Jeudi 27 octobre 2011
Philippe Jacquemin

Philippe Jacquemin est agriculteur en Champagne depuis 14 ans dont 10 en TCS et traitement bas volume. Il a été formateur durant 7 ans en agriculture et environnement. Passionné de photo, de nature et de voyage, il nous fait partager sa vision de l’agriculture.

Du sucre dans le pulvé ?

Philippe Jacquemin

Pyrale du maïs (Ostrinia nubilalis) - ©entomart - http://www.entomart.be

Le sucre du café bientôt en application dans les parcelles pour lutter contre les bio-aggresseurs des cultures. Loin d’être une boutade ou une brève de comptoir le sucre notamment le saccharose à des vertus extrêmement intéressantes en pulvérisation à très faible dose contre les insectes, nématodes voire champignons pathogènes de nos cultures. Les sucres appliqués en infra-dose de l’ordre de 10 ppm (soit 1g/100L) à 0,1ppm sur le maïs contre la pyrale Ostrinia nubilalis a un effet sur l’insecte en perturbant les récepteurs sensoriels situés sur les pattes et l’oviducte. Les quantités et la nature des sucres sur la surface des feuilles sont des signaux pour la pyrale. Ces éléments (les sucres) jouent donc un rôle sur le choix des plantes, le site de la plante et sur l’intensité de la ponte. Il est observé par l’INRA de Versailles, les effets des différents sucres sur différentes variétés des maïs. De l’ensemble des essais et résultats quelques pistes intéressantes émergent. Le fructose fonctionne le mieux et à faible dose 0,1ppm soit 1g pour 1000 litres d’eau. Cette dose permet une réduction de 40% de ponte chez la pyrale. Par contre il faut 10 ppm de saccharose pour obtenir le même résultat et le glucose quant à lui ne fonctionne pas. Les sucres sont à utiliser de préférence tôt le matin, sur tout ou partie de la plante ; l’effet est systémique, et dans un laps de temps assez court (une heure tout au plus). Les sucres sont miscibles (peuvent se mélanger avec les produits phytopharmaceutiques classiques). Concernant le maïs, il faudrait d’après les premiers résultats appliquer les sucres au stade végétatif où l’effet réducteur sur les pontes est le plus manifeste. Au stade reproducteur il semble surtout entraîner un effet de délocalisation des pontes sur la plante. La fréquence des traitements serait tous les 20 jours.

Ces constats sur la pyrale ont été faites chez d’insectes sur d’autres plantes. Le Scottish Crop Research Institude (SCRI) travail aussi sur l’impacte des sucres végétale sur les ravageurs des cultures. A 1 ppm de saccharose, tôt le matin par pulvérisation foliaire ou par arrosage du sol, on induit une résistance systémique de la plantule des tomates au nématode Meloidogyne javanica : jusqu’à 60% de galles en moins sur les racines. De même avec le nématode à kystes de la pomme de terre globodera rostochiensis : après dix semaines de pulvérisation foliaire, le développement des galles et kystes et le nombre d’œufs étaient réduits par un sucre le DMDP (une molécule extraite de la fève du Costa Rica analogue au fructose). Cette dernière agit en bloquant la perception du nématode.

Le centre Volcani d’Israël étudie des méthodes de lutte biologique et culturales. Il a étudié l’effet du saccharose pulvérisé avant la contamination foliaire (sous serre) de la tomate par le Botrytis cinerea. Les résultats montrent que les doses de 1 et 100ppm de saccharose déposées avant l’infection réduisent les lésions de 63 et 100% respectivement par rapport aux lésions maximales observées sur les témoins.

Des études en vergers pommiers dans différents pays de l’UE (sud de la France, Italie, Grèce) contre la carpocapse durant 4 ans ont démontrés des effets sur le ravageur. Quels que soient les nivaux d’infestation le saccharose seul a une efficacité positive sur les dégâts sur fruits à la récolte comprise en 19,5% et 63,3% avec une moyenne autour de 40,6%. Des essais similaires effectués en Algérie sur deux variétés de pommes sur deux sites avec une solution de 100 ppm de saccharose ont démontré des résultats assez proches des pays européens. Mais certaines variétés ne montrent aucun effet.

Les mécanismes impliqués sont complexes et se manifestent, avant l’attaque, par la reconnaissance de l’hôte par l’agresseur et semble agir par les réseaux de défenses des plantes. Bien sûr le ou les sucre(s) précité(s) ne serai(ent) être la solution miracle et l’alternative aux insecticides mais plutôt comme un moyen supplémentaire et/ou complémentaire dans la stratégie de lutte contre les ravageurs des cultures en limitant les populations en amont. Les sucres abaissent les taux de populations des bio- agresseurs à des seuils plus faciles pour les auxiliaires, ou, plus intéressant en lutte intégrée ou en agriculture biologique. Mais on ne peut totalement exclure des effets favorisant d’autres bio-agresseurs ou défavorisant des auxiliaires. Le mode d’action de la pulvérisation des sucres demande également un peu plus d’étude car l’heure et les conditions météo joue un rôle important. Les perspectives ouvertes par les sucres sont importantes et pleines de promesses pour le monde agricole.

Sources : Phytoma janvier 2011- N°640.