Agriculture biologique et agriculture de conservation : ruptures et transversalités entre deux communautés de pratiques

Philippe Fleury, Carole Chazoule, Joséphine Peigné - ISARA Lyon ; 2011

Les analyses des mouvements de différenciation de modèles d’agriculture se sont majoritairement attachées à caractériser leurs spécificités en termes de réseaux, de pratiques et de valeurs : agriculture durable, agriculture raisonnée, agriculture biologique (AB), agriculture de conservation (AC), etc. Les agriculteurs engagés dans ces dynamiques revendiquent d’ailleurs leur spécificité et portent souvent très fort leur sentiment d’appartenance à une « communauté de pratiques » (Wenger, 2005). Nous adoptons ici une perspective différente et l’objet de notre communication est d’analyser les dimensions transversales, tout autant que les ruptures, entre deux mouvements considérés comme segmentés, agriculture biologique et agriculture de conservation. Les agriculteurs de conservation considèrent que la compréhension et le respect du fonctionnement naturel du sol sont les piliers d’une agriculture durable respectueuse de l’environnement. Les pratiques essentielles sont la perturbation minimale du sol avec l’abandon du labour, la couverture permanente par de la végétation, des rotations culturales adaptées. Pour autant, à la différence de l’AB, l’AC a recours aux pesticides de synthèse, en particulier à un herbicide, le glyphosate. Longtemps, les défenseurs de l’AC se sont attachés à affirmer leur différence vis-à-vis de l’AB (Goulet, 2010). Mais les temps changent et un éditorial récent de leur revue de référence « TCS : Techniques Culturales Simplifiées » affirme que AC et AB sont des approches complémentaires et convergentes (Thomas, 2009). En parallèle, certains agriculteurs biologiques s’intéressent de plus en plus près aux techniques simplifiées de travail du sol. Pour analyser en profondeur ces transformations dans les conceptions et les pratiques nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès d’agriculteurs biologiques et d’agriculteurs de conservation. Nos entretiens ont porté sur leurs pratiques, leurs représentations du métier, leurs visions de l’AB et de l’AC, leurs réseaux professionnels. Pour compléter cette approche nous avons participé à des rencontres, journées techniques, visites, formations, à la fois dans les mondes de l’AB et de l’AC. Nos résultats montrent, sous forme d’une typologie, la diversité des modèles de référence des agriculteurs biologiques et des agriculteurs de conservation. AB et AC restent des modèles d’agriculture différents qui portent des conceptions différentes de l’agriculture. Pour autant il existe entre ces agricultures, des formes d’hybridation dans les pratiques de conduite des cultures. Ces emprunts techniques sont à mettre en relation avec des défis différents : en AB progresser dans le maintien de la fertilité biologique du sol en limitant les interventions, versus réduire le recours aux produits phytosanitaires en AC. Les agriculteurs qui se considèrent comme confrontés à ces défis, expérimentent dans leur exploitation, échangent et apprennent dans leur communauté de pratiques, celle de l’AB et celle de l’AC, mais ils ne s’y limitent pas. Agriculteurs biologiques et de conservation, mais aussi agriculteurs conventionnels se rencontrent de plus en plus, échangent, ont des lectures communes. Ce processus d’hybridation technique est tout autant, sinon plus, un processus de terrain impliquant les agriculteurs et dans certains cas des conseillers agricoles, que le résultat d’incitations institutionnelles et d’actions de diffusion.


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