Une révolution de la pratique agricole

Nadine Massat, Alain Seznec - L’Espace Alpin ; 1er octobre 2010

L’agriculture de conservation ou agriculture des sols vivants qui s’est développée tout d’abord en Bretagne interpelle fortement un petit réseau d’agriculteurs de Paca et le bouche à oreille va bon train. Novateurs, ces agriculteurs le sont doublement dans la mesure où ils doivent d’une part adopter des pratiques résolument différentes de celles qu’ils ont été apprises et appliquées pendant des années, et d’autre part adapter cette technique aux conditions climatiques spécifiques du Sud-Est. Rotation, arrêt du labour et couvert végétal sont les maîtres mots que met en avant l’association Base (Bretagne Agriculture Sol et Environnement).

Les couverts végétaux travaillent pour vous !

Attention ! Il ne s’agit pas ici que de technique culturale. Bien sûr, on peut ergoter des heures sur les associations de plantes judicieuses pour tel ou tel couvert avec tel et tel semis, on peut ratiociner sans fin sur l’azote qui est pompée, reje- tée, le carbone piégé, le phosphore englouti… j’en passe et des meilleures.

L’essentiel ne serait-il pas ailleurs ? Où ? Dans cette foi retrouvée en une agriculture et cette passion qui se lit dans les yeux des pionniers d’Oraison, dans cette fierté retrouvée d’être agriculteur et d’échapper au dis- cours culpabilisant qu’on lui tient sans relâche ; mais aussi dans ce plaisir charnel de toucher la terre, de l’observer afin d’y découvrir ces éléments vivants dont on s’est moqué comme d’une guigne pendant des décennies. Encore des hurluberlus allez vous dire ? Erreur ! Des précurseurs. Écoutons-les.

« Cette technique redonne une attraction à ce métier, il casse la monotonie qui s’installe, on descend du tracteur ! Je suis très content, tous les jours, d’aller dans mes champs ; c’est le côté agronomique qui m’a remis en selle. On gratte le sol avec notre petite pelle, on regarde. On voit quoi : les galeries des vers de terre, une motte friable à la main et de ce fait des racines qui n’auront aucun souci pour se développer » (Julien)

«  On voit bien que nous avons travaillé à l’envers jusqu’ici ! » (Jacques)

« Le plus difficile c’est de changer les mentalités surtout des personnes les plus âgées. Quand j’ai dis à mon père que nous n’allions plus labourer, il s’est exclamé, contrarié : « Ça ne marchera pas ! ». En fait, les résultats ont été positifs. Nous avons fait un premier essai de couvert végétal (vesce/colza et pois de senteurs) mais, en sec, ce n’est pas évident.Il est vrai que nous avons semé tard, le 20 août. En fait, il faudrait semer dès la fin des moissons … ». (André)

« J’en avais marre de subir le poids des intrants, marre de toujours faire la même chose et de passer trop de temps à labourer ». (Thierry)

« Ces agriculteurs, même si certains ont 150ha et plus, ne sont pas des industriels. Ils ont l’impression de faire quelque chose pour l’avenir, pour la société, ils retrouvent espoir et fierté et voient enfin se dessiner leur place dans le monde de demain. » (Alain)

BASE ?

L’association a pour objectif de rendre opérationnelle et concrète l’Agriculture de Conservation en Bretagne et en France (sic), c’est à dire de participer à l’amélioration des pratiques agricoles, dans le sens du développement durable tel qu’il est défi- ni par les Nations Unies. Cette amélioration passe notamment par les pratiques de préservation des sols et des habitats grâce à une forte réduction du travail du sol (pouvant aller jusqu’à sa suppression) par l’intermédiaire des Techniques Culturales Simplifiées et du semis direct, associés à l’implantation de couverts végétaux en interculture dans l’objectif d’une couverture permanente. Dans le Sud-Est, Alain Seznec se montre très actif et nous lui donnons la parole dans ces pages. C’est un ingénieur agronome, ancien de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement. Nous le remercions également d’avoir favorisé les contacts avec ces agriculteurs nouvelle manière.

Une révolution de la pratique agricole

L’agriculture dite « de conservation » (AC) tient son nom de la FAO qui en a fait son cheval de bataille depuis 20 ans environ. Développées principalement en Amérique du Sud sur plus de 100 millions d’hectares, ces techniques ont atteint l’Europe au cours des années 90. On retrouve l’AC en France sous différents vocables : l’agroécologie du Cirad, acteur majeur de leur mise au point avec la recherche brésilienne, l’agriculture des sols vivants (Claude et Lydia Bourguignon, qu’on retrouve dans les films de Coline Serreau et Yann Arthus Bertrand, et les étonnantes vidéos de Stéphane Aissaoui), récemment l’agriculture écologiquement intensive (AEI) ... Mais les principes fondamentaux sont identiques : arrêt du travail du sol, le labour surtout, couverture végétale permanente des sols, rotation des cultures. Il convient de justifier ces choix radicaux : cette approche résulte d’une remise au premier rang de l’agronomie après plusieurs décennies de priorité données à la mécanisation, l’agrochimie, la sélection génétique, etc.. au profit d’une agriculture résolument productiviste. Il s’agit donc de préserver et d’améliorer le patrimoine soli) en arrêtant érosion et battance (effet mécanique des couverts), en remontant les taux de matières organiques dégradées par un passé de pra- tiques mécaniques et chimiques agressives, restaurant ainsi l’état physique des sols : structure et agrégats, porosité, capacité d’absorption, et de rétention de l’eau, ) en relançant une vie biologique intense où microfaune et macrofaune jouent un rôle majeur, les vers de terre en particulier, auxiliaires essentiels de l’agriculteur.

Traduits en termes techniques, les adeptes de cette agriculture parlent de semis direct (SD) sous couvert végétal (SCV ou SDCV). Le « sans labour » qu’utilisent certains organismes, ne définit rien et n’apporte que confusion dans un vocabulaire pléthorique. Le SCV implique l’usage de semoirs spéciaux qui peuvent mettre en place des semis à travers des couverts végétaux vivants ou des restes de récolte (chaumes) sans autre préparation. Près de dix marques de semoirs sont présentes sur le marché français.

L’usage de ces outils peut être plus compliqué que celui d’un semoir traditionnel, mais la partie la plus importante et la plus complexe des SCV est sans conteste le choix et la conduite des « couverts végétaux » qui peuvent associer un nombre variable de légumineuses, crucifères, graminées, etc. en fonction des objectifs recherchés et leur insertion dans la rotation. D’une façon générale, on recherche toujours une production maxima- le de biomasse à l’hectare car elle est déterminante pour le développement des populations de vers de terre, pour le recyclage et le stockage d’éléments fertilisants dans la bio- masse (effet CIPAN) et pour l’accroissement des taux de matières organiques.

Le passage au SCV peut se faire en une saison, mais c’est exceptionnel et cela implique plusieurs années de préparation à travers voyages d’études, journées techniques, consultation de publications et sites Internet spécialisées (revue TCS). Le plus souvent elle est progressive, en particulier pour les nombreux agriculteurs qui ont cessé le labour et pratiquent depuis des années les techniques culturales simplifiées (TCS). Cette transition est délicate car il n’existe pas de recettes toutes prêtes et chacun doit trouver sa voie en adaptant les principes de base à sa situation propre. Cela prendra quelques années (3 à 5 ans ou plus selon les cas). La communication, les échanges entre collègues, la consultation de toutes les sources d’information sont essentiels dans cette phase d’équilibre fragile.

Quels effets et quels bénéfices attendre de cette véritable révolution de la pratique agricole traditionnelle ? Quand on interroge les agriculteurs qui ont plusieurs années de SCV derrière eux (voir les vidéos de Agrovideo), ils nous disent que leur première motivation était économique : recherche d’une réduction des coûts de mécanisation (labour). La baisse des charges de gazole et d’entretien mécanique ne s’est pas fait attendre. Mais rapidement l’amélioration de l’état des sols est apparue et est devenue un objectif propre avec en corollaire une disparition rapide de l’érosion, de la battance, une meilleure portance des sols, etc. La réduction progressive des fertilisants et des produits phytosanitaires pour un niveau de production identique est venue en prime conforter les agriculteurs dans leur engagement.

La prise de conscience de l’effet sur l’environnement est alors une deuxième étape qui leur a permis de faire face à l’image de l’agriculteur pollueur. La réduction des pollutions par les nitrates et les molécules de l’agrochimie est avérée (travaux de JL Forrler à la CA Moselle entre autres). Le retour de la petite faune sur l’espace cultivé est visible. Une nouvelle collaboration s’établit entre apiculteurs et agriculteurs. La multiplication des « cabanes » de vers de terre est devenue un indice de fertilité et un motif de fierté pour l’agriculteur.

Le dernier aspect cité n’est pas le moindre : le changement radical de l’organisation du travail par réduction importante des heures de tracteur (on rapporte couramment des réductions de 50 % voire plus), a sensiblement changé la vie de ces agriculteurs en libérant du temps pour l’observation et la réflexion, pour l’acquisition et l’échange de connaissances (journées techniques, visites d’exploitations, consultation de sites) et pour la communication et l’entraide au niveau local.

L’introduction de ces techniques en France s’est faite essentiellement à l’initiative de groupements et d’associations d’agriculteurs, d’abord dans l’Ouest et le Centre. Dans la région Sud Est, le SCV est récent et doit faire face à un contexte d’aridité qui crée une contrainte spécifique : la constitution d’une implique la mise en place de couverts en période estivale et le recours à l’irrigation est difficilement contournable, ce qui renchérit l’implantation de ces couverts. Les réseaux de distribution d’eau sont donc peu favorables à ces pratiques, dont ils méconnais- sent les mérites, et ne cherchent en rien à les favoriser biomasse importante après moisson.


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