GAEC URSULE - VENDÉE TCS, DIVERSITÉ ET AUTONOMIE

Matthieu Archambeaud - TCS n°63 ; juin / juillet / août 2011

Fondé en 1983 par Jacques et Pierrette Morineau et Christian Gautier, le Gaec Ursule est situé en Vendée sur la commune de Chantonnay. Les 260 ha de terres cultivées font vivre aujourd’hui quatre associés et deux salariés qui y produisent en bio depuis 1998, des céréales, du lait, de l’huile et du poulet. La surface par personne, approximativement de 40 ha, n’a pas varié depuis les débuts du Gaec, mais permet à chacun de vivre dignement grâce à une recherche d’autonomie et de valorisation poussée : le revenu est estimé à 30 000 à 50 000 euros par associé avec un EBE de 50 000 à 60 000 euros. La diversification des cultures et des productions est voulue comme un facteur de stabilité économique et agronomique.

Des rotations longues sur base de prairie

Les terres du Gaec sont en grande partie des sols argilocalcaires superficiels ou plus profonds (15 cm à 1 m de sol), limono-argileux à très argileux qui recevront des plantes différentes en fonction de leur résistance ou non à la sécheresse. 40 à 50 ha sont des terres d’argiles jaunes sur schistes. Le schéma de base de la rotation est une prairie temporaire de trois à sept ans à base de légumineuses et de graminées, suivie par au moins trois à quatre ans de cultures.

En fonction des sols et de la position des parcelles par rapport au siège de l’exploitation, la mise en oeuvre diffère. Dans la partie centrale pâturée, la base est une prairie de cinq à sept ans, composée de trèfles (blanc, violet et/ ou hybride en fonction de la nature des sols) et de lotier assez résistant au pâturage, contrairement à la luzerne, et beaucoup plus précoce. La partie graminée est composée de fétuque des prés, de dactyle et de RGA. Viennent ensuite deux céréales d’hiver, suivies de deux cultures de printemps (deux maïs ou maïs/tournesol).

Sur les groies superficielles, l’adaptation à la sécheresse est indispensable et la prairie pâturée ou fauchée est donc constituée de luzerne méditerranéenne et/ou de sainfoin, associée à du trèfle et quelques graminées (dactyle, RGH). La luzerne méditerranéenne est précoce, bien adaptée au sec et sans zéro végétatif mais plus sensible au gel. Les luzernes sont pâturées, mais avec précaution, « à l’heure s’il le faut », puisqu’une vache peut ingérer la moitié de sa ration en 2 à 3 heures avant de retourner à l’auge pour le restant. Pour la rotation, dès que la luzerne est présente le principe est le suivant : « Le nombre d’années en culture doit être au moins le même que l’âge de la luzernière. » Les cultures sont des céréales, des mélanges céréales-légumineuses, ou du tournesol. Deux ans de céréales peuvent être remplacés par du sainfoin.

Les îlots éloignés sont fauchés et reçoivent des prairies à base de luzerne, trèfle, dactyle et RGH, y compris sur les sols sur schistes (seule l’hydromorphie est rédhibitoire pour la luzerne). Le mélange type est 70 % de luzerne et 30 % de graminées, le dactyle étant là pour boucher les trous. Le trèfle disparaît assez rapidement, mais permet tout de même un accroissement de la production de 50 % la première année en attendant que la luzerne prenne le relais. La période de prairie est beaucoup plus courte (trois à quatre ans) et elle est suivie de six à huit ans de cultures ; par exemple blé/ triticale/maïs/féverole/blé/ tournesol/blé ou mélange céréale- protéagineux.

Petites parcelles et rotation 2/2

En ce qui concerne les cultures, la rotation n’est pas fixée pour éviter que la nature s’adapte et que la maîtrise du salissement dérape. Les principes de base sont d’alterner les quatre types de cultures en fonction de leur date d’implantation : colza en été, blé et mélange céréalier en automne, féverole en début d’hiver et orge en fin d’hiver, et, enfin, avoine/pois protéagineux, féverole, maïs et tournesol au printemps. Les alternances hiver/printemps sont essentielles et l’objectif est d’avoir une répartition à 50/50 de chaque type, soit alternée (type 1/1) soit en double alternance (type 2/2) si un problème de salissement apparaît.

Le deuxième principe est la répartition de l’assolement qui est au moins aussi important que la rotation : la taille des parcelles n’excède pas les 6 à 8 ha, ce qui permet de multiplier les cultures dans le paysage et de casser les cycles des maladies et ravageurs. Pour améliorer encore l’effet de rupture, 40 km de haies ont été conservées ou plantées (18 km) entre les parcelles. Lorsque cela est nécessaire, des bandes enherbées pérennes fleuries de 3 m sont semées pour héberger des auxiliaires. Enfin, 10 ha de prairie sont conduits en agroforesterie avec des peupliers pour servir de « stabulation d’été », sachant qu’à partir de 35 °C, sans ombre, la production laitière est nulle. Globalement, la conduite agroécologique des parcelles maintient un bon équilibre ravageurs/auxiliaires : les limaces ne sont un problème que sur colza qui reçoit dans ce cas de l’orthophosphate de fer ; les coccinelles et les carabes parcourent les blocs et vont de la luzerne en automne, vers la féverole, puis vers les céréales avant de finir dans les tournesols et les maïs. Dans la même logique, toutes les cultures sont associées, sauf le blé qui est valorisé en blé meunier. L’orge d’hiver est associée à du pois d’hiver, l’orge de printemps à du pois de printemps (25 à 30 kg/ha de pois au maximum) ; la féverole et le pois sont associés avec 25 % d’orge d’hiver ou de blé (90 à 100 % de la dose de protéagineux + 25 kg/ha de céréale). Au sein de chaque espèce, le maximum de variétés est associé pour accroître encore la biodiversité et la morphologie des mélanges (7 variétés de triticale ou de blé par exemple).

Labour superficiel, semis direct et couverts végétaux

Le Gaec était en TCS avant de passer en bio, mais est revenu au labour depuis, essentiellement pour des raisons de gestion des adventices. Cependant, la charrue a été modifiée pour ne labourer qu’à 11-13 cm et bénéficier ainsi de l’effet de retournement complet en réduisant l’impact du travail du sol (la profondeur peut être de 17 cm si la parcelle connaît un problème de vulpin). La solution n’est cependant pas entièrement satisfaisante pour Jacques Morineau qui estime que le retournement de la prairie à base de légumineuses avant céréale peut induire des pertes d’azote à l’automne par lessivage, par rapport à un retournement de printemps suivi d’un maïs par exemple. Mais le risque taupin dans cette succession est trop important pour que le Gaec se l’autorise. La seconde céréale puis le maïs sont implantés en TCS après une préparation par plusieurs passages de chisel ; un second labour intervient avant féverole pour garder la main sur le salissement. Le retour à la prairie s’effectue par un semis direct sous couvert de céréale de printemps ou d’hiver grâce à un semoir à céréales modifié  : la prairie s’implante tranquillement au printemps dans la céréale avant de démarrer vraiment à l’automne suivant.

Les semences sont épandues à la volée par des socs équipés d’éclateurs de flux et une herse à l’arrière permet de faciliter le contact sol-graine et de faire un peu de terre fine. Une fissuration est positionnée avant féverole ou prairie si le besoin s’en fait sentir. De manière générale, les prairies de longue durée, l’alternance de cultures différentes, le caractère aléatoire de la rotation et des interventions mécaniques différentes permettent une bonne gestion globale des adventices. Le désherbage mécanique fait également partie de la stratégie dans les cultures de printemps : la herse en pré-levée, la houe entre 1,5 et 2,5 feuilles, puis un à deux passages de herse si nécessaire à une semaine d’intervalle. Une bineuse équipée d’un oeil optique assure la suite en deux passages sur maïs et tournesol ; elle est également utilisée dans le colza et les blés qui sont semés à 24 cm d’écartement.

Les chardons, rumex et la folle avoine des bordures sont arrachés à la main avant qu’ils ne colonisent les parcelles. Pour J. Morineau, l’association de tournesol et de sarrasin est aussi propre qu’un tournesol biné, mais le problème est la concurrence pour l’eau. Le mélange de graines se trie bien par triage alvéolaire mais le Gaec ne sépare pas le tournesol du sarrasin et préfère presser les deux simultanément  : le rendement en huile est identique, la qualité préservée et permet d’obtenir un tourteau de tournesol-sarrasin de qualité. Un essai de maïs associé au sarrasin sera tenté prochainement. Le déchaumage intensif d’été derrière céréale a été abandonné au profit d’un faux-semis, suivi de l’implantation de couverts d’interculture : de la moutarde et de l’avoine sont semées fin août-début septembre avant les cultures de printemps dans les terres argileuses  ; le seigle est réservé aux terres limoneuses. Le couvert est implanté après un fauxsemis dont le premier passage réalisé au maximum 48 heures après la moisson pour profiter de l’humidité résiduelle et le second, quinze jours plus tard aux environs du 1er août. Dans le cas où la culture de printemps qui suit est implantée sans labour, le chisel est passé dans le couvert en janvier sur sol gelé, puis en mars ou en avril. La moutarde permet d’introduire une crucifère, plante peu présente dans la rotation et structurante, tandis que l’avoine permet de lutter contre la folle avoine.

Autonomie, approche système cohérente, prix de vente sécurisé, marché de niche = valeur ajoutée maximale

La diversité des cultures (25 espèces cultivées) n’a pas pour unique but la stabilité agronomique et écologique de la ferme. La sécurité économique repose elle-même sur la diversité des productions : production laitière, vente de céréale et de blé meunier, transformation du colza et du tournesol en huile filtrée embouteillée et vendue sur place, vente directe de volaille. Tous les mélanges sont triés au trieur alvéolaire, ce qui permet de les nettoyer (les vesces sauvages sont éliminées de cette façon), de séparer les mélanges pour les ressemer à la dose voulue. Même le blé meunier est trié pour être vendu à 410 euros/t, les grains cassés servant à l’alimentation des animaux (de plus le coût de séchage est divisé par deux avec l’élimination des petits grains qui bouchent les grilles du séchoir).

La recherche de l’autonomie maximale fait également partie de la politique du Gaec : les fumiers sont apportés sur toutes les parcelles, y compris les plus éloignées, et du lisier est apporté au printemps sur les pâtures et les luzernes de troisième année (20-30 kg/ ha d’azote) pour relancer la pousse. Du compost issu de déchets verts récupérés est également apporté sur les cultures. Le seul point faible est l’apport d’azote sur blé au printemps qui permettrait sans doute de faire mieux ; mais les rendements atteignent 80 % des rendements conventionnels du secteur et font beaucoup mieux les années sèches (la production d’herbe est de toute façon supérieure à celle des systèmes conventionnels). Toutes les semences sont produites à la ferme ; le Gaec estime qu’il réalise ainsi une économie de 30 000 euros/ an sur le principal intrant de l’exploitation en dehors de la mécanisation. Avec une valorisation forte et de bons rendements d’un côté et des coûts de production très faibles de l’autre : le revenu des associés est garanti et stable sur une surface qui peut sembler faible de prime abord.

Les animaux valorisent des hectares et non du concentré Le troupeau permet de valoriser les prairies et les « mauvais hectares et non du concentré » : l’objectif est de 6 500 l/an par vache avec une bête et sa suite à l’hectare. La logique économique prime : 20 têtes ont été supprimées sans baisse de la marge brute, en évitant simplement de construire un nouveau bâtiment. Le troupeau est nourri sur les pâtures, avec des ensilages de maïs et d’herbe à 50 % de MS, conservés avec des copeaux de châtaignier (Protensil) ; du foin et de affouragement en vert sont également apportés dans la ration ; l’enrubannage est réduit au maximum pour éviter l’utilisation de plastique. Les années sèches, c’est la luzerne qui garantit la ration (10 à 12 t/ha en sols profonds). Le maïs est jugé supérieur au sorgho ou au moha, y compris dans les conditions très chaudes de la région : l’implantation tardive de ces derniers jouent en leur défaveur.

Au final, le système de production mis en place par le Gaec Ursule et totalement cohérent, aussi bien au niveau agronomique et écologique, qu’économique et social, tout en intégrant une foule d’innovations. L’excellente maîtrise technique des cultures et du troupeau aboutit à des résultats performants en agriculture biologique avec une bonne maîtrise du salissement et de la fertilité sur le long terme.


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