Ferme de Sainte Philomène, retrouver l’ordre naturel

Matthieu Archambeaud - TCS n°57 ; mars/avril 2010

Pascal Coudray et son épouse Marian sont éleveurs laitiers à Chateaubourg, à l’est du bassin de Rennes, sur des sols limoneux hétérogènes. Avec un troupeau d’une soixantaine de vaches holstein, ils produisent 320 000 litres de lait par an avec une alimentation tout herbe. La vocation de Pascal Coudray est de reprendre les terres jardinées par les quatre générations précédentes, de mettre en œuvre l’agriculture de demain chez lui en conservant et en améliorant son terroir, sa fertilité et de le transmettre à la génération qui vient. Profondément croyant, il applique ce qu’il pense être fondamental, à savoir retrouver l’ordre naturel aussi bien dans son terroir que dans son environnement humain.

Un paysan autodidacte

Pascal Coudray travaille sur la ferme depuis son plus jeune âge en raison des problèmes de santé de son père. À l’époque, c’est le très classique tandem maïs ensilage, blé et prairie qui est en place sur la ferme, dont une partie est consacrée aux cultures. Cependant, une attention particulière est déjà portée au sol, à l’alimentation et à l’hygiène du troupeau, ce qui amènera les Coudray à être clients des conseils et produits PRP dès le début des années soixante-dix. C’est d’ailleurs de PRP que Pascal apprend ce qui est devenue pour lui la règle d’or de l’éleveur bovin : la vache est un ruminant et un herbivore, par conséquent la nourrir avec de l’amidon plutôt qu’avec de la cellulose est source de déséquilibre et donc de problèmes.

Il reprend la ferme familiale - en difficulté - en 1989 avec pour objectif de remettre l’outil laitier en ordre de marche. Bien que satisfait des bases acquises avec PRP du point vue de l’hygiène et de l’alimentation du troupeau, le coût est trop lourd pour la ferme et il se sent à l’étroit dans un système intégré et préfère assurer seul sa formation : « pour progresser il est nécessaire de ne pas s’enfermer dans un seul système ou auprès d’un seul homme ». P. Coudray est en effet un autodidacte qui s’est forgé par des rencontres et des lectures déterminantes. Sur le plan technique c’est la rencontre de François Pape (paysan, médecin et consultant) en 1996 qui sera décisive, puis dernièrement celle de Jean-Marie Lespinasse (scientifique retraité de l’INRA et jardinier). Sur le plan humain et spirituel, la rencontre de Jean-Louis Loreau et du réseau des Journées Paysannes est également fondatrice. Pour ce qui concerne les lectures, on citera Masanobu Fukuoka et sa « Révolution d’un seul brin de paille », Philippe Desbrosses « Nous redeviendrons tous paysans », André Voisin « Sol, Herbe, Cancer », Yvan Besson « Histoire de l’agriculture biologique » ou encore Carlos Crovetto « Les fondements de l’agriculture durable ».

Avoir les moyens de ses ambitions

Dès 1991, l’élevage est mis aux normes de manière anticipée avec la création de logettes et d’une table d’alimentation couverte permettant de valoriser au mieux l’alimentation sans perte. En 1996, la CUMA locale ne voulant pas investir, une remorque autochargeuse est achetée ainsi qu’un train de récolte complet : andaineur de 8m, faneuse de 7 m, faucheuse de 6 m, une remorque de 50 m3 sans oublier les tracteurs qui vont devant. Une presse enrubanneuse est venue compléter la gamme en 2007. La conception de Pascal Coudray reposant sur le triptyque Agronomie-Homme-Économie, il met en œuvre les moyens qu’il estime nécessaire à son système tout en restant cohérent avec le banquier. De toute façon comme il le souligne « nous somme dans l’agriculture durable, on doit travailler sur le long terme et il faut donc des investissements et du matériel qui durent » ; les amortissements ne sont donc pas calculés sur une période courte et avec un entretien soigneux les outils ont de longues carrières devant eux. Qui plus est P. Coudray estime qu’un matériel précurseur se déprécie peu et peut être revendu correctement.

La solution du compostage des fumiers en bout de champ étant considérée comme anti-agronomique et coûteuse en matériel, en fuel et en temps, la fumière est couverte en 2000 et une fosse de 300 m3 à caillebotis est créée ; cet investissement coûteux est valorisé en estimant qu’il s’agit là de l’usine à engrais de la ferme. Dans un souci de cohérence un soin attentif est porté à l’évolution des fumiers qui reçoivent aujourd’hui un traitement Bactériosol jugé satisfaisant. Le fumier légèrement composté et le lisier sont généralement épandus en septembre-octobre sur les pâtures ; l’activité biologique performante permet une digestion rapide en quinze jours sans aucun enfouissement.

Choisir les plantes adaptées à son sol

Une autre règle est de travailler en harmonie avec son terroir, ce qui demande d’abord l’envie et la vocation de le connaître. Il s’agit donc d’apprendre ou de retrouver la compréhension de ses sols, puis d’y faire pousser les plantes adaptées. Il souligne à ce propos qu’en agriculture « on ne doit pas nourrir les plantes contrairement à ce qu’avait prétendu Justus Liebig mais que ce sont les plantes qui construisent le sol ». D’ailleurs pour lui, et contrairement à ce qu’on peut souvent entendre, l’élevage n’est pas indispensable au développement de sols fertiles même s’il facilite beaucoup la tâche du paysan en termes de recyclage et d’opportunités ; à l’inverse le choix des plantes adaptées au milieu reste indispensable.

C’est François Pape qui le décidera à passer en bio en 1996, bien qu’il ne mette plus d’engrais minéral depuis 1992 et de pesticides depuis 1993. L’agronome l’aidera également à trouver les mélanges adaptés à son sol et à son système d’élevage : sont installées des prairies de longue durée à base de plusieurs espèces de fétuques, de dactyles, d’agrostis, de pâturin et de légumineuses dont beaucoup de trèfle violet en raison de l’acidité des sols (autour de pH 6,5). Dans le système c’est le sol et le terroir qui commandent et le paysan qui doit s’adapter ; ainsi, si le dactyle a une meilleure valeur pour la production laitière, il n’est semé que dans les parcelles se réchauffant rapidement, la majorité des prairies ne recevant que de la fétuque. Les ray-grass ont été dès le début écartés car ils contiennent trop d’eau, sont difficiles à sécher mais aussi à détruire en bio sans labour.

Diversifier les mélanges et les périodes de coupe

L’alimentation du troupeau repose sur des prairies de longue durée pâturées, des mélanges à base de trèfle violet fauchés qui peuvent être maintenus 5 ans (15 ha) et des céréales récoltées en grain ou immatures (blé, avoine, épeautre : 6 ha) ; le système reste assez souple grâce à une facilité de récolte en foin ou en enrubannage. Les bêtes pâturent les prairies quand la portance des sols le permet, soit généralement depuis la mi-mars jusqu’à la mi-novembre ; si les conditions sont humides le troupeau est sorti plus tard ou rentré plus tôt. Pour la ration sèche, le foin est issu d’un mélange de trèfle violet et d’un peu de fétuque (semés respectivement à 10-12 kg/ha et à 5-6 kg/ha) dont la première coupe est enrubannée et les regains fauchées. La ration est depuis 1999 complétée avec des céréales immatures (avoine ou blé) qui donnent de très bons résultats avec la presse enrubanneuse. En résumé, l’alimentation est très simple, les bêtes mangeant en hiver à part égale, des céréales enrubannées, du foin de pâture enrubannée assez tôt pour l’azote, du foin (trèfle/fétuque) et de la paille (généralement enrichie en trèfle) ; les round ball sont simplement déroulées à l’auge. Loin d’avoir une production chaotique, la production est correcte et régulière depuis 5 ans qu’est mis en œuvre ce système : les taux de matière grasse et de protéines sont bons et se maintiennent toute l’année (TB de 44 à 49% et TP de 31 à 33% pour le résultat de février-mars), sans compter un prix de vente du lait moyen à 450 € les 1 000 L (la carcasse est également correctement valorisée à 3,20 €/kg) ; dans la même logique, les frais de vétérinaires sont faibles avec des périodes sans mammites supérieures à six mois, sachant que l’état sanitaire du troupeau est piloté à l’aspect et de l’odeur des bouses.

La régularité et la qualité de la production sont assurées par la diversité des fourrages. Non seulement la diversité des mélanges mais également la diversité assurée par des périodes de coupes différentes qui donneront des valeurs alimentaires variées pour un même fourrage. Contrairement à des silos en long qui doivent être consommés une fois ouverts, le stockage en balles permet à Pascal Coudray de piocher où il le veut dans ses stocks pour composer une ration équilibrée et adaptée au moment et aux besoins. De plus, la facilité et la rapidité de conditionnement permettent de démarrer le stockage du fourrage de l’hiver dès le mois d’avril-mai : en août la cour est généralement déjà pleine de bottes ce qui est une sécurité dans un contexte climatique changeant. Ainsi, le choix et la cohérence d’un système d’alimentation sans ensilage justifient l’achat d’une presse enrubanneuse qui ne fait que 600 balles par an. Le niveau de mécanisation semble élevé même s’il reste cohérent, cependant aucun concentré n’est acheté, ni engrais, ni produits chimiques ; les seuls intrants sont le fuel (4 000 L/an), les semences fourragères et céréalières, du bactériosol, du lithotamme soufré ainsi que du gros sel pour les vaches.

Prendre son temps en TCS Bio

En ce qui concerne le travail du sol, le labour est abandonné en 1999 avec l’achat d’un semoir Unidrill de 3m de chez Sulky, d’un Smaragd de 3m pour les préparations de surface et d’un rouleau de 8m ; un Actisol à cinq dents lui permet de régler d’éventuel problèmes de compactions. Les itinéraires techniques ne sont pas figés, P. Coudray travaille beaucoup au ressenti, à l’observation et à l’instinct ; il estime que c’est l’état du sol qui décide du moment de l’intervention et de l’outil à utiliser. Ayant constaté une évolution importante de ses sols, le Smaragd désormais jugé trop agressif ne lui semble plus utile et P. Coudray l’a troqué contre un Compil de 4 m avec lequel il se sent capable d’aller beaucoup plus loin.

Il estime cependant qu’une des règles de base de l’agriculteur bio qui ne laboure plus est de prendre son temps dans les transitions : il estime chez lui que le délai est de 4 mois pour régler les problèmes de salissement avec des faux-semis avant de repartir sur un nouveau mélange ou une prairie. Le dilemme de l’agriculture biologique est d’ailleurs ici : « il ne faudrait pas toucher au sol pour ne pas déséquilibrer la flore mais il faut bien contrôler la végétation spontanée ». Il estime cependant, comme le lui avait fait remarquer Carlos Crovetto à propos du glyphosate, que « l’impact négatif du faux-semis est dérisoire en comparaison de l’ensemble des bénéfices de mon système ». Une tondeuse de 4,5 m est également utilisée avec succès contre les rumex et évite toute montée à graines susceptible de recontaminer la parcelle : la prairie est un élément d’assainissement dans le système. Cette fauche rase et répétée permet également de faire descendre le plateau de tallage des graminées, de ramener de la lumière au sol pour l’activité biologique et au final d’avoir une herbe de très bonne qualité. Une herse à prairie Hauswirth complète la panoplie.

Pour les céréales, l’itinéraire technique se résume à un semis à l’Unidrill (ou désormais au Compil si le sol est humide) et à la récolte ; le désherbage est géré en amont par l’hygiène et les faux-semis, ce qui évite les interventions en cours de culture. L’acquisition récente du Compil permet depuis cet automne un semis par recouvrement plus adapté. Aucune fertilisation n’est apportée, le paysan jugeant que le lisier sur céréales est une erreur dès l’instant où l’on n’est pas obligé de gérer les engrais de ferme comme des excédents. Éventuellement, un trèfle est sursemé à la volée avec l’Unidrill dans la céréale au moment du tallage : le simple passage des disques assure le terrage des graines sans avoir besoin de trop remuer le sol, le rouleau finissant le travail : le relais est assuré avec la culture suivante et la paille est enrichie en azote. Dans le cas d’un printemps humide où la légumineuse prend le dessus sur la céréale, l’ensemble peut éventuellement être enrubanné et fournir un fourrage de qualité.

Prendre le temps d’installer les prairies

Les prairies sont composées d’un subtil mélange de graminées et de légumineuses pérennes. Tout le secret de la gestion d’un tel type de système repose sur l’implantation et la gestion de la première année. Quand la flore est dégradée, elle peut être réimplantée derrière une crucifère de « préparation », ou bien dans une céréale au tallage ou encore régénérée en sursemis. Dans le premier cas, la prairie dégradée est fauchée ras, suivi d’un passage d’Actisol (et sans doute maintenant d’un double passage de Compil), puis d’un passage de pattes d’oie par mois en été, jusqu’à ce que les graminées et les rumex disparaissent sous l’effet de la sécheresse. Une fois propre, la parcelle reçoit une crucifère pour restructurer et nettoyer le sol des bactéries pathogènes mais aussi pour assurer un excellent précédent aux légumineuses. Il s’agit le plus souvent de 10 à 12 kg/ha de moutarde et parfois de radis noir (18 à 19 kg/ha), plus puissant mais onéreux. La couverture est tondue, puis les pattes d’oie sont passées pour préparer le semis. Quand le sol est propre, le mélange de plantes pérennes est semé mi-octobre à la volée avec 80 kg/ha d’avoine de printemps dans la ligne de semis de l’Unidrill. L’idée est d’occuper le terrain avec une plante puissante et gourmande qui permettra aux trèfles de s’installer sans craindre d’une part la concurrence des graminées et, d’autre part, pour pomper tout l’ammoniaque du sol qui est très préjudiciable aux légumineuses (pertes de pieds et mauvais enracinement). L’avoine protège également le sol du salissement et fait une très belle première coupe en juin ; pour ne rien gâcher cette espèce est très galactogène et donne de bons résultats dans la ration. Petite astuce, supplémentaire, un chaume de 10 à 15 cm de hauteur est laissé lors de la récolte pour « piquer le nez des vaches » et éviter la destruction de la jeune prairie en installation. Enfin, la décomposition des racines de la céréale permet un démarrage rapide et un bon enracinement du mélange qui prend le relais : l’objectif de la première année est d’avoir la bonne composition et de faire des racines. Pour les mélanges prairiaux qui ont été sursemées au printemps dans une céréale, un sursemis d’avoine est réalisé à l’automne sur le même principe que précédemment. Enfin, si besoin est, les pâtures peuvent éventuellement être sursemées avec du dactyle, de la fétuque et/ou du trèfle.

Le système très performant de Pascal Coudray reste très peu courant puisqu’il réussit à allier un travail du sol très léger et le système bio sans intrants tout en gardant des résultats techniques et économiques excellents. Comme il le dit lui-même « on s’en sort mieux en touchant le moins possible à la terre plutôt que trop. » Certes, mais à condition comme lui d’avoir trouvé un équilibre dynamique entre le sol, le climat et le paysan. Aujourd’hui son système très performant se résume presque uniquement à semer et à récolter et il n’est donc plus très loin de l’agriculture naturelle de Fukuoka.


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