Fertilisation, l’extraordinaire pouvoir des vers de terre

Jean-Martial Poupeau ; Biofil n°56 - janvier/février 2008

Manfred Wenz, un agriculteur biologique allemand, a montré la surprenante capacité des vers de terre à assurer la fertilisation des sols dès lors qu’on supprime le travail profond et qu’on utilise des couverts végétaux. Rencontre.

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Répondant à l’invitation de l’association Base, Manfred Wenz a pu faire partager, en novembre dernier, au cours de cinq journées de formation, sa longue expérience en matière de travail du sol à environ cinq cents agriculteurs bio et conventionnels de l’Ouest. Installé en 1954 dans la vallée du Rhin, à 30 km de Strasbourg, Manfred Wenz s’est converti à la bio en 1969. A la suite de résultats décevants, notamment en termes de salissement des parcelles, il abandonne le labour en 1978 au profit d’un travail du sol superficiel sans retournement, la méthode Kemink, qui lui permet d’obtenir des résultats spectaculaires : amélioration de la portance des sols et de la capacité d’infiltration des pluies, remontée du taux d’humus, meilleure résistance à la sécheresse, et hausse des rendements, de 23 q par ha à 45 q en moyenne. Malgré ces résultats probants, Manfred Wenz a décidé en 1998 de se diriger vers le semis sous couvert. D’abord dans le souci de réduire la consommation de fuel et l’achat de pièces d’usure, postes coûteux avec la méthode Kemink. Mais aussi, parce que le semis sous couvert lui semblait se rapprocher au mieux du fonctionnement naturel des sols, que l’on observe notamment en forêt lorsque l’homme n’intervient pas.

Des travailleurs infatigables

Cette nouvelle approche considère les vers de terre comme des alliés naturels et comme les principaux contributeurs à la fertilisation des sols. “ Mon seul engrais, ce sont les vers de terre ”, affirme le producteur. Cette vérité peut paraître bien peu scientifique et pourtant, elle est confirmée par plusieurs études, dont celle menée au Canada par Odette Ménard, spécialiste de la conservation des sols et de l’eau : “ les turricules remontées à la surface par les vers de terre représentent un poids de 40 à 120 tonnes par an et ont une valeur fertilisante considérable ”. De plus, “ même si les vers de terre n’augmentent pas les quantités d’éléments nutritifs, ils les rendent plus assimilables tout en stabilisant le pH ”. Selon des essais menés par Base, “ les vers de terre sont capables de dégrader l’équivalent de 6 tonnes de paille par ha en seulement trois mois ”. Par ailleurs, des chercheurs de l’université de Munich ont mesuré un “gain de terre” de l’ordre de 27 cm en 25 ans de non-labour chez Manfred Wenz ; qui parle d’ailleurs de “ terre de vers de terre ”.

Ne plus retourner la terre

Les comparaisons entre les parcelles contiguës de Manfred Wenz et de ses voisins ayant continué à labourer sont édifiantes. Outre une couleur nettement moins foncée, les sols voisins laissent toujours apparaître cailloux et graviers, ce qui n’est plus le cas chez l’adepte du non labour où le sol a gagné en épaisseur. Pour que ces mécanismes jouent pleinement, il ne faut plus retourner la terre et laisser toutes les matières organiques en surface ou à très faible profondeur, moins de 5 cm, afin que les vers de terre constituent les mélanges de résidus végétaux dont ils vont se nourrir, les “ cabanes de vers de terre ”. En effet, les lombrics anéciques, qui représentent souvent la moitié de la biomasse des vers de terre dans le sol, sont incapables de recycler de la matière organique si celle-ci est enfouie profondément par un labour car ils ne peuvent plus construire leurs galeries : “ c’est un peu comme demander de creuser un souterrain dans du sable ”, commente l’agrobiologiste.

Comme avec la méthode Kemink, aucune fertilisation organique n’est apportée, seules des préparations 500 sont appliquées, la ferme de Manfred Wenz étant en biodynamie depuis 2000. La fertilisation repose donc uniquement sur les fournitures par le sol, qui sont d’autant plus élevées que l’on ne perturbe plus le travail des lombrics. Ainsi, la capacité d’enracinement et d’exploration du sol par les plantes est notablement améliorée par les multiples réseaux de galeries creusées par les vers de terre.

Des couverts permanents

Dans sa rotation, l’agrobiologiste allemand implante toujours en avril de la première année un couvert de trèfle blanc. “ On laisse ensuite fleurir toutes les adventices qui apparaissent dans le couvert pour fournir de la nourriture aux insectes entomophiles mais aussi parce que ces adventices, qui ne sont pas apparues par hasard, jouent leur rôle de réparatrices de milieu.

Pour Manfred Wenz, les adventices spontanées sont de véritables plantes indicatrices qui signalent souvent une “ erreur de gestion ” de l’agriculteur : compaction par des machines lourdes, travail en condition humides… Après une première fauche du couvert en juillet pour faire disparaître ces adventices, la deuxième, à la fin de l’été, vise à freiner le trèfle. Selon le producteur, il est particulièrement important de faucher et non pas de broyer car “ les vers de terre n’apprécient pas la bouillie que fait un girobroyeur. Ils préfèrent les pailles et tiges laissées par une barre de coupe qu’ils vont pouvoir réincorporer au sol. De plus, le broyage favorise l’activité des limaces ”.

Pour implanter le blé qui va suivre, l’agrobiologiste procède à un scalpage de la végétation en deux à trois passages, à une profondeur très faible (maximum 4 cm) afin de ne pas provoquer de levée de dormance des adventices. Il utilise pour cela un appareil muni de socs piocheurs qui permet à la fois le travail du sol et le semis, de marque Eco-Dyn.

Le trèfle non concurrentiel

Du semis à la récolte, aucun travail du sol n’est réalisé. Hersages et binages ne sont pas pratiqués car selon le producteur, ils ont un effet perturbateur sur l’équilibre du sol : “ Lorsque le sol n’est plus travaillé, on observe un changement de direction des racines des plantes qui remontent vers le sol en direction de la couche des turricules où elles vont récupérer les éléments minéraux et oligo-éléments. ” Même si le trèfle repousse souvent dans le blé, il n’exerce pas d’effet concurrentiel vis-à-vis de la céréale dont les rendements et la qualité restent très satisfaisants.

La récolte du blé se fait à une hauteur d’environ 30 cm de haut “ pour gagner environ deux points d’humidité ”, et la paille est broyée. Par la suite, les chaumes sont fauchés pour fournir des brins de paille plus courts aux vers de terre. La rotation se poursuit ensuite par un deuxième blé ou un épeautre, puis repart sur une culture de printemps comme de l’avoine, du soja ou du tournesol. En interculture d’hiver, le mélange féverole de printemps - phacélie - moutarde sert à supprimer l’accès à la lumière pour les adventices, en particulier le chiendent, tout en nourrissant la vie microbienne. En fin d’hiver, ce couvert qui est souvent gelé, sera scalpé superficiellement avant la mise en place de la nouvelle culture.

Ayant transmis sa ferme à son fils, Manfred Wenz se consacre à présent à la promotion du semis sous couvert à l’étranger, notamment en Ukraine où il gère une importante ferme en agriculture biologique. “ Ce pays est en train de perdre son qualificatif de grenier à blé de l’Europe. La faute à des dizaines d’années de travail intensif du sol sous l’ère communiste qui ont fait chuter dramatiquement le taux d’humus et fait disparaître les vers de terre.


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