À LA RECHERCHE DE LA VALEUR AJOUTÉE

Frédéric Thomas - TCS n°64 ; septembre/octobre 2011

Les temps changent et les conditions économiques évoluent très vite. Aujourd’hui, nous sommes définitivement passés d’une période de grande stabilité à une aire de grande volatilité, doublée d’une tendance haussière assez forte, que ce soit pour les denrées agricoles, mais aussi et surtout pour les intrants. Ces derniers possèdent par contre beaucoup d’inertie à la baisse lorsque le vent tourne. Même si l’on peut s’opposer à cette situation, exiger au niveau des échanges beaucoup plus de logique, de régularisation, voire d’éthique, il faut admettre que la raréfaction des ressources est maintenant un élément incontournable qui risque d’exacerber les tensions, et donc les fluctuations à l’avenir. Ce changement de contexte économique, sans tenir compte des exigences sociétales, va encore une fois fortement influencer et façonner l’agriculture, mais aussi et surtout les agriculteurs et leur comportement.

Pour nos grands-parents de l’après-guerre, c’était le travail qui était le pilier de leur activité et souvent la mesure de leur réussite. Généralement, c’est celui qui travaillait dur et faisait des heures qui s’en sortait bien. Il existait même une certaine culture de la pénibilité, souvent associée au travail de la terre. Témoin de ces temps passés, le « marnage », qui a donné « marner » et « labour », qui signifie encore « travail » dans la langue de Shakespeare. Ce terme a même donné son nom au « labour party » : les travaillistes.

Pour nos parents, c’est le capital qui a pris progressivement le dessus. Les hectares, le nombre d’animaux et le chiffre d’affaires sont devenus les critères de réussite, et l’économie d’échelle le moyen de conserver et développer le revenu. Grâce aux intrants bon marché utilisables sans limite et à l’externalisation des modes de production, les rendements ont fortement progressé et se sont imposés comme les références. En d’autres termes, les règles étaient simples : plus on produisait, plus on gagnait.

Depuis les années 1990, avec une pression environnementale croissante, l’érosion des marchés et la hausse régulière des charges nous ont lentement fait basculer dans une approche de réduction des coûts. C’est d’ailleurs ce changement de cap qui a initié et a permis l’émergence et le développement des TCS et du SD.

Cependant, et depuis l’automne 2007, avec l’envolée des prix et l’émergence d’une grande volatilité sur tous les marchés, la donne a fondamentalement changé. Prévisions, marges brutes et l’ensemble des repères classiques ont volé en éclats. La taille du tracteur devient de moins en moins un critère économique judicieux, mais une certaine forme de statut social, comme le rendement d’ailleurs. Cependant, au milieu de cette grande confusion, c’est la notion de valeur ajoutée qui est en train de s’imposer, comme l’axe économique clé des exploitations agricoles d’aujourd’hui, mais surtout de demain. C’est une notion beaucoup plus complexe à appréhender, mais dans un environnement avec des prix élevés et de surcroît très fluctuants, elle est la plus judicieuse. En fait, elle permet de faire passer le débat de « Combien je produis » à « Comment je produis », avec une véritable approche coût de production globale (coût à la tonne). Si aujourd’hui les différences sont déjà importantes pour des produits aussi basiques que le blé, la viande ou le lait, indépendamment de la taille des exploitations, elles risquent de s’amplifier à l’avenir.

Pour dégager une bonne valeur ajoutée, il faut être et chercher à rester le plus sobre possible, que ce soit sur le plan de la mécanisation, des engrais, et entre autres de l’azote, mais également des produits phytosanitaires. Si à ce niveau la simplification du travail du sol apporte déjà beaucoup, il faut absolument investir dans les autres étages de l’AC et développer des couverts végétaux producteurs de fertilité, tout comme une approche système, pour encore mieux maîtriser l’ensemble des coûts de production. Nous devons également continuer d’explorer la voie des associations de cultures, à l’instar du colza où les marges de progrès et d’économies sont encore énormes et insoupçonnées. Réduire drastiquement les coûts de production pour une activité comme l’agriculture, qui ne peut pas répercuter les hausses de charges sur ses prix de vente, est de plus un paramètre clé en matière de sécurité économique. C’est le seul moyen de faire face sereinement à un retournement de situation brutal dans ce monde changeant rapidement, tout comme de marger dans le cas contraire. En d’autres termes, une augmentation forte du prix des intrants sera toujours beaucoup moins impactante en euros/ha ou en euros/t, lorsque la consommation reste faible, voire inexistante. À ce titre, le TCSiste bien avancé d’aujourd’hui dépense autant en carburant (40 à 60 euros/ha) que le laboureur d’il y a dix ans, mais plus de moitié moins que le laboureur d’aujourd’hui (90 à 150 euros/ha). Cette économie, qui est loin de prendre en compte le poste mécanisation dans son ensemble, représente cependant une marge de 10 euros/t pour un rendement moyen de 7 t/ha : un coût de production à ne plus vraiment négliger.

Pour dégager une bonne valeur ajoutée, il faut aussi aller chercher les derniers quintaux ou tonnes sans vraiment dépenser plus, mais en apportant beaucoup de précisions avec des pratiques comme le strip-till, la localisation de la fertilisation ou le meilleur calage des apports nutritifs à la parcelle et à la culture. Ici, nous ne sommes plus dans une réduction absolue des coûts, mais dans des substitutions habiles et des optimisations. À ce niveau, toutes les dérobées, secondes cultures ou cultures relais deviennent aussi extrêmement efficaces en diluant une grande partie des charges de structure dans un produit supplémentaire, sans vraiment de surcoûts, puisqu’elles remplacent souvent un couvert sans risque pour le sol, son autofertilité et l’environnement. Bien au contraire.

Ainsi, ce bouleversement socio-économique va encore induire des changements dans le métier d’agriculteur. De travailleur à gestionnaire de capital, celui-ci va enfin accéder au statut de chef d’entreprise. Le coeur de son activité ne sera plus le temps passé sur son tracteur ou la gestion financière de son exploitation, des fonctions qui resteront tout de même indispensables, mais la recherche de nouvelles solutions et d’efficience. Ces nouveaux agriculteurs devront consacrer beaucoup de temps à observer, tester et mesurer dans leurs champs et leurs élevages pour décider. Ils devront allouer un vrai budget à l’activité recherche et développement et non attendre des solutions toutes faites et forcément biaisées et coûteuses de l’extérieur. Ils devront également s’informer, se former, afin de comprendre la complexité des interactions qui gèrent les équilibres de leurs agroécosystèmes pour mieux les piloter. Ils devront enfin intensifier les échanges avec leurs collègues et la recherche afin de multiplier les références, stimuler la créativité et surtout valider rapidement les innovations.

Même si l’avenir nous paraît toujours incertain, il recèle d’opportunités qu’il nous appartient de concrétiser. En agriculture, il risque bien de repositionner l’homme et sa connaissance du vivant et de l’écologie comme le pilier des systèmes de production performants de demain. C’est plutôt une chance pour la nature, mais aussi pour bon nombre de TCSistes qui sont déjà bien engagés dans cette direction.


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