GAEC de Fargues - Lot - Passer à un système " tout pâturage "

Catherine Milou ; TCS n°58 - juin / juillet / août 2010

Stockage de l’alimentation des animaux, entretien des bâtiments d’élevage, matériels pour ensiler, conditionner la paille et le foin, gérer les effluents d’élevage… Autant de postes onéreux et impactant fortement les coûts de production pour l’exploitation ovine du Gaec Fargues. Pour alléger ces postes, les éleveurs ont entièrement repensé leur système et sont passés d’une conduite conventionnelle à une gestion tournée quasi exclusivement vers le pâturage, avec des animaux en extérieur toute l’année. Ce bouleversement a reposé sur une modification de l’implantation des prairies artificielles, l’introduction des légumineuses et un système de clôtures innovant qui offre une grande réactivité.

Pour André Delpech, comme pour d’autres éleveurs ovins, le constat était clair et semblait sans appel : les coûts de production de l’atelier ovin se révélaient supérieurs au prix de vente des animaux… Présenté comme une fatalité par nombre de ses interlocuteurs, l’éleveur ne s’est pourtant pas résolu à cet état de fait et a cherché activement des solutions. Le déclic proviendra d’un stage de trois mois et demi effectué en Nouvelle- Zélande en 1998, et qui convaincra A. Delpech que des alternatives sont possibles.

« Je m’étais rendu là-bas pour voir comment les éleveurs géraient le troupeau en hiver, période à laquelle les animaux vivent sur les stocks fourragers chez les éleveurs français, explique-t-il. J’avais en effet identifié dans ma conduite d’alors plusieurs postes gourmands en charges dans ma comptabilité, notamment les chaînes de mécanisation pour réaliser le stock fourrager (ensilage, foins), ainsi que toutes les dépenses liées à la tenue des animaux en bâtiment : paille, gestion des effluents… Pour parvenir à réduire mes coûts de production, il fallait que je réussisse à changer le mode de conduite du troupeau. »

Le système Néo-zélandais s’appuie exclusivement sur le pâturage, avec des animaux dehors toute l’année, même pour les agnelages. Pas de stock fourrager coûteux à réaliser, les animaux se nourrissent eux-mêmes au pré. La clef du système repose sur un découpage adéquat des parcelles d’herbe qui permet d’obtenir un chargement instantané maximum.

La méthode « fil avant et fil arrière  » qui y est appliquée (lire en encadré) consiste en outre à faire progresser les animaux dans la pâture de manière régulière, pour éviter un surpâturage et un piétinement excessif qui abîmeraient la prairie. « Les animaux restent un à deux jours dans leur « cellule de pâturage  », puis passent à une autre. Cette méthode est issue d’études réalisées au siècle dernier par un chercheur et ingénieur agronome français, André Voisin. Celui-ci avait constaté que la pousse de l’herbe était défavorisée dès lors que les animaux la coupaient à plusieurs reprises, et que la productivité était au contraire améliorée par un pâturage bref, qui laissait ensuite à l’herbe le temps de repousser », explique A. Delpech. Autre point d’importance sur lequel s’appuie le système néo-zélandais : l’introduction de légumineuses dans les prairies (trèfle blanc essentiellement), source de protéines indispensables pour s’affranchir des tourteaux de soja. Fort de toutes ces données, A. Delpech, de retour sur son exploitation, étudie et expérimente la faisabilité de ces méthodes et les moyens de les transposer chez lui.

Trouver un mélange d’espèces adapté aux causses séchants du Quercy

Pour parvenir à appliquer chez lui le système néo-zélandais, l’éleveur doit commencer par modifier son assolement qui était auparavant constitué de 20 hectares d’orge autoconsommée et de 140 hectares de prairies destinées au stock fourrager, pour le passer entièrement en prairies à pâturer. Contrainte de taille liée au terroir, les sols de causse sur lesquels est sise l’exploitation sont superficiels (20 à 30 centimètres), très caillouteux, filtrants et très séchants, ce qui ne permet pas à une prairie naturelle de s’installer et complexifie le choix des espèces en prairie artificielle.

A. Delpech initie alors une batterie d’essais pour trouver quelles variétés de RGA et trèfle blanc sont les mieux adaptées à sa situation sur le modèle néo-zélandais. « Mes critères de choix ont reposé sur des espèces rustiques capables de résister à la sécheresse en été, afin de ne pas être obligé de ressemer tous les ans, explique l’éleveur. Celles-ci doivent en outre montrer leur aptitude à produire suffisamment de biomasse en hiver pour la pâture. Et contrairement aux idées reçues, c’est le ray-grass anglais qui est sorti du lot face au ray-grass italien, fétuque et dactyle. » L’éleveur observe que certaines variétés de ray-grass anglais se mettent « en dormance » lorsque les conditions estivales sont trop sèches, mais ne meurent pas. Et, question productivité hivernale, le ray-grass anglais se montre aussi performant que le ray-grass italien. Côté légumineuses, l’éleveur utilise le trèfle blanc, sur le modèle néozélandais, ainsi que le lotier dans les zones les plus sèches.

« Le trèfle blanc participe à une bonne croissance des agneaux, et me permet de réduire la fertilisation azotée (50 à 60 unités d’azote apportées en deux fois). Il s’adapte en outre très bien aux conditions sèches. Dans les parcelles les plus arides, j’utilise toutefois le lotier, qui est encore plus résistant, ainsi que du dactyle et de la fétuque en plus du ray-grass anglais, pour les mêmes raisons. Le mélange ray-grass anglais/trèfle blanc se montre très appétant pour les animaux et particulièrement adapté pour la période de lactation en raison notamment de sa richesse en protéines. » L’éleveur se penche de près sur les mélanges multi-espèces qu’il teste activement dans ses essais. « Les Suisses étudient des mélanges à plus de dix espèces. Ce procédé permet d’avoir une bonne couverture partout car les nombreuses espèces du mélange tamponnent l’hétérogénéité parcellaire. Il offre aussi une complémentarité de production toute l’année ainsi que dans le temps, avec d’abord une prédominance du RGA et de la fétuque, puis du dactyle. Mes prairies ont une durée de vie actuelle de 5 à 6 ans, mais j’espère ainsi les faire durer davantage. »

Un semis en deux passages

A. Delpech sème ses prairies en deux étapes, d’abord les graminées avec un semoir de semis direct hollandais, le Vredo, qui permet de semer avec un écartement de 7,5 cm, ou bien avec son semoir à céréales en recroisant le semis à la perpendiculaire, puis dans les deux cas, il sème ensuite le trèfle blanc à la volée. « Pour les graminées, l’idéal à mon avis serait d’utiliser un semoir à gazon qui permet un écartement de 5 cm, mais qui n’est malheureusement pas compatible avec mes sols caillouteux. Je n’utilise en outre le semoir de semis direct que pour 4 à 5 hectares de ma surface, mais beaucoup plus pour des opérations de sursemis. Je ne réserve en effet son usage qu’aux zones les moins caillouteuses car j’observe sinon des problèmes de levées, que je n’ai pas avec une gestion plus conventionnelle « cultivateur-vibroculteur-casseuse de pierres-rouleau-semoir à céréales-rouleau ». Avec le Vredo, j’interviens directement après destruction chimique de la prairie, pour un semis d’automne ou bien de printemps. Dans le cas du sursemis, je cherche à étoffer des prairies qui se sont éclaircies après l’été notamment. J’interviens alors sans désherbage préalable. Pour augmenter les chances de réussite de ces semis en direct, je sélectionne dans mes essais des variétés de RGA qui montrent une bonne vigueur à la levée, en plus de mes autres critères. » Selon l’éleveur, le semoir à céréales se montre peu adapté au semis de prairies, car le large écartement entre rangs génère par la suite des problèmes de concurrence avec les adventices. « C’est pourquoi je sème en croisé avec ce dernier, pour bénéficier d’une bonne couverture du sol, qui offre également une meilleure résistance au pâturage et limite l’impact du piétinement. »

L’agriculteur a opté pour un semis à la volée du trèfle avec un semoir centrifuge utilisé normalement pour épandre l’antilimace, et placé sur le quad. Ce mode de semis lui permet de limiter la concurrence avec la graminée sur la même ligne de semis, et aussi de semer en surface ces graines de très petite taille. Le bon contact avec la terre est ensuite permis par un passage de rouleau. « Je vais tester prochainement un semoir autrichien distribué par Agram. Le semoir centrifuge se montre en effet trop peu précis dans son réglage d’ouverture pour semer les graines fines et légères de graminées. J’espère parvenir à semer ensemble à la volée les graminées et les légumineuses grâce à ce semoir. J’espère ainsi obtenir une meilleure couverture du sol qu’avec le semis en ligne. Une meilleure répartition des graines offrira à mon avis une meilleure résistance à la sécheresse et un meilleur accès des plantes à la lumière. Une bonne couverture renforce en outre la résistance au piétinement. » Le pâturage est à nouveau possible de 60 à 80 jours après le semis. Toutefois, lors des opérations de sursemis, l’éleveur réduit cette durée de pousse en raison de la concurrence entre les jeunes plantules et la prairie installée. « Je juge la période de réintroduction des animaux à l’oeil selon l’état de la prairie. Je fais alors légèrement pâturer pour ne rien abîmer. Cette méthode s’avère précise et délicate », met en garde l’éleveur.

Des résultats probants

La mise en place de ce nouveau système fondé sur le pâturage a permis au Gaec d’élever le nombre d’animaux du cheptel de 750 à 1 500 brebis mères (quand en parallèle la SAU n’augmentait que de 10 hectares), et d’intégrer l’épouse de A. Delpech au Gaec, en plus d’André et de son frère Francis. « Pour une surface quasi identique, nous pouvons nourrir le double de brebis car nous avons optimisé notre chargement et la productivité de la prairie grâce à cette méthode de pâturage. Nous avons même pu diminuer nos intrants, avec notamment une réduction d’un tiers des engrais. Les trois quarts du troupeau restent dehors, et l’augmentation du cheptel n’a ainsi pas nécessité d’agrandir les bâtiments. Ne sont mis à l’intérieur que les agnelles achetées en janvier et qui ne sont jamais sorties, ainsi que les agneaux mâles destinés à la vente pour achever plus rapidement leur croissance lors des périodes où l’herbe est moins productive. Au printemps, ce sont mille brebis qui agnellent dehors, une gestion qui aurait été impossible pour un tel nombre à l’intérieur. Le coût de la ration alimentaire est quant à lui quatre fois moins élevé au pâturage qu’en bergerie. Et la quantité de fourrage stocké a été divisée par deux… », rapporte A. Delpech.

Autre constat, la portance des sols qui s’est améliorée avec l’introduction d’espèces sélectionnées pour la pâture, le RGA et le trèfle blanc, mais aussi par le mode de conduite du pâturage. Le surpiétinement néfaste est en effet évité, notamment lors des journées humides durant lesquelles l’éleveur change les animaux de cellule tous les jours. Au final, les modifications sur l’exploitation auront été radicales  : intégration des légumineuses sur l’ensemble de la surface, totalité de la SAU passée en prairies, redécoupage de la surface pour l’adapter au pâturage (zones d’abris, parcours, système de clôtures amovibles, alimentation des parcelles pâturées par un réseau d’eau…). Mais l’éleveur a engagé progressivement ce bouleversement, en conduisant des essais puis en testant la faisabilité du système durant un an sur un lot de 150 brebis. Il poursuit à présent ses expérimentations pour renforcer le nombre d’espèces dans ses mélanges, notamment avec l’introduction de chicorée et plantain, sur les critères de productivité hivernale et résistance à la sécheresse en été. Ces espèces se montrent déjà prometteuses. « Notre métier n’est pas constitué de recettes toutes faites, et nous devons sans cesse expérimenter pour progresser  », conclut A. Delpech.


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