Mardi 3 août 2010
Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Produire + avec -

Produire + avec -, l’énoncé est simple , mais en bon matheux je dirais que le résultat ne peut être que négatif !!!! Les étudiants de Chambray ont planché sur le sujet, la démarche est honorable puisque leurs résultats permet de répondre aux exigence du Grenelle ainsi qu’au plan Ecophyto2018.
Cependant l’énoncé est plus complexe que la simple réponse que l’on a dans la petite vidéo, et il faut cumuler les modifications de mode de production pour espérer avoir des bénéfices durables. Bien entendu, je ne suis pas un divin et je n’ai pas la réponse à tout, mais je vais au travers de quelques exemples vous démontrer comment je produit + avec -, tout en préservant mon sol et mon portefeuille, car la rentabilité reste le nerf de la guerre, excusez moi...

==> Produire + avec - d’engrais


- Je prend ici ma parcelle nommée Oignelet 2010, là où j’ai implanté un blé tendre derrière une légumineuse. J’ai récolté ici 85 qtx de blé alors que la moyenne de mon exploitation n’est que de 80 qtx , et ceci avec seulement 120 u d’azote contre 150 pour les autres . La légumineuse m’a donc permis de gagner 30 u d’azote, et a surtout déplafonné mon potentiel de rendement . L’engrais azoté est sans doute l’intrant qui consomme le plus d’énergie pour sa fabrication, économiser de l’azote tout en produisant plus est une belle victoire pour moi, 1.4u d’N/Qtl de blé, voici mon nouveau objectif....
Elle est pas belle "La Campagne" ???

==> Produire + avec - d’herbicides

-Là , le sujet semble plus facile, mais je vais pousser un peu plus loin le bouchon en vous annonçant que j’ai réussi à produire du colza avec 0 herbicides. Comme les bonnes nouvelles n’arrivent jamais seul, je reprend l’énoncé du 1er exemple et vous devinez que je vais vous parler mon Bio colza. 37 Qtx avec seulement 60 u. d’azote, qui dit mieux.....
Je pense toutefois qu’avec 20 unitées d’azote en plus, je tapais les 40 qtx voir plus, mais je ne mettrais pas la barre trop haute car je ne suis même pas sûr de pouvoir reproduire cette exploit. J’ai tellement à vous dire sur cette parcelle que je ferais un topic bientôt, c’était la 1ère année que nous implantions tout les colza de ma cuma ( 100 ha de colza ) avec le strip till intégral, et les résultats sont plus qu’encourageant car 100% des parcelles ont été récoltées, avec des rendements allant de 25 Qtx à plus de 40 Qtx/ha, a renouveler donc ...
Au fait , j’ai juste oublié de vous dire que mon enchaînement de culture m’a permis d’économiser environ 60 u d’azote ici, et si je commence à vous parler de rendement énergétique , vous découvrirez que 60 unités d’azote économisé correspond à environ 80 l de fioul/ha économisé, si on veut être efficace , agissons là ou cela fait mal...
PS : les 1er résultats du Cetiom de la campagne 2009-2010 sur les plantes d’accompagnements

==> Produire + avec - d’énergie

-Est-il possible cette fois ci de cumuler tout les avantages ci dessus ???
Au fil des années, l’agriculture a évolué, nous sommes passé de la révolution verte , qui a sectorisé les formes d’agricultures ( Agriculture Biologique "contre" Agriculture Intensive )à la révolution doublement verte qui elle cherche plutôt à remettre le sol au coeur des préoccupations en rappelant qu’il n’existera pas une autre planête Terre pour nourrir l’humanité, et qu’il est donc plus qu’ urgent de nous préoccuper des quelques centimètres d’écorce terrestre présent sous nos pieds ainsi que toute la faune qu’elle abrite et qui de manière totalement invisible, recycle une grande partie de nos déchets et permet aux plantes de pousser.
Et oui, comment écrire un topic sans parler de mes laboureurs, qui eux ne fonctionnent pas avec du gasoil ( énergie non renouvelable), mais tout simplement avec les résidus que je prend soin de leur laisser posé à la surface du sol, résidus fabriqués simplement avec les rayons du soleil ( énergie renouvelable pour quelques années encore). Nous voici donc arrivé dans ma parcelle de maïs nommée Essart :
- d’énergie pour implanter ce maïs , il m’a fallu 7 l de fioul pour implanter le couvert et 15 l pour le maïs, soit moins de 30 l en tout pour l’implantation. Ceci est possible car j’utilise un strip till qui ne travail que la ligne de semis sur une faible profondeur (20 cm) avec une dent très affinée, juste suffisant pour sécuriser mon implantation.
- d’énergie pour désherber , là ou le couvert était beau ( dans le seigle ) , il n’y a eut qu’un rattrapage, je divise donc mon IFT herbicide par 2 et j’économise à la louche......... 10 l de fioul ( vous voyez ici que la prise de risque pour économiser un désherbage est énorme , à mon humble avis)
- d’énergie pour irriguer : ma couverture du sol me permet de limiter l’évaporation, (vous avez aussi sans doute remarqué que mes maïs ensilage sont semé à 50 cm ) , et le travail régulier de mes laboureurs tracent des autoroutes pour les racines du maïs qui peut descendre profondément prélever l’eau stocké dans les argiles. Je ne connais pas encore ici le rendement que je vais obtenir, mais les cartes sont jouées et je ne changerais pas de technique de semis l’année prochaine. Tout cela simplement parce que pour produire plus, il faut d’abord que les cultures soit "belles", ensuite on peut peaufiner .

==> Produire + avec ----

Il m’aura fallu au moins 10 ans pour résoudre l’équation ci dessus, pour produire plus, il suffit simplement de cumuler les - !!! 10 ans pour comprendre que la réduction de la chimie seul , ou la réduction du travail du sol seul , voir la réduction du rendement pour espérer gagner plus , ne peuvent conduire qu’à la catastrophe. Alors qu’il suffit d’un simple mais efficace décompactage de cerveau pour comprendre qu’il est possible de produire + avec - en faisant appel aux services écologiques.
- Je fait un travail du sol uniquement si celui-ci est nécessaire ( je ne me l’interdit pas)
- Je met en place une rotation intelligente de cultures et de couverts qui va m’apporter de la diversité dans mon sol, j’aurais ainsi plus de michoryzes qui rendra mon sol plus fertile et me permettra de déplafonner mes rendements.
- Je laisse tout posé au sol, et le sol ne doit jamais être nu. Ceci me permettra à terme d’augmenter mon taux de matières organiques, augmentera aussi ma CEC et ma RU.

A chaque fois maintenant que je cumul 2 - ( moins de travail du sol + moins d’azote par exemple ) , j’obtiens 1 + , miraculeux non !!!! alors que si je me contente simplement de vendre la charrue sans rien changer d’autre, je n’obtient qu’1 - ( moins de travail du sol), je vous laisse deviner le résultat....

Je reconnais qu’après 10 ans de burinage de cerveau, je suis en droit d’apercevoir du résultats dans mes champs. Merci au passage à Mr Parmentier qui a été l’un des seuls à soutenir l’Agriculture de Conservation, en nous accordant qu’il fallait "prévoir un petit délais" pour qu’elle soit reconnu.
Reconnu car à ma connaissance, c’est la seul qui est capable d’agir :
- Sur la qualité de l’air ( moins de rejet de Co2)
- Sur la qualité de l’eau ( réduction du lessivage et donc de la pollution des nappes phréatiques)
- Sur la qualité des sols ( augmentation du taux de MO , augmentation de la faunes et de la diversité ).

Et pour faire reconnaitre l’AC, c’est peut être à nous paysans de créer un label ou une certification "Terre Vivante" comme nos amis Québécois, dont l’un d’entre eux, Jocelyn Michon viendra très prochainement en France pour nous en parler.

Sur ce, je vous laisse poser l’équation dans le bon sens et je retourne scruter les cours du blé, car produire est une chose, vendre en est une autre......

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