C’EST LE « STRIP-TILL » QUI VA SONNER LE DÉPLOIEMENT DE L’AGRICULTURE DE CONSERVATION EN FRANCE

Frédéric Thomas - TCS n°62 ; mars/avril/mai 2011

En France comme ailleurs, si quelques pionniers s’étaient aventurés tôt dans la simplification du travail du sol voire le semis direct, le gros du mouvement n’a qu’une bonne vingtaine d’années. Depuis, l’évolution a été constante et soutenue pour devenir aujourd’hui une véritable lame de fond en phase de révolutionner l’agriculture.

L’adaptation des pratiques, l’acquisition d’un savoir-faire, l’arrivée d’outils adaptés et la circulation de toutes ces informations sont, bien entendu, les ingrédients majeurs de cette réussite. Cependant, et au-delà de ces fondamentaux indispensables, des événements déterminants ont fait progresser conjointement la maîtrise des pratiques et des surfaces.

Au début des années 1990, c’est le spectre de la chute des cours des céréales promis par la Pac en association avec l’arrivée sur le marché de machines de semis spécifiques et la baisse du prix du Roundup qui vont être les premiers facteurs d’engagement : c’est la recherche d’économie des coûts de production qui prime. Quelques années plus tard, c’est la qualité des sols, l’activité biologique, la matière organique, la maîtrise de l’érosion et déjà la séquestration du carbone qui complètent et prennent le relais des motivations.

Au début des années 2000, les Sud-Américains, en nous apportant la culture du couvert, des semoirs performants et une approche du semis direct mieux maîtrisée, favorisent une nouvelle extension forte des surfaces. Depuis, c’est l’AEI (agriculture écologiquement intensive) qui rassemble et soutient l’évolution des pratiques et des surfaces. En fait, avec ce concept franco-français, la simplification du travail du sol n’est plus l’objectif mais le moyen d’associer habilement couverts performants, rotations, association de cultures, en copiant et en tirant profit des processus écologiques pour non seulement limiter les coûts de mécanisation et de main d’oeuvre mais également faire pression sur l’ensemble des coûts de production comme les engrais et les phyto.

Ainsi et en plus de cette reconnaissance et de cette formidable progression sur l’ensemble du territoire, les TCS et le SD sont aujourd’hui la source de nouvelles connaissances et d’innovations qui impactent l’agriculture conventionnelle comme l’agriculture bio. Cependant et malgré tout ces progrès, c’est le strip-till (littéralement : travail localisé sur une bande) qui va vraisemblablement faire basculer durablement l’ensemble de l’agriculture vers l’AC.

Technique d’origine nord-américaine, le strip-till adapté à nos conditions et cultures, est une forme de compromis séduisante à un moment où il faut continuer de faire pression sur l’ensemble des coûts de production sans pour autant sacrifier le potentiel de rendement, bien au contraire. Dans ce nouvel ordre technico-économique, le strip-till apparaît, pour de nombreux TCSistes mais également beaucoup d’agriculteurs conventionnels, comme l’approche la plus complète et la plus rassurante :
- C’est, dans beaucoup de situations de sol en transition et avec un trafic pouvant être pénalisant, le moyen de sécuriser la structure mais aussi de dégager et de préparer la future ligne de semis sans bouleverser l’ensemble du sol tout en conservant le mulch en surface. Bien que robuste, cette approche nécessite un certain savoir-faire et une adaptation des outils et des interventions aux conditions de sols et de climats.
- Par ce travail localisé, le strip-till rassure et permet une implantation avec des semoirs beaucoup moins spécialisés. Il est donc plus facile de tester, de se faire la main sans s’engager, ni investir dans des outils complexes et souvent jugés trop spécifiques. Avec la dissociation et l’anticipation des passages, ce que nous préconisons dans la majorité des cas, le strip-tiller est également un outil plus facile à partager qu’un semoir.
- Plus que réchauffer le sol comme c’était l’objectif premier de cette technique, le strip-till devient aujourd’hui un moyen habile de localiser tout ou partie de la fertilisation. Il est ainsi possible de créer un milieu sans contrainte et « ultra-fertile » pour une levée homogène et un développement précoce rapide afin que les cultures profitent mieux, par la suite, de l’amélioration de la qualité du sol mais aussi de la conservation de l’eau que procure indéniablement la simplification du travail du sol.
- Historiquement, le strip-till était strictement destiné au maïs mais son développement dans l’hexagone a permis de constater son intérêt évident pour d’autres cultures de printemps comme le tournesol, le soja mais aussi la betterave. Cependant la plus grande percée du strip-till s’opère avec le colza, où il sécurise les implantations avec à la clé des gains de rendements significatifs en repoussant la paille, remontant un minimum de fraîcheur pour assurer la levée tout en facilitant le développement du pivot. Depuis deux campagnes, les réussites sont telles que même des agriculteurs traditionnels choisissent ce mode d’implantation beaucoup plus sécurisant que le labour ou de multiples déchaumages.
- Le strip-till offre aussi la possibilité de repousser la destruction du couvert avec un minimum de risque. L’association des deux a également donné naissance au « striptill végétal » où des bandes de couverts favorables à la future culture alternent avec une couverture d’interrang plus orientée sol et limitation du salissement.
- Enfin le strip-till, avec cette approche de localisation d’interventions, induit un fourmillement de nouvelles idées sources de progrès potentiel. La création d’environnements très différents par le travail localisé mais aussi grâce à la fertilisation ouvre des pistes intéressantes et en matière de gestion du salissement : pourquoi en pas y associer en plus une localisation du désherbage afin de réduire significativement les IFT (indice de fréquence de traitement). En matière de couverts associés, le strip-till peut être un outil pour piloter des différentiels de compétitions afin d’assurer la dominance de la culture même avec un couvert agressif. En élevage, c’est enfin le moyen de réussir l’implantation de maïs ou toute autre culture ou mélange fourrager sans destruction complète de la prairie.

Ainsi, le strip-till, que l’on peut présenter comme « aussi peu de travail du sol que possible mais autant que nécessaire » est une forme de compromis habile en phase de séduire un grand nombre d’agriculteurs. Même si ce n’est pas l’idéal, c’est un grand pas vers la simplification des interventions mécaniques, le respect du sol et une ouverture vers l’AC que beaucoup risquent de franchir en toute sécurité.


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