Vendredi 8 octobre 2010
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Agriculture Ecologiquement Intensive : explication de texte

Beaucoup trouvent cette terminologie, « fumeuse », provocante, voire antinomique tant l’écologie est plutôt, dans notre subconscient, synonyme d’extensif, de moins productif de « laisser faire ». Cependant cette appellation choisie volontairement par Michel Griffon pour son côté choquant et interpellateur est cependant d’une grande justesse et dénomme une approche de l’agriculture radicalement nouvelle. Avec l’AEI, l’intrant principal n’est plus la mécanisation, les engrais ou les phytos mais l’écologie ; il est donc logique de l’utiliser « intensivement » pour fortement diminuer le recours aux intrants classiques perturbateurs des systèmes et coûteux que l’on conserve cependant dans la boîte à outils s’il n’existe pas encore de solution écologique. C’est l’énergie du vivant en opposition à l’énergie fossile, c’est la diversité en opposition à la monotonie et c’est l’encouragement de la vie positive pour contrebalancer les « indésirables » en opposition à une gestion par l’élimination, la suppression voire la recherche d’une éradication. L’AEI n’est pas un « mieux » ou un relookage habile des pratiques conventionnelles mais une véritable rupture et vision innovante.

Enfin l’AEI n’est pas qu’une vue de l’esprit de scientifiques, agronomes ou penseurs éclairés mais elle commence à vraiment se mettre en place dans les réseaux TCS et SD avec des différences suffisamment visibles, capables convaincre même des profanes, à l’instar de ces deux parcelles deux colza de la région Centre voisines de quelques centaines de mètre au début octobre dernier.

Le colza classique sur labour est « propre », c’est à dire indemne d’adventices mais il souffre d’une certaine phytotoxicité du programme de désherbage, certes amplifiée par les fortes pluies, mais généralement consentie pour gérer le salissement. Le champ est vide pouvant laisser la place éventuellement à d’autres plantes et les ravageurs comme les limaces n’ont pas de biomasse importante à se partager : toute attaque sera très préjudiciable. Il va donc falloir redoubler d’attention et ne pas hésiter à encore investir pour protéger la culture de tous nuisibles potentiels.
A l’inverse dans le colza/lentille/sarrasin, semé en direct, les colzas sont là en bien en forme et aucune autre « mauvaise herbe » n’est présente puisque tout l’espace est occupé par de la végétation choisie, sans aucun désherbage pouvant nuire au colza. La diversité « camoufle » en partie le colza de certains ravageurs spécifiques qui auront plus de difficultés à repérer la parcelle et pour d’autres la consommation de biomasse sera partagé entre les plantes présente avec beaucoup moins d’impact sur la culture elle même. Enfin les plantes accompagnantes ou de service (sarrasin et lentille) vont progressivement disparaître naturellement par le gel pendant l’hiver afin de donner plus de place à la culture tout en relarguant des éléments minéraux et entre autre de l’azote pour l’alimenter.

Produire autant voire plus avec beaucoup moins de travail, de phytos, d’engrais, d’impacts négatifs sur l’environnement mais aussi de risques techniques et économiques ce n’est donc plus une lubie mais aujourd’hui une réalité et cet exemple très concret illustre bien le concept d’Agriculture Écologiquement Intensive. Il démontre parfaitement la différence voire l’opposition des raisonnements et la puissance de ces nouvelles approches qu’il nous appartient d’étendre aux autres cultures et productions agricoles.