Echos du terrain - TCS n°64

Frédéric Thomas, Cécile Waligora, Matthieu Archambeaud, Nicolas Courtois, Sarah Singla, Victor Leforestier - TCS n°64 ; septembre/octobre 2011

PHILIPPE LION (INDRE-ET-LOIRE), LAURÉAT DU PREMIER PRIX DANS LA CATÉGORIE GRANDES CULTURES

Le jury du concours « Des ID plein la terre » d’Invivo Agro (un réseau de coopératives) vient de décerner le premier prix à notre ami Philippe Lion (Cf reportage du TCS n° 23 de mai/juin 2003) pour sa démarche « gestion de la fertilité des sols ». En effet, après avoir quitté la chambre d’agriculture, Philippe s’est concentré à mettre la théorie en pratique sur deux exploitations de 64 ha et 305 ha dont l’une est dans un périmètre de captage d’eau. C’est son recul de pédologue, la curiosité mais aussi les voyages à l’étranger avec son GDA, qui l’ont porté très tôt dans cette direction. Il a d’abord fait le choix du semis direct pour l’ensemble des cultures, associé à des rotations longues et une couverture des intercultures. En complément et depuis plus de quinze ans, il a mis en place des bandes enherbées en bordure des cours d’eau, pour limiter les risques de ruissellement et de pollution. L’originalité c’est qu’il les a reliées les unes aux autres afin de faciliter la circulation de la faune utile et en particulier les carabes. Plus récemment, il s’est orienté vers les cultures associées. C’est ainsi qu’en cultivant des légumineuses dans ses colzas, de la lentille et du fenugrec en l’occurrence, il a réduit la fertilisation azotée tout en se permettant de supprimer le désherbage antidicotylédones.

Aujourd’hui, et après près de vingt-cinq ans de recul, les résultats sont impressionnants. Les taux de MO par exemple, de certaines parcelle,s sont passés de 1,07 % à 2,76 % et la progression des rendements est presque identique. La démarche de Philippe Lion intègre une approche agronomique globale, animée par le souci de préserver et développer la fertilité de ses sols, mais aussi la qualité de l’eau et des cultures, tout en recherchant le meilleur ratio investissement/coût de production. Sa participation à ce concours s’inscrit également dans une volonté de transmettre son expérience. Le jury signale enfin qu’il a été particulièrement sensible à son expérience alors que la préservation et l’entretien de la fertilité des sols deviennent aujourd’hui des enjeux majeurs pour l’agriculture, mais aussi la société. Au-delà de cette récompense bien méritée, ce prix montre le virage que l’ensemble de l’agriculture est en train de prendre et le changement d’attitude vis-à-vis de l’agriculture de conservation dont nous pouvons nous réjouir. Comme le disait un agronome australien, Bill Crabtree : « Le progrès est d’abord nié, puis ardemment combattu, mais s’il est réel et cohérent, il finit toujours par s’imposer. »

Frédéric THOMAS

MULCH, LES LOMBRICS PRÉFÈRENT LE FUSARIUM

Les TCS et le semis direct ont longtemps été, et sont encore parfois, présentés comme des techniques favorisant la prolifération des différentes espèces de fusarium. Ces champignons se nourrissant des cultures ont la propriété d’émettre des toxines dangereuses pour la santé humaine et animale. Étant donné que la transmission d’une culture à l’autre se fait via les résidus du précédent, le retournement du sol a été présenté comme la solution puisque le labour isole la culture des pailles précédentes. Dans les faits, on s’est aperçu que cette isolation par le labour n’était pas si parfaite, bien que supérieure à ce que l’on pouvait observer en semis direct. Une équipe de chercheurs allemands de Brunswick (Elisabeth Oldenburg, Stefan Schrader, Friederike Wolfarth) vient de publier des résultats intéressants sur la relation entre les lombriciens et le fusarium. Un des rôles des vers de terre est en effet de consommer la litière ou mulch et de l’intégrer intimement à la matière organique du sol. Non seulement les espèces de lombrics étudiées (ver anécique L. terrestris, et ver endogé A. caliginosa) consomment le mulch et détruisent donc les champignons mais, en plus, ils consomment préférentiellement le fusarium (F. culmorum en l’occurrence) présent dans les pailles de blé ! Après deux semaines, L. terrestris avait consommé 98 % de la population de fusarium, tandis que son collègue endogé était moins efficace (puisque vivant dans le sol et ne remontant pas vers le mulch). Mieux, ces mêmes vers de terre ont permis d’éliminer par absorption 99 % des mycotoxines DON présentes dans les pailles de blé. Une des hypothèses de travail est que le mélange intime des résidus et des micro-organismes par le lombric conduit à une destruction des champignons pathogènes. Le mucus déposé par les vers sur les résidus lors de leurs déplacements semble également avoir un rôle d’activation de la microflore et accélérerait donc aussi la destruction des fusarium.

Cette étude confirme notre intuition et les nombreuses observations faites dans nos réseaux, ainsi que les études réalisées en France, en Allemagne et en Suisse. Le risque fusarium-mycotoxines est davantage lié à la vitesse de dégradation des résidus qu’à leur positionnement dans le sol. Il est ainsi logique dans les premières années de transition, d’assister à une accumulation des résidus et des problématiques qui leur sont liées (fusariose, limace, semis…) ; dans un premier temps, le broyage mécanique fin et les apports d’azote ou de lisier en surface accélèrent la décomposition et ont donc un effet favorable. Mais avec le temps et le développement de l’activité biologique, ce type d’étude montre que les vers de terre apportent une réponse naturelle à un problème qui ne l’est pas moins : il faut faire confiance à la nature qui n’a pas fini de nous surprendre.

Matthieu ARCHAMBEAUD

REPOUSSES DE COLZA, NOUVELLES APPROCHES

De manière classique, il est maintenant habituel de conserver les repousses de colza jusqu’à l’implantation de la céréale suivante. Cela permet la mise en place d’un couvert rapide et peu onéreux, tout en limitant le risque limaces. Celles-ci, habituées à la crucifère, oublient généralement la céréale naissante. Si cette approche est satisfaisante, des observations et des essais apportent des idées complémentaires, afin d’optimiser cette interculture relativement longue : 1) Si un léger déchaumage doit avoir lieu dans la rotation, c’est ici qu’il semble le plus judicieux. Tout en limitant fortement le nombre de pieds de colza pour leur permettre un développement complet et harmonieux, cette intervention peut agir comme faux semis (surtout des dicots récupérés avec le colza) mais aussi et surtout perturber les souris et les campagnols. 2) Pourquoi ne pas valoriser ce passage en positionnant quelques kg/ha de trèfle (incarnat ou Alexandrie) ou de vesce pour compléter le couvert, produire plus de biomasse et surtout fixer de l’azote lorsque le sol sera vidé ? Il est certainement possible d’aller chercher ainsi 20 à 30 kg de N/ha supplémentaires, introduire un peu de légumineuses dans des rotations étriquées et faciliter le démarrage et l’installation de la culture suivante. Dans le cas de la récolte de l’association colzavesce (photo de couverture du TCS n° 63), le mélange est déjà établi dès la récolte, sans passage supplémentaire. 3) Enfin, l’expérience de D. Guyot (Seine-et-Marne) montre qu’il est envisageable d’ajouter une légumineuse pérenne peu envahissante au départ avec les plantes associées (trèfle blanc, minette, lotier, luzerne, voire trèfle violet). Il s’agit peut-être d’une piste intéressante pour compléter le couvert post-récolte du colza, d’accompagner la céréale qui suit avec une légumineuse pérenne, voire d’implanter tout simplement un trèfle ou une luzerne.

Frédéric THOMAS

L’AGRICULTURE DE CONSERVATION À GENÈVE, PASSAGE AU SEMIS DIRECT

Bien que l’on associe Genève à une importante ville, Genève est également le nom d’un canton suisse entourant la ville et disposant d’une surface agricole de plus de dix mille hectares. Les grandes cultures sont majoritaires dans le paysage agricole genevois et côtoient la viticulture, le maraichage, l’élevage... Conscients de la proximité de la ville et donc des consommateurs, depuis une dizaine d’années, les agriculteurs cherchent de plus en plus à se diversifier (se reporter au dossier du TCS n° 55), ce qui nécessite de se libérer du temps. Pour cela, nombreux sont ceux qui ont abandonné la charrue au profit de multiples déchaumages. Après quelques années de recul et les premiers symptômes des « TCS intensifs » apparus, un groupe d’une quinzaine d’agriculteurs s’est lancé depuis deux ans dans le semis direct sous couvert. Soutenus par AgriGenève, la chambre d’agriculture genevoise, les exploitants se sont équipés en semoir et plusieurs exploitations ont été converties intégralement en semis direct sous couvert. Conscient que le chemin vers des sols vivants est long, un important travail de réflexion est mené pour avoir une vision globale sur le non-labour et ne pas se limiter uniquement au choix du matériel à utiliser.

Pour cela, le service technique de la chambre d’agriculture insiste sur des règles de base, telles que l’implantation systématique d’un couvert biomax directement après la moisson, la réflexion autour de la rotation, la modification des programmes de désherbage. Une attention particulière doit également être menée sur le choix des couverts végétaux en fonction du type d’interculture. Grâce à deux exploitants passionnés par l’agriculture de conservation, Jonathan Christin et Christophe Bosson, près de 6 ha d’essais de couverts végétaux sont en place depuis l’été 2010. Les photos du suivi des essais, ainsi qu’un guide sur les couverts, sont d’ailleurs disponibles sur le site Internet d’AgriGenève (www.agrigeneve.ch).

En dehors des essais, nous totalisons près de 500 ha de semis direct sous couvert répartis sur tout le canton. Pour un début en semis direct, les résultats des parcelles sont satisfaisants. Mais il est évident qu’il reste encore du travail à accomplir et des références à acquérir pour les années à venir. La gestion de l’azote et l’utilisation des légumineuses en interculture ou en culture associée sont des points importants à étudier pour obtenir des systèmes performants. Dans tous les cas, il est intéressant de percevoir la motivation et la remise en question qu’engendre dans le monde agricole le passage au semis direct.

Nicolas COURTOIS, AgriGenève

PARTIR À L’ÉTRANGER OSEZ L’EXPÉRIENCE NUFFIELD

Nuffield France est une organisation indépendante faisant la promotion du leadership agricole par le soutien individuel. Chaque année, une bourse est octroyée à un candidat sélectionné par un jury composé de représentants de l’association, de l’Apca et du sponsor Crédit Agricole, afin de parrainer une étude à l’étranger, attenante au secteur agricole. Un vaste réseau international s’ouvre ainsi au candidat pour réaliser son étude grâce au lien étroit de Nuffield France avec les associations Nuffield au Royaume-Uni, au Canada, en Irlande, en Australie, en Nouvelle- Zélande et aux Pays-Bas.

Le candidat est tenu de rendre compte de son étude et de l’utilisation de sa bourse par un rapport et une présentation. Au-delà, son appartenance au réseau international des Nuffield perdure et lui procure de réelles ouvertures sur les plans professionnels et humains.

Pour y participer : être agriculteur, avoir entre 25 et 40 ans, parler anglais et pouvoir se libérer quelques semaines dans l’année. Pour plus de renseignements : http://www.nuffieldscholar.org/

Sarah SINGLA

PARUTION, ENGRAIS VERTS ET FERTILITÉ DES SOLS (3E ÉDITION)

Ancien élève de l’Enita de Bordeaux, Joseph Pousset pratique l’agriculture biologique depuis plus de vingt ans sur son exploitation normande. Nous lui avions d’ailleurs consacré un reportage l’année passée dans le TCS n° 59 de septembre/octobre 2010. Il est aussi conseiller indépendant et conférencier.

L’agronome sort aujourd’hui la 3e édition de son ouvrage Engrais verts et fertilité de sols où, en 416 pages, il apporte un éclairage complet sur ce qu’est la fertilité d’un sol et comment l’obtenir et l’améliorer grâce aux engrais verts. Il explique comment les plantes se comportent via leur système racinaire et comment elles cherchent à améliorer leur milieu de vie à leur profit. L’auteur parle évidemment de rotation, et surtout de rotation culturale bien pensée, permettant une fertilité importante et une maîtrise de la flore adventice indésirable (J. Pousset consacre d’ailleurs un chapitre à la végétation spontanée). Les principales espèces de couvertures sont présentées, ainsi que des conseils d’installation du couvert et de sa destruction. Cet ouvrage est disponible en librairie et chez France agricole, au prix de 39 euros TTC.

AGROVIDEO, MAXI INNOVATIONS, MINI COÛTS DE PRODUCTION


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