Limaces en grandes cultures

Revue UFA - mars 2010 - M. Bieri, LONZA SA Bâle ; F. Burkhalter, Station phytosanitaire du canton de Berne ; A. Chervet,Service de la protection des sols du canton de Berne ; W. Jossi, Agroscope Reckenholz- Tänikon ART

Site internet de la revue UFA : www.landi.ch/Landwirtschaft

Les limaces peuvent provoquer d’importants dégâts économiques. Leur activité dépend principalement des conditions météorologiques. Afin d’épandre les granulés anti-limaces au bon moment et au bon endroit, l’agriculteur doit pouvoir apprécier le risque de dégâts grâce à une observation régulière des parcelles.

Parmi toutes les espèces de limaces connues en Suisses, les trois suivantes (graphique ci-dessos) provoquent la majorité des dégâts en agriculture :
- Limace grise ou loche, ou coîtron (Deroceras reticulatum) : couleur grise à brune, motifs réticulés, souvent avec des taches (roses chez les jeunes limaces), longueur 4 – 5 cm, visqueuse au toucher, ponte des oeufs du printemps à l’automne.
- Limace des jardins ou limace horticole (Arion hortensis/Arion distinctus) : limace de couleur foncée, pied jaune orangé (jeunes limaces : bleu gris), longueur 2.5 à 4 cm, mucus orangé, évite la surface du sol (difficilement décelable), ponte au printemps.
- Limace brune portugaise ou limace ibérique (Arion lusitanicus) : brune à orangée (jeunes limaces : coloration variable avec des bandes latérales), longueur 7–12 cm, laisse des traces visibles de mucus, ponte en automne. La limace ibérique migre la plupart du temps dans la culture depuis le bord de la parcelle ou des parcelles adjacentes telles que prairies naturelles et provoque surtout des dégâts dans le pourtour des parcelles (déplacement jusqu’à 10 m par nuit). Les petites limaces des jardins ainsi que les petites limaces grises ne se déplacent que de 3 mètres au maximum par nuit. Lorsque les conditions sont défavorables, elles se retirent dans les cavités du sol. En raison de leur taille modeste, elles survivent mieux aux travaux du sol que les limaces ibériques. Cette particularité augmente le risque de dégâts au centre de la parcelle.

Biologie

Les limaces sont surtout actives la nuit lorsque l’humidité relative est élevée (mais sans pluie) et avec des températures douces (optimum 10 –15 °C). Mais elles peuvent déjà causer des dégâts réduits à partir d’une température de 0.5 °C. En principe, les limaces peuvent passer l’hiver à tous les stades de développement, de l’oeuf à l’animal adulte. Les hivers doux, elles se tiennent généralement à une profondeur de 5 –10 cm dans le sol et lorsqu’il fait un peu moins froid, elles viennent chercher leur nourriture à la surface, ce qui peut provoquer d’importants dégâts dans les céréales mal développées. C’est la limace grise qui provoque le plus de dégâts dans les grandes cultures. Grâce à sa faculté de pondre durant toute la durée de végétation, cette espèce peut former plusieurs générations. Quatre semaines après la ponte, les limaces éclosent et atteignent leur maturité sexuelle en l’espace de 1.5 à 3 mois (hermaphrodite).

Dégâts

Des dégâts peuvent apparaître dans toutes les cultures. Les limaces sont surtout attirées par les jeunes plantes, dans une mesure qui varie en fonction de l’appétence des différentes cultures. Les dégâts vont d’une diminution de la qualité pour les plantes à tubercules et les légumes jusqu’à des dégâts totaux sur les semis en raison d’une attaque des semences, des feuilles ou des tiges. Les dégâts sont similaires à ceux des vers fil de fer, tipules, sitones du pois, corneilles, etc.

Contrôle, seuils d’intervention et auxiliaires

Dégâts dans le sol

Vu que les limaces vivent principalement dans le sol, en cas de forte activité, les semences en germination ou les germes pas encore levés peuvent être attaqués.

Chez les pommes de terre, les limaces peuvent en plus ronger les tubercules. Vu que ces derniers sont souvent attaqués avant le défanage, il faut contrôler les dégâts de limaces suffisamment tôt. Si la présence de limaces est avérée, il est conseillé d’épandre des granulés anti- limaces avant la fermeture des rangs.

Contrôle de l’activité des limaces

Il faudrait déjà commencer à contrôler l’activité des limaces pendant la maturité du précédent cultural, le cas échéant déchaumer ou rouler après la récolte (culture biologique). Il est indispensable de contrôler régulièrement la présence de limaces, au plus tard après les premières précipitations, surtout pour les cultures sensibles. Il y a trois principaux moyens de piéger les limaces, à effectuer sur des petites surfaces représentatives de la parcelle (ne pas oublier les endroits humides, les endroits motteux et à proximité des bords de la parcelle) :
- Détection à l’aide de granulés anti-limaces sur 0.1 m2.
- Détection au moyen de soucoupes à fleurs (Ø20 cm) avec, comme appât, une cuiller à café d’aliment concentré humecté.
- Détection au moyen d’un sac en jute ou de planches humides. Comme les limaces sont actives la nuit, il faut effectuer les contrôles à la nuit tombante. Afin de pouvoir détecter les petites limaces sans problème, on peut enlever toute la matière végétale présente à la surface du sol. Marquer les pièges permet de les retrouver plus facilement.

Seuils d’intervention

Si les contrôles révèlent la présence de limaces, en PER, il faut respecter des seuils d’intervention (cf. encadré). Si l’on opte pour des granulés contenant du métaldéhyde, il faut veiller à atteindre une densité de 30–40 granulés/m2 au dosage recommandé. En culture biologique, les produits autorisés à base de fer et de phosphate peuvent être utilisés dans le colza, le tournesol et les betteraves jusqu’à deux semaines au maximum après la levée. Si l’activité des limaces est importante sur le long terme, il faut adapter la rotation (tableau).

Antagonistes naturels

Les œufs de limaces ainsi que les jeunes limaces constituent une importante source de nourriture pour différents insectes tels que les carabes. Pour les crapauds, les hérissons, les taupes et certaines espèces d’oiseaux, les limaces adultes sont des proies appréciées. Il est possible de favoriser les antagonistes des limaces en conservant une certaine flore adventice et par le biais des surfaces de compensation écologique.

Limaces : un problème permanent

Conditions climatiques et systèmes culturaux sont les principaux facteurs qui influencent fortement les populations de limaces. Mais il faut aussi savoir que les limaces sont capables de compenser rapidement les effets de conditions peu favorables grâce à leur capacité de reproduction. Trois ans d’observations ont montré que la densité des populations de ce ravageur ne peut pas être abaissée durablement.

L’importance des populations de limaces varie fortement d’une année à l’autre. Ceci repose dans une large mesure sur leur forte capacité de reproduction ainsi que sur une stratégie de survie raffinée. Comme la fiche « Les limaces dans les grandes cultures » (au milieu du cahier) le décrit, les prévisions de dégâts de limaces ne repose pas sur une estimation de leur nombre mais sur une appréciation de leur activité.

Stratégie de survie

Les limaces sont des animaux hermaphrodites possédant une durée de vie de huit à douze mois. Chaque individu est capable, après fécondation réciproque, de pondre 300 à 500 oeufs dans la couche supérieure du sol. Les jeunes limaces éclosent après quatre semaines et atteignent leur maturité sexuelle six mois plus tard. Au cours de l’été, le taux de reproduction des limaces et leur activité destructrice sont influencés par la disponibilité en nourriture mais aussi par les conditions climatiques, plus particulièrement l’humidité du sol, une faible tension hydrique leur étant favorable (voir encadré). En cas de sécheresse prolongée, c’est la mort par dessèchement qui les menace. En hiver, si le sol est gelé en profondeur, les chances de survie des oeufs et des jeunes limaces sont réduites par l’effet de congélation.

Les petites limaces (limaces grises et limaces horticoles) sont capables de résister à des périodes de sec ou de gel en se réfugiant dans des anfractuosités du sol profondes en profitant des galeries de vers de terre ou des fissures. Elles se trouvent ainsi dans un environnement ayant une humidité convenable où elles trouvent une nourriture suffisante sous forme de résidus de racines, de mycélium de champignons, et d’autres matériaux organiques.

Cette stratégie de survie rend le contrôle des populations difficile, de même que la lutte directe au moyen de granulés molluscicides, car on ne peut saisir que la frange de la population qui est active. Dans la stratégie de lutte contre les limaces, il est utile de se rappeler la formule suivante : population > activité.

Le gel protège des agressions par les limaces En se fondant sur trois ans d’observations (2007– 2009) on a cherché à évaluer l’activité des limaces et à la mettre en relation avec les conditions météorologiques et avec le système cultural. L’essai de longue durée « Oberacker  », à l’Inforama Rütti, Zollikofen (BE), a servi de base à cette expérience (voir encadré).

Au printemps de la première année d’observation (2007) peu après le semis du maïs (avril) on a compté en moyenne sept limaces par piège, ce qui correspond à une très forte activité (graphique 1). Ce nombre important de captures peut être mis en relation avec l’hiver doux qui a précédé, comptant peu de jours de gel (voir encadré) et un sol peu gelé.

L’hiver suivant (2007/08) fut un peu plus froid et surtout plus précoce, mais plus doux à partir de janvier, comme l’hiver précédent. Pendant les jours de gel de décembre 2007, il n’y avait pas de couverture de neige protectrice et le gel a pénétré dans le sol jusqu’à 20 cm. Le taux de mortalité des limaces en a été plus important. A partir de janvier, il n’y a eu que quelques jours de gel isolés. Ces conditions, auxquelles se sont ajoutées les pluies abondantes du mois d’avril (graphique 2) ont été vraisemblablement favorables à la régénération des populations de limaces jusqu’au semis du maïs. Cependant, les captures du printemps 2008 ne représentaient que la moitié de celles du printemps précédent, ce qui laissait supposer un effet de la précocité de l’hiver avec des jours de gel sans neige.

L’hiver 2008/09 s’est caractérisé par un nombre élevé de jours de gel. Malgré une faible couche de neige, glacée et donc sans guère d’effet isolant à partir de janvier, le froid a pénétré profondément dans le sol. Celui-ci resta gelé longtemps, ce qui a réduit fortement les populations de limaces (graphique 1). A l’opposé de l’année précédente, le mois d’avril 2009 fut sec, avec pour conséquence une activité des limaces beaucoup plus faible avant le semis du maïs (graphique 2).

Eté sec, moins de dégâts en automne L’importante et active population de limaces du printemps 2007 (graphique 2) a été fortement perturbée avant et pendant le semis par le travail du sol intensif. Mais cette population s’est rapidement régénérée grâce à l’humidité du sol entretenue de façon continue par les précipitations supérieures à la moyenne de mai à août. Durant toute la période de végétation, la tension hydrique mesurée dans le sol est restée inférieure à 25 cbar. Tant en avril qu’en septembre, on a compté en moyenne 7 limaces par piège.

L’été 2009 a présenté une situation extrême inverse. La population de limaces était très affaiblie au printemps et est restée pratiquement inactive durant toute la période de végétation. Ceci s’explique par un sol demeuré constamment sec, voire très sec, dès le mois d’avril à cause des faibles précipitations. Les relevés effectués au cours de l’été 2008 sont moins spectaculaires en termes d’activité des limaces. Suite à l’humidité du sol élevée au cours du printemps, les limaces sont restées actives jusque vers la mi-été puis ont échappé à la courte période de sec qui a suivi en se réfugiant dans les profondeurs du sol. Les quantités de pluie non négligeables tombées entre juillet et octobre ont fait que les captures dénombrées en automne ont été proches du seuil d’intervention.

Semis direct

Avant la mise en place des cultures, au printemps, on a observé les mêmes densités de limaces dans les systèmes « labour » et « semis direct  » (graphique 3). Par l’effet du travail du sol (procédé « labour » uniquement) et par les passages de machines nécessaires pour la mise en place de la culture (dans les deux systèmes), les populations de limaces sont massivement réduites. Cependant, cette réduction est généralement moins marquée dans le procédé « semis direct » que dans le procédé « labour ». Alors que, dans le système « labour », on ne trouve pratiquement pas de limaces actives durant la phase sensible qu’est la levée du maïs, on rencontre, après le semis dans le procédé « semis direct », une densité de limaces dépassant le seuil d’intervention, et ceci deux ans sur trois, malgré l’effet réducteur mentionné plus haut.

Conclusion

Sur la base des observations faites dans l’essai de longue durée « Oberacker », les risques de dégâts de limaces sont :

Élevés à la levée des semis de printemps après un hiver doux et sans gel du sol.
- Élevés lorsque le printemps est pluvieux dès les semis effectués, même si des coups de froid avec gelées au sol ont été recensés durant l’hiver précédent.
- Très faibles après un hiver long avec sol gelé, suivi d’un printemps sec.
- Élevés sur les tubercules de pomme de terre ainsi qu’à la levée des cultures en automne si l’été fut humide.
- Faibles sur pommes de terre non irriguées ainsi qu’à la levée des cultures d’automne (colza) si l’hiver a été froid avec sol gelé et que les précipitations ont été inférieures à la moyenne durant toute la période de végétation.
- Éventuellement très élevés, et c’est parfois surprenant, sur les tubercules de pomme de terre ainsi qu’à la levée des cultures en automne, même si l’été a été entrecoupé par de courtes périodes de sec.
- Dans un système avec travail du sol simplifié, il y a lieu de surveiller de très près l’activité des limaces après le semis, en particulier si les conditions sont humides.


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