.

En choisissant des pratiques agricoles de conservation qui préservent et encouragent le développement des populations de vers de terre dans nos champs, nous mettons toutes les chances de notre côté pour améliorer le potentiel de production de nos sols. Ces pratiques agricoles de conservation comprennent tout système qui permet de garder une couverture de 30 % de résidus et plus à la surface du sol, et ce, après semis. Elles comprennent aussi et sûrement des rotations à plusieurs cultures qui permettent une alimentation variée pour nos amis les vers de terre.


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